• Pierre Hubermont - Treize hommes dans la mine

        Prosper hésite encore. Mais peu à peu, il se sent gagné par le secret désir des autres et leur accoutumance au danger. Ah ! la mine tient bien ceux qu'elle tient depuis quarante ans. Car il y a quarante ans que Prosper y descend chaque jour !
        [...]
        Enfin, l'équipe arrive au chantier où l'air brûlant s'épaissit de la poussière que l'aérage ne chasse plus.
        Qu'est-ce donc, ce spectacle d'enfer ?
        Des corps nus, que le travail fait gémir, s'allongent dans la taille, écrasés dans les soixante centimètres de vide qui séparent le toit du mur. Les haveurs dégagent avec leur marteau-pic les layes de charbon aux arêtes scintillantes. La pointe du pic va et vient en tressauts secs, hors du cylindre où la meut l'air comprimé. Les hommes reçoivent les contrecoups dans les poignets.
        - Han !
        - Cré nom !
        - Quelle chaleur !
        Les houilleurs abattent la couche dégagée, et le charbon que pousse des pieds rugeux dévale le long de la taille, dans une conduite de tôle, vers un plan incliné qui accède à la voie de niveau. Trente-huit hommes s'échelonnent sur le front de la veine, grattant, frappant, ahanant, s'essoufflant à la lumière mesquine des lampes accroches aux cadres de bois.
        Les bidons de café sont déjà vides à demi, tant les gorges sont sèches.
        - Nom de Dieu !
        - Han !
         On devine les corps plus qu'on ne les voit. On les devine aux soupirs qu'ils poussent, aux plaintes qu'il exhalent. Une lumière plus forte troue la nuit poussiéreuse, vers le bas, là où une machine perce une nouvelle galerie, ébranlant le chantier de ses saccades et couvrant par intermittences les jurons des hommes.

    Pierre Hubermont - Treize hommes dans la mine
    Ed. Labor - Espace Nord, 1930 (p.43)


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