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Pierre Hamp, Travail invincible (1916)
Des métiers d'autrefois ont déjà disparu de la Flandre industrialisée. La chanson du Petit Quinquin, où tient toute la vieille misère des cités du Nord, est la chanson des dentellières de Lille. Où sont les dentellières aujourd'hui ? Pas une ne reste. La dentelle est faite par des hommes sur les métiers mécaniques de Calais et de Caudry. Mais on fait ailleurs qu'à Lille la dentelle à main. Tandis que la fine toile à l'épeule ne se fait que dans le Cambrésis. Si elle disparaît de là, elle disparaît du monde.
Verrons-nous mourir le dernier tisseur qui travaillait une pièce de 350 grammes en 18 mètres de long et 30 centimètres de large ? Un bon ouvrier agile ne laissait cette merveille qu'un mois sur le métier, mais comme le plus grand nombre de tisseurs à l'épeule étaient vieux et que le fin fil manié dans l'ombre avait usé leurs yeux, ils mettaient souvent deux mois à tramer les 18 mètres de chaîne. La femme du tisseur enroulait le fil sur des fétus
de paille d'avoine, qui servent de canette dans l'épeule.
Tout dans ce métier a la légèreté des choses dociles au moindre vent. A la maison du tisseur on voyait la canetière, assise sur le seuil de briques rouges, tourner lentement son bobinoir, et de la cave à grand soupirail venait le battement du métier.
D'autres tisseurs à main, dans le Cambrésis et autour de Bailleul, travaillent à la sonnette, qui est un renvoi de corde sur laquelle ils tirent pour lancer la navette. Leur canette est en bois et non en fétu d'avoine. Le tisseur à l'épeule lance directement à la main. Son fil est si fin qu'il ne supporte rien que le geste doux et attentif de l'homme patient.
Pierre Hamp, Travail invincible (1916)
source : gallica
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