• Simone de Beauvoir - Ce serait la justice, la fraternité, la liberté

        Ils marchaient ; ils marchaient vers la Bastille, vers la Révolution, vers l'Avenir ; la tyrannie allait être vaincue et bientôt il n'y aurait plus de misère, plus de classes, plus de frontières, plus de guerres, plus de meurtres : ce serait la justice, la fraternité, la liberté, bientôt la raison gouvernera le monde, ma raison, une voile blanche s'engloutissait à l'horizon, les hommes allaient conquérir le loisir, la prospérité, ils arrachaient à la terre ses richesses, ils construiraient de grandes villes claires, j'arrachais les forêts, je défrichais les brousses, des routes sillonnaient le globe tacheté de bleu, de jaune et de vert que je tenais entre mes mains, le soleil inondait la Jérusalem nouvelle où les hommes en robes blanches échangeaient le baiser de paix, ils dansaient autour des feux de joie, ils trépignaient dans les sombres arrière-boutiques, assis dans les boudoirs parfumés, ils parlaient, ils parlaient du haut de leurs chaires à voix mesurée, à vois basse, à voix haute, ils criaient : "Vengeance !" Là-bas au fond des boulevards noirs s'ouvraient un paradis rouge et or où le bonheur avait l'éclat cuivré de la colère ; c'est vers ce paradis, qu'ils marchaient, chaque pas les en rapprochait.

    Simone de Beauvoir, Tous les hommes sont mortels
    Folio n°533, Paris, 1992 (p.515)


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