• Opération à Liège En Hors-Château en 1934

                                   L'OPÉRATION.

        C'est un dimanche matin que je me rends devant le temple. Il y a déjà un grand nombre d'hommes en lévites et en chapeaux haut-de-forme, de femmes en costumes noirs ayant sur le chef une sorte de coiffe qui leur donne une certaine ressemblance avec les nonnes. Ils ont tous l'air très doux et modeste, et ils causent à voix basse. Vers dix heures les gens commencent à entrer dans le temple.
        Bientôt tous les bancs sont occupés, et une grande partie des personnes est obligée de rester debout. La salle est comble. Le desservant monte sur la chaire et adresse quelques paroles à l’assemblée. Le lecteur lit un passage de l'enseignement du Père d'une voix d’écolier. Puis un homme du premier banc se lève et prononce d'une voix rauque et absente : « Le père fait l’opération. » Trois coups de sonnette résonnent dans le temple et tout le monde se lève.
        C'est le moment où l'on se recueille.
        Les croyants sont debout, la tête baissée ; ils invoquent chacun le nom du Père auquel ils demandent la foi.
        Cette scène ne ressemble-t-elle pas à celle qui se passe pendant la messe catholique ?
        Après quelque temps, une autre voix s’élève : – Celui qui a foi en le Père trouvera satisfaction !
        Je n'ai pas cette foi de ceux qui entourent mais réprouve un sentiment très étrange. Ne m'hypnotise-t-on pas ? Je me défends mais c'est inutile quelque chose m’étrangle. Voici que les gens commencent à sortir. Je devrais aussi partir, mais je ne bouge point. Ils passent devant moi un défilé de fantômes, des hommes, des femmes qui marchaient, il y a quelques instants à l’aide de béquilles, s’avancent, tout raides, sans secours, et ceux-ci dont le teint était jaune et maladif sortent avec une mine qui ne peut trahir qu’une sante resplendissante : ils portent la tête haute et dans leurs yeux brillent la bonté, le bonheur et la foi ; une foi fanatique. Des miracles ! Des miracles à Liége !
        Mon voisin me bouscule, il veut passer mais je n'avais pas pris attention. Je sursaute, pour le laisser passer, et … mais qu'est-ce que c'est … les malades ont encore leur teint jaunâtre, les invalides s’appuient toujours sur leurs béquilles. Ai-je dormi, rêvé ? Ahuri, doutant de ma raison, je m’affaisse sur le banc et mon voisin se penche sur moi et chuchote me croyant malades : « Ecoutez, les malades sont reçus après l’opération ! »
        Les gens qui sont autour de moi me regardent avec envie, parce que je semble avoir la foi et la satisfaction.
        Mais, moi, je sais parfaitement bien les raisons de mon rêve, de mon sommeil : les suites de la bombe que j’ai faite hier avec mes amis liégeois.
        En sortant, je me jure d’être plus sage … évidemment, il le faudra bien tant que je ferai mon enquête sur Liége, la miraculeuse.

    Charles Pétrasch

    A-Z Hebdomadaire illustré, n°11 (3 Juin 1934)


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