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Robert Vivier (Commune, revue de l'AEAR, 1er jan 1936)
DÉLIVREZ-NOUS DU MAL (Antoine le Guérisseur), par Robert Vivier (Grasset).
Pour ceux – et je pense qu'ils sont nombreux qui sont peu ou aucunement initiés à l'antoinisme, l'ouvrage de M. Robert Vivier apportera les notions complémentaires nécessaires et leur apprendra avec profit ce qu'est ce culte antoiniste, véritable religion en marge du catholicisme, comment il fut créé, quelles en furent les origines et quelle fut surtout la personnalité de son fondateur, ce Louis Antoine, surnommé par la suite le Guérisseur.
Ouvrier belge, des environs de Liége, Antoine se servit de son fluide, de son pouvoir magnétique pour guérir certains malades et fonder une secte religieuse basée uniquement sur la guérison des maux. Il réussit à acquérir un nombre suffisant d'adeptes pour construire un Temple. Il y en a aujourd'hui quarante, dont deux à Paris. Le processus par lequel passa Antoine au cours de son existence nous est relaté fort bien par M. Vivier. Conçu sous forme de vie romancée, l'ouvrage se lit avec facilité.
On pourrait seulement reprocher à l'auteur de n'avoir pas su – ou pas voulu – prendre parti. Cette vie d'Antoine, il nous la raconte en effet sans commentaire aucun, sans que l'auteur intervienne en quelque façon au cours du récit. A aucun endroit, on ne trouve trace de quelque scepticisme, d'ironie voilée, d'objections à certains faits, de réserves plus ou moins justifiées. Par exemple, M. Vivier nous rend compte de la séance de spiritisme au cours de laquelle le guéridon s'agite et où des voix se font entendre sans qu'il exprime le moindre doute sur la réalité de l'expérience. Plus tard, il n'essayera pas d'entrer dans la pensée d'Antoine. Nous ne connaissons le héros du livre que par l'extérieur, c'est-à-dire par ses faits et gestes, mais son état d'âme intérieur nous reste complètement étranger. Antoine était-il aussi convaincu, sincère, désintéressé qu'on veut bien nous le montrer ? A la fin de sa vie, devenu grand-prêtre d'une nouvelle Eglise, il avait bâti un temple où se pressait la masse des fidèles et recueillait des oboles. Tout cela n'est pas sans amener quelques réserves, je veux dire sans que nous mettions en doute la pureté du « saint ». On eut admis de la part de M. Vivier moins d'objectivité envers la figure dont il retraçait la vie.
Enfin mais là l'auteur n'est plus en cause on regrette que la question sociale ne se soit posée à Antoine, ancien ouvrier de la mine, à aucun moment. On en vient à penser que voilà une vie presque aussi inutile que d'autres, puisqu'elle ne fut qu'au service de quelques-uns et non de l'humanité entière, puisque de la bouche d'Antoine n'est sortie aucune parole pour flétrir la société capitaliste, les possédants, cette minorité qui gouverne le monde et tient sous sa férule la masse de ceux qui travaillent et produisent. Avec le pouvoir que possédait Antoine, peut-être eût-ce été à guérir le monde, et non une poignée de malades, qu'il eût travaillé.Manuel LELIS.
Commune, revue de l'AEAR, 1er janvier 1936
Organe officiel de l'AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires), la revue Commune — proche également du Parti communiste français — tenta de définir ce que pouvaient être, en France, la culture et la littérature prolétariennes.
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