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Visite aux disciples d'Antoine-le-Guérisseur (L'Intransigeant, 30 juillet 1912)
Visite aux disciples
d'Antoine-le-GuérisseurLes poursuites contre Leclerq affectent beaucoup les « antoinistes ». – L'un d'eux nous raconte les épisodes de sa conversion.
Le chiffonnier Leclercq, l'antoiniste accusé d'avoir laissé mourir sa fillette, a été interrogé hier par le juge d'instruction.
– C'est en lisant un journal hostile à l'antoinisme, a-t-il dit, que je me suis converti à sa doctrine.
Et le malheureux montre à son juge une brochure, l'Unitif, dans laquelle on peut lire « Si l'on ne veut pas périr, il ne faut jamais appeler le médecin, ni prendre de remède. »
Confiant, Leclerq n'appela pas le médecin, et sa fillette est morte, d'où les poursuites d'aujourd'hui.
J'ai franchi ce matin le seuil du numéro 7 de la rue Esquirol, où dans une coquette boutique est installé le siège de l'« antoinisme ». Siège modeste, certes, et que vous prendriez pour un quelconque magasin, si au-dessus ne s'étalait une large banderole sur laquelle on peut lire : « Culte antoiniste ».
– Mlle Canus (sic) ? ai-je demandé.
Mais Mlle Canus, « mère » de l'antoinisme en France, n'était pas là.
Cependant, un adepte est venu à moi : Polonais d'origine, ancien soldat de la légion étrangère, il voulut bien me dire toute la surprise que causent aux « antoinistes » les poursuites contre Leclerq.
– Leclerq, me dit-il, est un homme dont l'équilibre mental est loin d'être parfait. Il a pris à la lettre le conseil : « N'appelez pas le médecin », alors que l'antoinisme, en son esprit, dit bien plutôt : « Il faut croire au Père : la foi en lui vous guérira, quand médications et remèdes seront impuissants pour assurer votre soulagement ».
Leclerq adorait sa petite, il voulait la sauver et priait le ciel de lui accorder sa guérison. Il eût pu, sans s'exposer à notre excommunication, demander le secours de la science : notre Père, en effet, ne l'a jamais interdit.
Et confiant, le disciple d'Antoine me narre tous les bienfaits du culte auquel il appartient :
– Comme beaucoup d'autres, me dit-il, et comme vous-même, peut-être, monsieur, je ne croyais pas à l'antoinisme : j'en riais, j'étais sceptique. Aujourd'hui vous me voyez convaincu.
– Et quels ont été les motifs de cette conversion ?
– J'avais, au Tonkin, contracté les fièvres, une maladie de foie et plusieurs autres maladies coloniales : j'étais un homme perdu quand le hasard mit sur ma route un homme qui de manière lumineuse m'exposa la doctrine antoiniste.
Je l'écoutai d'une oreille complaisante, peu à peu ses enseignements me pénétrèrent et j'en compris toute la grandeur et toute la beauté.
– Et vous avez été guéri ?
– Non, pas immédiatement : à force d'efforts moraux, je suis parvenu à dominer mon mal : il peut me faire souffrir, me torturer, je ne le sens plus, ou plutôt la souffrance qui en résulte est pour moi une cause de sanctification – et partant de bonheur. Je ressens le bien de ce que tout autre penserait être un mal.
L'antoinisme m'a permis de dominer les souffrances de mon corps et celles de mon esprit : dans l'adversité qui s'acharne sur moi, il m'a permis de n'en voir qu'une source de salut ; il me fait bénir celui-là même qui me combat, il me fait trouver douce toute embûche et toute hostilité.
Et dans un mouvement qui certes n'est pas dénué de grandeur dans sa simplicité, le disciple d'Antoine ajouté à voix basse :
– Tenez, Monsieur, vous le voyez, je suis pauvre, très pauvre : je vis de la façon la plus obscure et la plus ignorée. Il m'arrive parfois de ne pas manger à ma faim : mais je suis heureux, heureux quand même...
Une pause et mon homme ajoute :
– Oui, plus heureux que vous, monsieur, plus heureux que les riches, plus heureux que tous ceux qui passent à mes côtés, quels qu'ils soient. Car ma foi est une source de bonheur que seuls peuvent apprécier ceux qui croient. – AMÉDÉE GARMER.L'Intransigeant, 30 juillet 1912
Il faut lire Mlle Camus et non Canus.
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