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Palais de Justice, Tribunal correctionnel de Charleroi (Le bruxellois, 13 novembre 1916)
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI. — Audience du 10 novembre 1916. — « Le Messie », « père Dor », vient, à l'instar de feu le père Antoine, de Jemeppe-sur-Meuse, de s'asseoir sur le banc de la 5° chambre correctionnelle. Il est âgé de 53 ans et serait monteur de son état. De nombreuses et importantes escroqueries lui sont reprochées, en même temps que l'exercice illégal de l'art de guérir, et des actes immoraux.
M. Mahaux, substitut du procureur du Roi, soutient l'accusation.
Vingt-quatre personnes sont citées par son ministère et 38 par la défense.
De l'interrogatoire auquel M. Bodart, le commissaire de police, est soumis, il appert que des types « semblables » au prévenu font florès à Roux.
Le distingué policier rappelle qu'en 1909 Pierre Dor vint s'installer dans la commune. Il ne brillait point, mais petit à petit if fut visité par une foule de gens qui le considéraient comme « le Messie », le Christ !
Par le fait qu'on croyait en lui, on bénéficiait de son « fluide » ! disait-il.
Il édifia un temple, et un homme auquel il avait ordonné de ne plus porter bandage tomba, paraît-il, un jour évanoui sur la route.
Me Gérard déclare se constituer partie civile au nom de la Société de Médecine de l'arrondissement de Charleroi, société fondée en 1907 et représentée par M. le docteur Haelewyck, président, et Me Houzé, avoué.
Mme Delisée Marie, épouse Lechien Gustave, d'Etterbeek, dépose ensuite :
Devenue « l'auxiliaire » de l'incriminé, elle subit son influence. Il opéra des massages sur sa personne, et elle lui remit d'abord 2000 fr. pour le dédommager des frais qu'elle lui avait causés. Il l'envoya vendre 5000 brochures dans les provinces de Namur et de Liége. Il la menaçait d'attaques d'apoplexie ! « Ne comptez pas, donnez, donnez ! » lui répétait-il sans cesse. Il lui conseilla même fortement de ne pas tester en faveur de ses héritiers ; ceci contrariait leur avancement moral, expliquait-il, et elle testa alors en faveur... du père Dor.
Il se proclamait Jésus-Christ réincarné, et ajoutait : « Il est temps que le monde sache qui je suis. »
Quand on qualifiait de « magnétisme » sa prétendue puissance (fluide), il se récriait, et quand le Parquet l'inquiéta, il exhorta le témoin à gratifier « l'Ecole des Estropiés » de sa fortune.
Mme Delisée rapporte les attentats dont elle fut également victime, et proteste lorsqu'elle s'entend accuser d'avoir troublé le ménage de l'inculpé.
Mme Dor lui semble trop grossière pour être l'épouse d'un « surhomme ».
Me Bonnehil, son mandataire, réclame 17,000 fr. seulement.
M. Chartier, arrivé à la barre, raconte comment il s'est rendu auprès de Dor ; sa femme était « adepte », à cause d'une affection d'estomac.
Dor prétendit qu'il le connaissait de vieille date et le convertit au végétarisme, lui faisant craindre une paralysie. Peu après, il lui commanda de faire l'achat d'un terrain, de charbons, ventilateurs, casiers, etc. Alors, Dor promettait quasi le triomphe du cartel et le renversement du gouvernement. « Au bon Dieu qu'est-ce qu'on ne donnerait pas », répond le témoin à un certain moment. Avant de terminer, il raconte de quelle manière aussi Dor empocha le prix de plusieurs coupons destinés à payer son pèlerinage à sa maison natale, à Mons-Crotteux-lez-Liége, le 15 août 1914.
Mme Chartier, elle, reconnaît qu'elle a consulté jadis Antoine, à Jemeppe, et qu'elle fut déclarée fort malade par Dor. Celui-ci l'incita à coopérer à son œuvre et la menaça de paralysie, après son mari. A Bruxelles, Spa et Ostende elle vendit des brochures et se disposait à partir en Suisse lors de la déclaration de guerre. A elle encore, Dor déconseilla de léguer ses biens à ses descendants. Elle vendit des immeubles. Dor ne se contentait point de ce qu'elle donnait, de ce qu'elle faisait. Il se livra sur elle aussi à des attouchements. Quant à sa fille, elle était curieuse, annonce-t-elle, de connaître Dor. « Mademoiselle » lui dit-il, quoiqu'elle fût mariée. Ce que « Dieu » aurait dû savoir, songea-t-elle. Elle allégua un mal d'estomac, et lui d'en profiter aussitôt, en affirmant qu'elle seule lui donnerait le bonheur.
L'audition subséquente des témoins révèle que Dor s'était enquis de la situation de fortune de Mme Delisée ; qu'abstraction faite des troncs qu'il avait placés en évidence, il désignait quel livre il fallait lui acheter, qu'en moyenne il donnait 300 à 400 consultations quotidiennement. Les débats continuent. (R. N.)Le bruxellois, 13 novembre 1916
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