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Nos Echos - Les Dieux en marge (Le Petit Parisien, 6 Novembre 1922)(gallica)
Nos Echos - Les Dieux en marge
Chacun des quatre premiers jours de chaque semaine, à 10 h. du matin, « Mère » monte dans sa chaire du temple de Jemeppe-sur-Meuse, en Belgique, croise les mains, baisse la tête, et, silencieusement, évoque son époux, feu (terrestement parlant) Antoine-le-Généreux, dieu, ou quasi. A la même heure, aux mêmes minutes, à travers le vaste monde, et dans un même recueillement, Antoine, le « Père » est invoqué par les sept cent mille adeptes de son culte. C'est à ce moment que descend pour les croyants, et au delà de ceux-ci pour l'humanité, le « fluide » divin dont Antoine est l'intercesseur ; c'est à ce moment que se produisent des guérisons miraculeuses, l'apaisement des âmes en détresse, la réconciliation au sein des ménages désunis.
Antoine-le-Généreux, vers qui monte ainsi l'effusion de sept cent mille âmes, n'est, pour celles-ci, pas précisément Dieu, mais très exactement le successeur du Christ, le second Révélateur, la deuxième incarnation de l'Esprit Consolateur. Son enseignement est, comme le disent, sans nulle ambiguïté, les placards fixés aux murs de ses temples : l'enseignement du Christ, révélé à cette époque (entendez notre époque), par la Foi.
Cette Foi, il faut également entendre qu'elle est de notre époque, c'est-à-dire raisonnante, critique, analytique. A ces épithètes, pourrait-on se risquer à ajouter de : scientifique ? Les sept cent mille Antoinistes répondent : « Oui. » profane hésitera, rien qu'à lire les textes sacrés, dont l'orthographe et la syntaxe ont de quoi égratigner la raison dont le culte se réclame (1). Et sans aller jusqu'aux Ecritures mêmes, qui ne tiquerait, comme moi-même, à cette phrase que j'ai lues au « règlement intérieur », affiché dans la cellule de la desservante du temple antoiniste de Paris : « I° L'occupant d'un temple est désigné par le Premier Représentant, qui peut être inspiré de le déplacer s'il ne remplit pas ses devoir... » (2)
Quoi qu'on en ait, la science ne se serait jamais séparée de l'Antoinisme, puisque le symbole, le Signe capital du culte est un astre (3), dans la frondaison duquel il y a écrit : « culte antoiniste », et dont le pied arbore, si l'on peut ainsi dire, cette légende nettement explicative : « L'Arbre de la Science du Bien et du Mal. » (4)
Avec une rapidité qui tient bien du prodige, l'Antoinisme étend chaque jour son influence spirituelle. Sept cent mille adeptes, c'est un nombre. Il y a quelques jours, un nouveau temple a été inauguré à Caudry, dans le Nord. Le mois dernier, Lyon avait, après Paris, après Tours, après Vichy, son église antoiniste. Un second temple parisien est en projet aux Batignolles. La Belgique, patrie terrestre de l'ouvrier mineur Antoine, miraculeux guérisseur, d'abord, puis évangéliste, puis dieu, ou quasi, la Belgique compte seize églises siennes. Enfin, tout dernièrement, l'Antoinisme a été reconnu « d'utilité publique ».
A la porte intérieure du temple de Paris, un large carton affiche, copié en grosse ronde, la copie du décret d'utilité publique. C'est signé : « Masson, ministre de la Justice », à gauche ; à droite : « Albert, roi. »
La desservante, en me montrant cet écriteau, me dit : « Voilà la reconnaissance officielle. C'est le plus grand évènement de l'histoire antoiniste ; c'est immense, c'est grandiose ! monsieur. Cela confirme notre certitude invulnérable, qu'un jour, et qui est plus proche qu' on ne suppose, l'humanité sera, brusquement, tout entière antoiniste ! » (5)
A l'un des murs du péristyle est affichée une liste d'adeptes parisiens et de la banlieue, chez lesquels se fait une lecture hebdomadaire publique de l'Evangile du Père. L'un de ces adeptes s'appelle Lévy : « C'était un sculpteur, m'explique la desservante. Un jour, il est venu à l'antoinisme. Alors ses statues commencèrent de se fendre toutes seules, ou se brisaient inexplicablement à ses pieds. Il a abdiqué son art. De son atelier, il a fait une salle de lecture évangélique. Et il est devenu petit employé de commerce. Telle est l'une des mille et mille merveilleuses conversions qui opère sur les créatures le fluide d'Antoine, Notre Père. (5) André Arnyvelde.
Le Petit Parisien 6 Nov.1922 (Numéro 16687)
source : gallica
(1) On sent bien ici le caractère discriminant de l'orthographe. On croirait lire sous la plume d'un journaliste, sensé juste informer, la déclaration de François Eudes de Mézeray en 1694, historiographe du Roi, qui voulait, par l'orthographe : « distinguer les gens de lettres d'avec les ignorants et les simples femmes. » Cela dit dans l'Enseignement, je n'ai relevé qu'une coquille dans l'exemplaire que je possède, mais jamais de fautes d'orthographes. Et la syntaxe me paraît très française, peut-être un peu complexe, mais cela est affaire de style.
(2) Je pense que c'est le mot « inspirer » qui fait tiquer le journaliste. Bien la preuve qu'il ne connait pas son sujet, sinon il saurait que ce terme est utilisé dans un sens différent que dans le français courant. Comme le verbe « prier » n'a pas le même sens, en français courant (je vous prie de...), chez les Chrétiens, chez les Musulmans, chez les Juifs et chez les Antoinistes...
(3) Encore bien une preuve que le sujet n'est pas du tout maîtrisé par le journaliste.
(4) Il s'agit de l'Arbre de la Science de la Vue du Mal. Et cela n'est pas plus explicatif qu'un homme accroché sur une croix, d'une façon, de plus, qui ne lui permettrait pas de tenir, car les chairs des paumes de la main ne sont pas assez fortes pour supporter tout le poids du corps. Pour en savoir plus, il faut lire les Livres qui vont avec les cultes...
(5) Pierre Debouxhtay commençait son petit opuscule sur l'Antoinisme, en 1945 par : « Culte à visées universalistes, l'Antoinisme est, croyons-nous, un phénomène social unique en Wallonie : que dans la suite il s'étiole ou continue à provigner peu importe : il mérite d'être étudié impartialement. » Malheureusement se ne fut jamais le cas et à l'heure actuelle ça l'est encore toujours pas par tous, et surtout pas par les journalistes. On ne sait pas si les prétentions du Père était à l'universalisme de son culte, ses derniers mots sont : « Je sens l'influence grandir depuis un certain temps ou plutôt depuis le commencement, je trouve que l'Enseignement prend de l'extension tous les jours... » (Développement, p.416). Mais il a aussi intitulé un chapitre : Cause de la variété des partis & de groupes, ce qui montre qu'il était bien conscient que les Hommes n'étaient pas près à l'unification fraternelle, même s'il l'appelait, comme cette desservante, de tout ses vœux.
(6) La guillemet est ouverte, mais n'est pas refermé dans l'article. On ne sait donc où se termine la déclaration de la desservante. A-t-elle utilisé le mot évangélique ?
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