• Maxence van der Meersch - La conscience d'une fourmi

        "Je crois que le problème est résolu !" dit-il.
        Il tapota le bras nu du malade.
        "Nous te rendrons la conscience, paure diable ! Drôle de cadeau, au fond ! Si tu avais voix au chapitre, peut-être nous demanderais-tu de te laisser à ton sort...
        - Oh ! fit Regnoult
        - Ce n'est pas votre vais, Regnoult ? Votre néant, vous tenez tant que ça à en avoir conscience ?
        - Ma foi, oui...
        - Vous avez peut-être tort. J'ai souvent pensé que la conscience, la notion du moi, ça doit être simplement un accident malheureux.
        - Malheureux ? fit Groix
        - Imaginez une fourmi, Groix. Elle it, elle travaille, elle souffre. Supposez que tout à coup, par miracle, vous lui donniez la notion d'elle-même, la conscience. Elle sait qu'elle vit, qu'elle est fourmi, elle comprend tout à coup son destin épouventable, qui est de peiner deux ou trois saisons et de disparaître. Lui auriez-vous fait un cadeau précieux, Groix ? Et l'homme n'étant qu'une fourmi à mémoire très développée, capable de se suivre dans le temps, de se revoir dans les diverses circonstances de sa vie, ce qui constitue tout simplement la conscience, trouvez-vous singulier que j'hésite, quelque fois, que j'éprouve une espèce de... de remords, presque, au moment de rendre à mon semblable cette lucidité, cette conscience ?
        - Vous n'êtes pas gai, monsieur ! dit Groix
        Doutreval sourit.
        "Je ne croix pas que l'intelligence puisse aller sans une certaine mélancolie, a dit quelqu'un. Allons ! vos notes Regnoult. - Groix, je compte sur vous pour surveiller ce petit, me fournir une observation complète. Je repasserai demain matin.

    Maxence van der Meersch, Corps et âmes, p.161-62
    Le Livre de Poche, Paris, 1943


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