• Palais de Justice, Le Procès Dor (Le Bruxellois, 17 avril 1917)

     Palais de Justice, Le Procès Dor (Le bruxellois, 17 avril 1917)PALAIS DE JUSTICE
    COUR D'APPEL DE BRUXELLES
    Le Procès Dor
    (Suite.)
    Audience du lundi 16 avril.

        L'audience de ce lundi matin est annoncée comme irrévocablement la dernière des débats d'appel, aussi les curieux sont-ils plus nombreux que jamais. C'est une dernière occasion de voir le « Christ » réincarné ; ceux qui ne l'ont jamais vu, le contemplent avec un curieux scepticisme ; ceux qui le connaissent, l'accompagnent de leurs vœux de triomphe s'ils sont parmi ses adeptes, de toutes leurs-passions mauvaises s'ils se sont rangés parmi ses adversaires. Dor, lui, conserve une placidité déroutante. Son entrée dans le prétoire ne manque jamais de souveraine grandeur. Ce n'est pas vers le banc d'infamie qu'il se dirige, il va à sa place comme à une chaire de vérité ou à une tribune où rien d'hostile ne l'attend. Il entre par la porte des témoins, salue en souriant longuement ses adeptes fidèles rangés au premier banc. Il a un regard discret pour le gros du public, s'incline à gauche vers les invités de marque, a un coup d'œil discret et plus renfermé pour les journalistes, évite le banc de la partie civile et vient enfin s'entretenir avec ses avocats. Les pontifes de l'Eglise romaine, les princes du Vatican en camail et en robe cramoisie n'ont pas plus de solennité et de lente majesté, et ce qui ajoute à cette entrée peu banale, c'est qu'elle semble sans aucun apprêt théâtral. A son banc. Dor conserve souvent une attitude détachée, parfois il feuillette un livre, semble s'absorber en lui-même, souvent cependant il semble s'inquiéter d'un mot, d'une omission de ses avocats. Il se retourne alors, insiste doucement mais fermement sur le détail, sur tel témoignage. Il s'agit de ne rien laisser à l'ombre, d'éplucher jusqu'à la dernière ligne du dossier. Si les débats se sont prolongés au delà de toute prévision, si la plaidoirie de Mtre Lebeau a paru longue, a impatienté sinon la Cour, du moins le ministère public, c'est surtout, semble-t-il, le fait de Dor qui lui, n'en avait jamais assez et semblait conjurer son défenseur de fouiller les pièces de la procédure jusqu'au moindre détail. Il reste à parler ce matin de deux dernières préventions reprochées à Dor : l'exercice illégal de l'art de guérir et les attentats à la pudeur.

    Les dernières plaidoiries.

        Mtre Lebeau reprend sa plaidoirie à 9 heures. Il revient sur la question de la propriété de la maison. Cette maison a été construite par Mme Delisée et lui appartient. Elle-même en a disposé en faveur d'une de ses amies, sans consulter M. Dor. On comprend mal dès lors sa constitution de partie civile. Les autres réclamations ne sont pas plus justifiées et le gain fait sur les brochures est retenu par M. Dor pour régler la pension de Mme Delisée chez lui. Tout compte fait, dit l'avocat, M. Dor est en déficit vis-à-vis de Mme Delisée.
        Mtre Lebeau examine, d'après les Pandectes et la jurisprudence, ce qu'il faut entendre par l'art de guérir. Il faut un examen personnel du patient ; il faut l'ausculter. Est-ce cela que fait Dor ? Non ; à tous il conseille indistinctement l'amélioration morale. Il faut se guérir de ses défauts, de ses vices ; le reste viendra par surcroît. Il ne se donne pas comme guérisseur des corps, il ne se proclame que le médecin de l'âme. Dor ne connaît ni ne pratique le magnétisme. Il se défend de toutes passes, de toute pratique de ce genre. Dans plusieurs passages de ses livres, il dit expressément qu'il ne connaît absolument rien en fait de médecine. En général, la justice est très large vis-à-vis des guérisseurs. Dès que la santé publique n'est pas en danger, on laisse faire. C'est notamment ce que consacre un arrêt de la Cour de Gand du 15 juin 1852. II s'agissait d'un homme du même genre que Dor, qui imposait les mains et obtenait des guérisons. Ce guérisseur acceptait l'argent qu'on lui offrait. Il a été acquitté.
        Mtre Lebeau examine la question des passes magnétiques. Rien de semblable ici. Si cependant la Cour avait des doutes, des médecins seuls pourraient éclairer la Cour sur la nature des pratiques de Dor. On reproche à Dor quelques petits faits précis. Mme Beauvois souffrait d'un cancer ; elle est morte d'inanition, dit la partie civile, le Père lui ayant ordonné de l'eau sucrée. Il est à noter que cette personne était soignée par un médecin, qu'elle n'a pas été personnellement visitée par le prévenu. Le mari et la fille Beauvois ont manifesté une grande hostilité à Dor. N'était-ce pas à eux à obéir aux prescriptions des médecins et leur témoignage n'est-il pas plus que suspect lorsqu'ils viennent dire que Dor aurait prescrit des lavements à l'eau salée ? Ordonner un remède précis, est la négation même du système de M. Dor. Ce qu'on lui reproche c'est un procédé ultra-simpliste du prévenu. On dit qu'il aurait recommandé du thé Chambard ; c'est faux encore, et on n'a parlé de ce thé Chambard qu'après la constitution du complot Delisée-Chartier. Richard était un vieux bonhomme qui avait été employé chez Dor, puis congédié. Richard avait une hernie et en 1909 il enleva son bandage de son plein gré et tout alla bien. Il eut dans la suite me seconde hernie, pour laquelle il est allé consulter M. Dor. Mais il est faux de dire que Dor ait conseillé à personne d'enlever un bandage. Richard dit d'ailleurs explicitement : « Dor ne m'a jamais soulagé et cependant j'ai en son pouvoir une confiance aveugle. » Vous avez entendu ici même une hernieuse qui a proclamé qu'elle avait été guérie par Dor, mais jamais, a dit ce témoin, le prévenu ne m'a engagé à abandonner mon bandage.

                                                                                         (À suivre.)

    Le Bruxellois, 17 avril 1917


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