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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 5 avril 1917)(Belgicapress)
PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES
Le Procès DorAudience du 3 avril 1917. – Pour le cas Solms, Dor a ou plusieurs petites condamnations 18 Jours de prison, ce sont les faits les moins graves.
Pour les époux Chartier, le tribunal de Charleroi a condamné à 4 mois de prison et 200 fr. d'amende. Ces victimes ont été sous une dépendance telle de Dor, qu'elles prenaient pour un Dieu, qu'elles se seraient jetées au feu s'il l'avait ordonné.
Dor leur faisait prendre ses brochures, les engageait à lui payer du charbon, à mettre 100 fr. dans le tronc. La fille Chartier dont les parents voulaient faire une adepte, déclara à l'audience de Charleroi, que sa première visite chez le père fut pour elle une déconvenue et qu'elle ne put s'empêcher de le qualifier de cochon.
Le cas Delisée est plus caractéristique encore. Cette femme fut à ce point subjuguée par Dor qu'elle déclara ne plus pouvoir vivre loin de lui. Elle se fit bâtir une maison proche de l'église doriste, installa à la demande de Dor le chauffage central dans le Temple moral et fit un grand nombre d'autres frais.
Elle aussi eut un jour les yeux dessillés et c'est son cas qui valut à Dor, en première instance, 8 mois de prison et 17,000 fr. de dommages et intérêts.
Après cet exposé général l'audience est levée à 5 heures.
La Cour reprend audience à 10 heures. M. Smits continue la lecture de son interminable rapport. Il en vient aux audiences correctionnelles de novembre dernier à Charleroi. Ce sont les faits repris dans la prévention qui retiennent surtout l'honorable rapporteur.
Quatrième audience : mercredi matin. – Beaucoup de monde ce matin. L'enceinte du public se garnit rapidement. M. et Mme Dor s'entretiennent amicalement, avec leurs adeptes.
On apporte un banc pour les invités, des dames de magistrats qui, elles aussi, veulent voir le fondateur du Dorisme.
A 10 heures, l'audience est ouverte. On entend encore quatre témoins cités par la défense. Ce sont des fanatiques du père. Ils ont été guéris. Le président les interroge avec adresse pour leur faire dire ou qu'ils ont payé les soins du faux médecin, ou que celui-ci s'est livré des pratiques réprouvées par la morale des lois. Mais il a affaire à des témoins bien stylés qui répondent ce qu'ils veulent mais auxquels on ne fait pas dire autre chose. L'un d'eux avait même apporté un discours écrit. On le lui fait rengainer, l'audience devant être exclusivement orale.
Au demeurant, rien de nouveau dans tout cela. A 10 heures, M. le président passe à
L'interrogatoire du Père Dor. – Celui-ci s'avance très posément vers la Cour. Son ton est calme, fortement nasillard, il a l'accent wallon fort prononcé.
D. – Le Parquet vous reproche d'exercer l'art de guérir.
R. – Je ne donne que des conseils moraux. Nos maux proviennent de nos excès. Je remonte à la cause.
D. – Vous déconseillez d'aller chez les médecins.
R. – Ceux qui me consultent n'ont plus besoin de médecin, puisque je les aide à supprimer la source des maladies.
D. – Vous avez donné des recettes directes. Vous avez fait supprimer des bandages, du lait des enfants ?
R. – Je n'ai jamais donné que des conseils, et ceux qui les ont suivis s'en sont trouvés bien.
D. – Vous avez ordonné du thé Chambard, des lavements salés, des potions sucrées.
R. – C'est faux. Ceux qui disent cela sont des personnes achetées.
D. – Il y a des maladies qui n'ont aucun rapport avec la morale : l'asthme, la pneumonie, la hernie. Vous avez exercé pour ces cas-là aussi.
R. – Non ! Je me borne à conseiller l'énergie, la confiance.
D. – Vous aviez des pratiques, des gestes spéciaux pour en imposer.
R. – Du tout. Je suis chez moi comme ici. Tout le monde fait des gestes en parlant.
D. – On n'a pas toujours le geste solennel du serment, les bras levés, les yeux au ciel.
R. - –Ceux que je guéris le sont par la foi qu'ils ont en moi ; ceux qui n'entendent pas se corriger, je les renvoie aux médecins.
D. – Vous avez fait déshabiller des malades ?
R. – C'est faux.
D. – Le Parquet vous reproche d'avoir par vos manœuvres extorqué pas mal d'argent à Solms, Chartier, Delisée.
Le prévenu nie.
D. – Vous vous faisiez appeler le Christ.
R. – Non ! On m'appelait ainsi.
D. – Vous laissiez faire.
R. – je ne pouvais empêcher cela. (Puis se recueillant et montant la marche qui le sépare de la Cour) D'ailleurs je suis le Christ ! Oui je le suis, non pas le faux, mais le vrai. (Mouvement prolongé et curiosité dans la salle.)
D. – Vous admettez donc ce que vous contestiez hier ?
R. – Oui. C'est la première fois que je me donne mon vrai titre.
On attend anxieux. On suppose que le président va réclamer des preuves, une démonstration. Mais pas du tout ; il ramène de suite l'inculpé aux faits de la prévention.
D. – Vous faisiez des grimaces sur vos malades ; vous mettiez la main sur leur tête.
R. – Jamais, jamais.
Dor s'explique avec chaleur au sujet des divers faits d'escroquerie. Il reconnait certains faits matériels, mais dit que les dépenses des Chartier et des Delisée ne lui ont jamais donné personnellement le moindre avantage.
« Madame Delisée a fait pour moi un testament. Je n'ai connu la chose qu'après la descente du Parquet. Mais sapristi, malheureuse, lui ai-je dit, vous allez me compromettre, Courez vite à la gare, allez au coffre-fort du Crédit Général et déchirez cette pièce. – Voilà comment je suis intéressé, moi !
« Quant aux attentats à la pudeur, c'est encore elle qui m'a devancé. Elle sait que le Père est innocent. Elle sait que j'ai sa confession et qu'il me suffirait de la révéler pour la confondre. Mais qu'elle se rassure : je ne commettrai pas le crime de la dévoiler ; elle est brûlée. »
Dor conclut en affirmant que s'il est condamné, il sera victime de son désintéressement et de son honnêteté.
Toujours tranquillement, solennellement, ramenant ses bras en un geste bénisseur, le Christ retourne au banc d'infamie.
Les plaidoiries. – M. le président : « La parole est donnée à la partie civile et d'abord à l'avocat de la Société de Médecine de l'arrondissement de Charleroi.
Mtre Gérard rappelle la vocation de Dor, qui avait très bien pu vivre de son métier d'ajusteur, mais fut hypnotisé par les succès d'Antoine le guérisseur, qui était son oncle. Dor aurait pu s'installer prophète à Jemeppe, mais en bon neveu et en madré exploiteur, il préféra ne pas faire concurrence sur place au Père Antoine. Il choisit un milieu du même genre que Jemeppe et jeta son dévolu sur Roux-Wilbeauroux où il vint s'installer en 1909. Ses clients furent immédiatement nombreux. La justice en a entendu un certain nombre. Elle a entendu quelques victimes, quoique ces personnes préfèrent souvent se taire que de révéler leur crédulité et de provoquer des railleries. On a surtout entendu des fervents, des adeptes et la Cour a désiré se rendre compte par elle-même de la mentalité de ces malheureux que le charlatan est parvenu à subjuguer complètement, auxquels il impose de venir conter ses louanges jusque dans le prétoire de la Justice. Il se laissait appeler le Christ. Aujourd'hui dans le prétoire de la Justice, il a été plus outrecuidant encore : Le vrai Christ, s'est-il écrié, c'est moi ! (Rires.) Qui dira les méfaits des conseils de cet homme ? Ses principes végétariens, ses ordonnances de lavement au sel, ses conseils sur la nourriture des enfants constituent bel et bien l'exercice illégal de l'art de guérir. Ses manœuvres, impositions de main et le reste sont le corollaire du délit. Dor se faisait passer pour le Christ réincarné ; il se prétendait capable de guérir toutes les maladies par son fluide. Ce fluide existe-t-il ? Y a-t-il des fluides particuliers, des rayons X, des rayons rouges ? C'est incontestable. Mais on ne peut s'en servir sans titres ni diplômes, et ces moyens sont un danger entre les mains des rebouteux. Dor proteste contre la prévention d'exercice illégal de guérir ; Il n'aurait donné que des conseils moraux. Les médecins, dit-il très injustement, ne voient pas les causes du mal, ils ne s'occupent que des effets. Non, Dor ne se borne pas à donner des conseils d'hygiène, des conseils moraux. Il veut guérir toutes les maladies, il s'occupe du cancer aussi bien que des maladies d'enfant, des maladies d'estomac. Sa compétence est universelle. Il fait jeter le bandage des hernieux, il met des malades affaiblis au régime de l'eau, il commet ce crime de s'en prendre même à l'alimentation du nouveau-né.Le Bruxellois, 5 avril 1917 (source : Belgicapress)
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