• Tu aimeras ton prochain comme toi-même (pour les Musulmans)

    Encore une observation: alors que la doctrine chrétienne prescrit d'aimer son prochain comme soi-même, la doctrine musulmane prescrit d'aimer pour son frère (an yuhibba li-akhî-hi) ce qu'on aime pour soi-même. La formulation islamique de la règle d'or n'est pas motivée par des exigences linguistiques ou syntaxiques de la langue arabe, elle est plutôt intentionnelle : aimer non pas l'autre, mais « pour l'autre ce que [...] ». L'objet de l'amour se trouve au-delà de l'homme parce qu'il se trouve, à nouveau, en Dieu. Comme l'écrivit l'éminent théologien médiéval Ghazâlî (m. 505/1111), Dieu Seul est Celui qui mérite l'amour ; et l'amour de l'homme pour lui-même conduit directement à Dieu du moment que l'existence de tout homme est due à Dieu. 
    Mais qui est celui pour lequel on doit aimer ce qu'on aime pour soi-même ? Un autre grand compilateur de propos et faits prophétiques reconnus comme canoniques, Tirmidhî (m. 278/899), rappelle immédiatement que « si tu aimes pour les gens ce que tu aimes pour toi-même, tu es musulman ». Et le frère aussi est musulman : d'après la littérature de Tradition pas très différente en celà de la littérature néo-testamentaire la fraternité est une idée liée avant tout à l'appartenance à la même confession : nombreux rappellent que le frère du musulman est le musulman, que le frère du croyant est le croyant, que l'on est frères dans la religion de Dieu et dans son livre, ou mieux dans le pacte de l'Envoyé, et que, lorsqu'il prie, même l'esclave est un frère. Le Coran même déclare que « les croyants sont tous frères » (Coran 49,10) qu' « Il a mis de l'harmonie dans le cœur, et pour Sa grâce vous êtes devenus frères » (Coran 3,102-103).
    L'appel à l'amour fraternel doit donc être interprété, dans la plupart des cas, dans un sens confessionnel. Encore une fois Ghazâlî explorant les pêchés du cœur et l'envie, écrit que « la créature n'arrive pas à la véritable foi tant qu'elle n'aime pas pour les autres musulmans ce qu'elle aime pour elle-même ; ou mieux, il est nécessaire qu'elle soit coparticipante dans le bon et le mauvais sort. Les musulmans sont en effet comme un unique édifice dont une partie est reliée à l'autre, ils sont comme un seul corps où, si un membre souffre, le reste du corps souffre lui aussi » La règle d'or d'après l'islam peut donc se retraduire de la façon suivante : aime le Seigneur et aime Sa Parole selon le Coran, et ton amour envers Dieu, en d'autres termes ta foi, soit au bénéfice de toi-même et également au bénéfice de tous les musulmans. Il ne suscite donc aucune merveille que cette règle, si clairement marquée par les traits du confessionnalisme, soit devenue parfois, du côté islamique, une invitation à la conversion : le notable baghdadien Ahmad ibn al-Munajjim (IX-X siècle après J.-C) écrivit au chrétien Qustâ ibn Lûqâ en conclusion d'une lettre sur la vérité de l'islam : « J'ai achevé le bon conseil pour toi, j'ai aimé pour toi ce que j'ai aimé pour moi-même. Crains Dieu, Celui vers lequel tu vas, et reviens à la vérité qui est pour toi la chose plus digne vers où revenir » .
    Il est clair que ce qui précède ne prétend évidemment pas de réduire ou de discuter le poids culturel et encore moins la portée de paix d'Une parole entre vous et nous ; mais plutôt de remarquer, comment il est désormais habituel de recueillir de grandes paroles qui sont sans aucun doute valables pour le dialogue, mais qui sont isolées, déracinées de leur contexte culturel. Il y va de même avec « lâ ikrâh fî al-dîn », le célèbre « aucune constriction dans la Foi » contenu dans la Sourate de la Vache (Coran 2,256), cité entre autre, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme en Islam rédigée en 1981 sur initiative du Conseil islamique d'Europe, repris par Benoît XVI dans la lectio magistralis de Regensburg et ensuite dans la réponse suivante d'influents théologiens et juristes musulmans, la Lettre ouverte à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI. Dans ce cas-là également, la parole coranique figurait partout sans relations de sorte, dans un sens général et absolu, comme précepte trans-historique, mettant de côté les nombreuses restrictions à ce sujet, des restrictions que l'exégèse coranique a bien illuminées au cours de sa longue histoire. Mais les particularités culturelles existent, même en matière de religions révélées. Que conclure ? Voilà une réponse difficile. Louis Massignon écrivit que le succès ne consiste pas à rechercher des mesures communes et des dénominateurs communs ; «Ce que nous devons essayer de faire converger est ce qui se trouve de plus authentique dans l'originalité de chaque religion». Cependant, constater la tendance à relire l'écriture à nouveau, mot par mot, sans pré-compréhension, est déjà important.

    source : http://www.arzillier.ch/images/Aimer%20le%20prochain%20pour%20l'islam.doc.


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