• Un prophète de l'optimisme - M. Coué en Belgique (La Meuse, 24 mai 1923)(Belgicapress)

    Un prophète de l'optimisme - M. Coué en Belgique (La Meuse, 24 mai 1923)(Belgicapress)UN PROPHETE DE L'OPTIMISME

    M. COUÉ EN BELGIQUE

        M. Coué est un petit homme sans façon, assez court sur pattes, bonne tète obstinée, front large et gonflé, des yeux enfoncés, des joues un peu flasques, barbiche blanche à la Poincaré. Ce n'est pas ainsi que nous nous figurions les prophètes, mais nous avons l'habitude des désillusions et nous ne tiendrons pas rigueur à M. Coué de ne pas ressembler à l'image conventionnelle.
        Des journaux, des lettres d'Amérique nous disent que, depuis le voyage que fit M. Coué là-bas, une vague d'optimisme passe sur les Etats-Unis, une sorte de reprise de conscience et de confiance. Grâce à ce petit homme simple et bon, l'Amérique reprend joie et courage. Des instituts ont été fondés pour propager les méthodes du professeur d'optimisme, des instituts qui, naturellement, ressemblent à ces temples, et on a créé des Sociétés, qui, naturellement, ressemblent aussi à des sectes religieuses.
        Pourtant, M. Coué se défend de prêcher une doctrine religieuse et il ne veut pas davantage être pris pour un rebouteux ou pour un hypnotiseur.
        – Je suis, nous a-t-il dit son arrivée en Belgique, un brave homme ordinaire.
        Etre un brave homme, dans ces temps-ci, est déjà extraordinaire et légitime, une renommée qui grandit et fait aujourd'hui de M. Coué une manière d'apôtre que se disputent à la fois les théosophes, les savants des recherches de l'au-delà et tous les amateurs de phénomènes en marge de la science académique.
        M. Coué a écrit un petit livre où il donne quelques recettes de bonheur : il fait des conférences théoriques et des expériences pratiques, et voici qu'il vient de convaincre un bon millier de Bruxellois de l'étonnante chose qu'est l'autosuggestion consciente.
        Selon M. Coué – et nous le croyons volontiers – l'imagination est plus forte que la volonté et nous pouvons régler celle-ci par le jeu de celle-là et ainsi obliger l'inconscient à obéir à notre imagination, s'il résiste à notre volonté.
        Mais M. Coué ne complique pas son enseignement de lourdes explications semi-scientifiques et pédantes. C'est un brave homme de pharmacien, pas prétentieux pour un sou, et qui vous débobine sa méthode avec l'application du potard qu'il fut, plissant méticuleusement la papillote d'un flacon de drogue.
        L'autosuggestion est vieille comme le monde, dit-il. Quand le serpent, dans le Paradis, conseilla à Eve de manger du fruit défendu, il faisait de la suggestion, et Eve fit de l'autosuggestion en se persuadant qu'elle pouvait manger de la pomme : elle fit à son tour de la suggestion en parlant à Adam et celui-ci fit de l'autosuggestion en suivant le conseil de sa femme. Nous faisons enfin de l'autosuggestion tout le long du jour et de la nuit, comme M. Jourdain faisait, sans le savoir, de la prose, et toute la base de l'enseignement de M. Coué est là : cette puissance de l'autosuggestion inconsciente, instinctive, servons-nous-en en l'assujettissant à notre imagination.
        Là-dessus, M. Coué y va de quelques petites expériences innocentes. Pressez les mains l'une contre l'autre, entrelacez les doigts et tendez les bras, serrez avec force et persuadez-vous que vous ne pouvez plus détacher les mains une de l'autre : au lieu d'ouvrir les mains, vous crisperez l'étreinte. Dites-vous : « Je peux !... », et, aussitôt, cette étreinte cèdera. Avec un peu de bonne volonté, l'expérience réussit toujours.
        Dès lors, assure M. Coué, l'expérimentateur n'est plus le même homme ; il a découvert que son imagination était une force : il ne lui reste plus qu'à en jouer avec intelligence.
        M. Coué, avec bien d'autres, prétend que beaucoup de nos douleurs n'existent que parce que nous croyons qu'elles sont. Ainsi, dit-il, une personne atteinte d'insomnie ne dort pas parce qu'elle se met au lit avec l'idée préconçue qu'elle ne fermera pas l'œil, comme à l'ordinaire. Il y a beaucoup d'anciens blessés ou d'anciens malades qui marchent avec une Jambe raide simplement parce qu'ils ont pris l'habitude de tenir cette jambe rigide et ne comptent plus pouvoir la mouvoir. Des femmes impressionnables, qui avaient eu un œil caché par un bandeau durant de longs mois ne voyaient plus de cet œil, enfin délivré, alors que les oculistes le déclaraient guéri, et cela par auto-persuasion.
        Aussi, M. Coué nous convie à en finir avec cette duperie de l'imagination. Il nous invite à détruire, dans les mesures du possible, influence pernicieuse de l'habitude de l'indifférence, du préjugé aussi. La plupart des douleurs physiques et morales : idées noires, idées fixes, phobies, disparaissent si nous nous disons à nous-mêmes qu'elles s'en vont.
        Et le bon M. Coué nous indique une recette très simple : Quand vous souffrez, fermez les yeux, et la main sur le front, dites très vite, dix, vingt, trente fois : « Ça passe, ça passe, ça passe ! » Et cela passera.
        Une autre recette, qui élargit l'effet de l'autosuggestion consciente, consiste à dire tout haut, – pour convaincre l'inconscient, – chaque matin, au réveil, et chaque soir, au moment de s'endormir : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Il convient de répéter cette phrase un bon nombre de fois, même sans en analyser le sens, et M. Coué conseille de se fabriquer une sorte de chapelet formé d'une corde à vingt nœuds. A chaque nœud, on prononce la phrase.
        Laissons aux gens qui aiment les rapprochements comparer le « Ça passe » et la phrase du matin et du soir de M. Coué à certaines prières de convention. Laissons aussi aux gens à qui on ne la fait pas de faciles parodies de la doctrine de cet excellent homme. Puisque, avec son enseignement de l'autosuggestion consciente. M. Coué a provoqué des guérisons, réalisé des miracles et fait passer une vague d'optimisme sur les Etats-Unis, nous aurions mauvaise grâce à taquiner cet apôtre et ses disciples.
        Avant d'avoir mis en petits livres jaunes sa doctrine, Antoine le Guérisseur ne faisait pas autre chose que de combiner sa suggestion à l'autosuggestion de celui qui venait le consulter.
        Pour être de bonne humeur, avoir bon appétit, sourire au printemps même quand les saints de glace l'arrosent et le secouent, ne point songer à son propriétaire et bien dormir, M. Coué nous invite à enfermer notre journée entre ces deux affirmations : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. »
        Antoine le Guérisseur donnait, sous d'autres formes, des conseils identiques, mais avec plus de rusticité.
        Un ouvrier du service des Ponts et Chaussées, pas méchant, mais terriblement ivrogne, avait été menacé de renvoi par son chef. Cela se passait à Liège, voici près de vingt ans. Le pauvre pochard avait fait revenir de Paris une drogue détestable, qui, disait l'annonce des gazettes, guérissait de l'ivrognerie : il avait eu des nausées et des tiraillements d'estomac, que quelques petites gouttes de péket avaient pu apaiser. Cet ouvrier, certes, avait la volonté de se débarrasser de son vice. Il fit part son chef de son désespoir, et c'est alors qu'il alla consulter Antoine, dans son premier petit temple de Jemeppe. Le doux rebouteux, en observateur sagace, devina bientôt la qualité du patient. Il lui conseilla de prendre, chaque matin, au moment de partir au travail, un verre à liqueur d'eau fraiche, de s'abstenir de tout alcool jusqu'à midi, de vider encore un petit verre d'eau à ce moment et, en refusant tout alcool, d'attendre le soir, pour avaler encore le verre à liqueur d'eau dans le lit.
        – Dans huit jours, vous viendrez me revoir, avait dit Antoine.
        Au bout d'une semaine, ayant observé ponctuellement le conseil péremptoire du guérisseur, l'ouvrier revint à Jemeppe.
        – Vous voyez bien que vous êtes resté huit jours sans boire de péket, lui dit Antoine : eh bien ! continuez le traitement et si, dans un mois, cela va bien, vous pourrez supprimer les verres d'eau, mais il vous faudra penser à moi le matin, à midi et le soir, et ne pas toucher à une goutte entre ces trois fois.
        Cet ouvrier ne but plus, il a gardé son emploi aux Ponts et Chaussées, vit aujourd'hui de sa petite pension et bénit le souvenir d'Antoine de Jemeppe.
        M. Coué n'est donc qu'un disciple de celui-ci, mais il ne joint pas de doctrines philosophiques à sa méthode, et, contrairement à l'Antoine d'après les livres jaunes, il conseille de combiner l'autosuggestion avec les remèdes indiqués par le médecin. C'est que M. Coué a des diplômes et ne mêle pas la divinité ni le diable à son enseignement.
        On conçoit que l'Amérique, qui, nouvelle riche, jalouse le passé du vieux monde, ses traditions, ses légendes, sa poésie, toutes choses que l'on fabrique avec des siècles et non pas avec des dollars, se jette volontiers au cou du premier prophète qui se révèle. Elle n'a pas les grands pécheurs bibliques, ni les buissons de feu, ni les chars de flamme, ni les anges « trompettes », mais elle a les prophètes aux momies qui ont la firent la doctrine des Mormons : elle connut, voici vingt ans, un prophète qui se déclarait le Messie et finit mal, et elle fonde des instituts pour cultiver les méthodes d'optimisme de Coué. Mieux conseillé, Antoine le Guérisseur eût conquis là-bas une gloire à tapage. Mais il aimait Jemeppe, comme M. Coué aime la France et la Belgique ; et l'Amérique n'a pas de chance. Du moins, pour Antoine ; pour Coué, le proverbe a fait faillite : prophètes en leur pays, ils sont aimés, et le professeur d'autosuggestion consciente, après avoir animé toute la presse de Paris, a conquis Bruxelles et retenu par la plus petite digression l'attention d'un public qui, saisi d'optimisme, oublia du coup les grèves et le prix du sucre pour serrer les poings, dire : « Je ne peux pas » et puis « Je peux », se mettre la main sur le front et dire : « Ça passe ».   
        « Je peux, je ne peux pas » tout est là, disait, en sortant de la première conférence de Coué, un journaliste peu convaincu. Ainsi, je marche et je ne peux plus m'arrêter ; je marcherais dix, vingt heures, mais, en passant devant ce comptoir, je me dis : « Je peux m'arrêter », et je m'arrête pour retirer ma canne et rendre mon ticket à l'aimable dame préposée à la garde du vestiaire.                                                      ISI COLLIN.

    La Meuse, 24 mai 1923 (source : Belgicapress)


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