• Un nouveau temple antoiniste à Schaerbeek (L'Étoile belge, 3 août 1925)(Belgicapress)

    Un nouveau temple antoiniste - Schaerbeek (L'Étoile belge, 3 août 1925)(Belgicapress)

     UN NOUVEAU TEMPLE ANTOINISTE

        Dans toute la ville, on rencontrait, hier, des citoyens paisibles aux mines austères de quakers, et tout de noir vêtus, le corps serré dans une longue lévite étroitement boutonnée jusqu'au col, coiffés d'un chapeau haut-de-forme en feutre mat, aux larges bords plats. Avec eux, de très nombreuses femmes en uniforme, rappelant celui de certaines béguines : mantille et bonnet noir entouré de tulle tuyauté.
        Ce n'est pas sans une certaine curiosité que les passants les dévisageaient, intrigués la fois par leur nombre et par leurs mines compassées.
        Qui était-ce donc ? Tout simplement des adeptes du culte antoiniste, venus de tous les coins du pays pour assister à la consécration du nouveau temple de Schaerbeek. De Liège seulement, par trois trains spéciaux, il en était arrivé plus de 1800.
        Le nouveau temple – le troisième à Bruxelles – est situé rue Jacques Rayé, une artère à peine amorcée au milieu de terrains vagues, près du boulevard de la nouvelle ceinture. Rien de l'aspect d'une cathédrale d'ailleurs. C'est un gentil bâtiment en briques roses, percé de larges baies et aux portes de chêne clair.
        A 9 heures du matin, il y a là une foule immense d'hommes en lévite, de femmes en mantille, et, lorsqu'une pluie soudain se met à tomber, c'est une boule de houle de parapluies qui s'étend à perte de vue. Il y a aussi pas mal de profanes, attirés là par la simple curiosité et dont les vêtements clairs jettent, parmi tout ce noir, une image choquante.
        La mère Antoine, souveraine pontife du culte – qui est aujourd'hui officiellement reconnu par les pouvoirs publics – tint à venir en personne procéder à la consécration du temple, mais son état de santé ne le lui a pas permis.
        Une adepte que nous interrogeons nous dit que la Mère est, à son avis, en train de se préparer au « grand voyage ». Il annonce cela, sans affectation, simplement, comme une chose naturelle dont on ne saurait s'émouvoir ou s'attrister. La Mère Antoine a, en effet, près de 80 ans, mais le Père dit que la mort était le commencement de la vie.
        En son absence, c'est le frère Musin – reconnu par ses coreligionnaires comme un homme éclairé dans l'enseignement du culte – qui va procéder à l'opération avec l'aide de la Mère de Rogneaucourt.
        Le culte est fort simple d'ailleurs. Quelques adeptes se sont groupés sur le parvis du temple devant lequel on a amené l'emblème du culte : l'arbre de la science et de la vue du mal, en zinc découpé et monté sur une longue hampe.
        Devant lui, tous les assistants se découvrent et le frère Musin, l'air inspiré, lève les bras vers la foule dans un geste d'imposition. Cette attitude d'ailleurs le transfigure, ses traits se détendent, se figent, dans une expression de béatitude, comme si une paix immense descendait en lui. Ses yeux, levés vers le ciel, peu à peu se révulsent. Un courant fluidique semble s'établir entre lui et les autres frères et sœurs qui le fixent, hypnotisés, et on sent comme le souffle de leur foi intense qui passe, les unissant dans une communion spirituelle, émouvante, hallucinante même.
        Soudain, une sœur arrivée au paroxysme de la tension nerveuse s'évanouit, sans même que l'attention de ses voisins s'en distraie. On l'emporte à l'écart et c'est tout. Sur tous ces visages comme pétrifiés où les yeux seuls vivent, animés par la flamme d'une révélation mystérieuse, la même expression de mysticisme frappe.
        Ils voient, ils sentent, par on ne sait quel obscur mécanisme de psychose collective qui se propage dans l'atmosphère recueillie, de sublimes abstractions dégager leur esprit de la matière et l'inonder de lumière par le miracle de la foi.
        C'est comme une extase.
        Mais la pluie lentement se met à tomber et le frère Janin, officiant du nouveau temple, ancien commandant de la marine française, procède à la lecture des dix principes de Dieu, révélés au père Antoine, et transmis par celui-ci à ses disciples. Le style en est quelque peu hermétique, mais, nous dit un frère, il paraît que personne ne peut dès l'abord en saisir la profondeur. Il faut la pratique et surtout la foi.
        En voici quelques-uns :

    Si vous m'aimez,
    Vous ne l'enseignerez à personne,
    Puisque vous savez que je ne réside
    Qu'au sein de l'homme.
    Vous ne pouvez témoigner qu'il existe
    Une suprême bonté
    Alors que du prochain vous m'isolez.
    *
    *   *
    Quand vous voudrez connaître la cause
    De vos souffrances,
    Que vous endurez toujours avec raison,
    Vous la trouverez en l'incompatibilité de
    L'intelligence avec la conscience
    Car elles sont la base des termes de comparaison.
    Vous ne pouvez ressentir la moindre souffrance
    Qu'elle ne soit pour vous faire remarquer
    Que l'intelligence est opposée à la conscience.
    C'est ce qu'il ne faut pas ignorer.
    *
    *   *
    Ne vous laisser pas maîtriser par votre intelligence
    Qui ne cherche qu'à s'élever toujours
    De plus en plus ;
    Elle foule aux pieds la conscience,
    Soutenant que c'est la matière qui donne
    Les vertus,
    Tandis qu'elle ne renferme que la misère
    Des âmes que vous dites
    « Abandonnées »,
    Qui ont agi seulement pour plaîre
    A leur intelligence qui les a égarées.
    *
    *   *

        Faut-il entendre par là que l'intelligence est incompatible avec la conscience et avec la croyance aux enseignements antoinistes ? Notre incompétence en cette exégèse ne nous autorise pas à risquer une interprétation. Mais revenons au temple.
        Bientôt les portes s'ouvrent et les fidèles sont autorisés à en visiter l'intérieur. Ce qui ne se fait pas sans encombre, étant donnée l'affluence. Une grosse demi-heure s'écoule avant que nous puissions, dans la cohue, atteindre le seuil.
        Une désillusion nous attend d'ailleurs. Plus rien ici ne rappelle l'intérieur d'un quelconque édifice consacré au culte église, synagogue, pagode, mosquée, pastophore ou hypèthre.
        C'est la nudité absolue, froide, sans aucune image ou ornement qui permette de reposer un instant le regard.
        Imaginez une vaste salle carrée de douze mètres de long sur autant de large, au sol carrelé, percée de trois baies aux vitres claires. Les murs blanchis à la chaux, d'une nudité uniforme et désolante encadrent cette vacuité. Dans le fond, un petit pupitre en bois peint, comme ceux qu'on trouve dans les écoles pauvres, est surmonté d'une affiche de papier bleu sur laquelle ce texte se détache en caractères blancs :

     L'AUREOLE DE LA CONSCIENCE
    « Un seul remède peut guérir l'humanité ; La Foi ; c'est de la foi que naît l'amour : l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu Lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de Le servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité. »

         A part cela rien !
        Dans le Narthex qui donne accès à la salle, les naophylax et les néocorats canalisent la foule qui lentement fait le tour de la Cella. Çà et là, dans les angles, des mateologiens, plus ardents demeurent adossés au mur les mains jointes, les yeux clos, perdus dans une rêverie télétique, retranchés dans la tour d'ivoire de leur anagogie.
        Ils sont, chaque jour, plusieurs dizaines de milliers, comme cela, dans les 49 temples que le culte antoiniste a élevés à ce four pour servir à l'enseignement du Père ! Ce sont quelques dizaines de milliers de braves gens avides d'idéal !                                                                                                           G. H.

    L'Étoile belge, 3 août 1925 (source : Belgicapress)


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