• André Gide - L'immortelle n'a pas d'odeur

        Du jour où je parvins à me persuader que je n’avais pas besoin d’être heureux, commença d’habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n’avais besoin de rien pour être heureux. Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l’égoïsme, que j’avais fait jaillir aussitôt de mon coeur une telle abondance de joie que j’en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d’exemple. J’assumai mon bonheur comme une vocation.
        Eh quoi ! pensais-je alors, si ton âme avec ton corps doit se dissoudre, réalise au plus tôt ta joie. Si peut-être elle est immortelle, n’auras-tu pas l’éternité pour t’occuper à ce qui ne saurait intéresser tes sens ? Ce beau pays que tu traverses, vas-tu le dédaigner, te refuser à ses blandices, à cause qu’elles te seront bientôt enlevées ? Plus rapide est la traversée, plus avide soit ton regard ; plus précipitée est ta fuite, plus subite soit ton étreinte ! Pourquoi donc, amant d’un instant, embrasserais-je moins amoureusement ce que je sais que je ne pourrai pas retenir ? Âme inconstante, hâte-toi ! Sache que la fleur la plus belle est aussi la plus tôt fanée. Sur son parfum penche-toi vite. L’immortelle n’a pas d’odeur.
        Âme naturellement joyeuse, ne redoute plus rien de ce qui pourrait ternir la limpidité de ton chant.
    Mais j’ai compris à présent que, permanent à tout ce qui passe, Dieu n’habite pas l’objet, mais l’amour ; et je sais à présent goûter la quiète éternité dans l’instant.

    André Gide, Nouvelles nourritures terrestres (1935), p.12
    source : ebooksgratuits.fr


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