• Guy Dorison - La multiplicité des sectes (La Croix, 10 mai 1953)

    Guy Dorison - La multiplicité des sectes (La Croix, 10 mai 1953)

     SPIRITES, ANTOINISTES ET Cie

    La multiplicité des sectes et des faux prophètes
    ATTESTE LE DÉSARROI SPIRITUEL DE NOTRE TEMPS

        Je suis comme le touriste qui, le soir, après avoir visité tant de paroisses demande où est la cathédrale. Et je commence à croire que le slogan « Dieu a besoin des hommes » lancé par des cinéastes protestants, n'est pas, même exorcisé par les catholiques, la formule qui fixe le tournent du divin et du mystère ; il semble que le vrai est de dire : « L'homme a besoin de Dieu. » Du reportage de M. Maurice Colinon, Faux prophètes et sectes d’aujourd’hui, il ressort comment un chacun, avec les seules lumières de la raison, modèle à sa façon le Dieu dont il a besoin ; mais aussi comment la diversité d'expression d'un même tourment mène à l'idée commune du « Dieu inconnu » des Grecs.
        Ce qui frappe dès l'abord, dans l’exposé que nous fait l'auteur, c'est autant l'architecture de chacune de ces sectes que statuaire qui représente les fondateurs. Sur ce point, M. Maurice Colinon donne les détails les plus piquants.

            Articulations… de mauvaise foi !
        La fondation du « Spiritisme », si familier à nos contemporains, est due à deux jeunes Américaines, Margaret et Katie Fox : en s'amusant à faire craquer leurs articulations, elles s'aperçurent que le « fantôme » leur répondait ! Aujourd'hui, plusieurs millions de fidèles se sont accrochés à ce qu'elles ont avoué plus tard être une duperie.
        Et que sont devenues, par la suite, ces « saintes fondatrices » ? Kate, 60 ans, est une « véritable ruine mentale et physique adonnée aux liqueurs intoxicantes », Margaret, au même âge, « n'a plus ni sens moral ni contrôle sur ses pensées ou ses désirs ». Et l'auteur de conclure que cet immense mouvement religieux spirite tire son autorité des origines les plus suspectes.
        Pourquoi donc les adeptes de cette religion nouvelle qui compte tant de « prophètes » et de « guérisseurs », qui enregistre tant de « miracles », n'adopte-t-elle pas les méthodes de l'Eglise catholique lorsqu'elle étudie la réalité et le caractère des guérison de Lourdes.

            Le spiritisme au music-hall
        Maurice Colinon souligne avec quelle crédulité certains savants, comme Lombroso, et des écrivains, comme Victor Hugo, se sont laissés mystifier par les apparences fallacieuses de fantômes et d'ectoplasmes. Il cite à ce propos l'opinion du Dr Locard, spécialiste des énigmes policières et des mystères spiritualistes : « Un observateur impartial est en droit de conclure que la doctrine spirite ne repose pas sur des faits mais matériels positifs et, dès à présent, certains. »
        Robert Houdin, le fameux illusionniste, ne fit-il pas déchoir de leur piédestal les frères Davenport, médiums de réputation universelle, dont les trucs, débarrassés de leur présentation, figurent encore au programme des music-halls ? Et quand les pèlerins se rendent sur la bombe du « prophète » Allan Kardec, au Père-Lachaise, se doutent-il que ce Lyonnais n'a fait que monnayer le mythe des tables tournante si chères à Victor Hugo ? « Des deux, écrit l'auteur, contrairement à toute attente, c'est Rivail (dit Kardec) qui devait donner au spiritisme sa forme et sa gloire définitives. »

            Un « Père », une « Mère » et « M. Homais »
         Je ne suis pas allé sur la tombe d'Allan Kardec, pour cette raison que je ne suis jamais allé au Père-Lachaise. Mais j'ai vu dans les rues de Paris ce convoi funèbre avec le drap mortuaire vert qui piquait la curiosité des passants. Savaient-ils qu'il s'agissait d'un enterrement antoiniste ? Je l'aurais ignoré tout comme eux si les circonstances ne m'avaient fait approcher des membres de cette religion fondée par un jardinier belge, « le Père Antoine ». M. Maurice Colinon nous dit que la mort de cet illuminé, survenue en 1912, aurait peut-être mis fin à l'antoinisme. Mais il y avait sa veuve, « le Mère », qui lui survécut plus de trente ans et qui organisa cette religion comme une vaste entreprise de guérison « mystique ». Le plus curieux est que mes amis antoinistes étaient pharmaciens ; ils ne devaient guère porter foi aux médicaments puisque chaque semaine le monsieur imposait les mains pour la guérison des corps et des âmes.
        Nous sommes quelque peu désarçonnés en lisant parmi les principes du « Père » jardinier : « Ne vous laissez pas maîtriser par votre intelligence. » L'intelligence, ce n'est pas tout, la foi est bien supérieure à la charité, donc ! Mais qui saurait nier le don de l'Esprit-Saint qui fit grands un saint-Augustin, un Pascal, un Thomas d'Aquin et tant d'autres ?
        Les antoinistes ne sont déjà plus d'accord entre eux ; les Belges ne tiennent l'imposition des mains pour valable que si elle s'effectue au cours d'un culte collectif ; les Français la considèrent comme effective dans les guérisons individuelles. Comme nous sommes loin de l'Evangile ! Il ne s'agit plus d'Incarnation, mais de « désincarnation ». L'anniversaire de la désincarnation du Père Antoine est la plus fête de l'année !
        J'ai bien essayé de discuter. Je n'avais pas les arguments convaincants. L'Evangile, les Epîtres de saint Paul, la Somme théologique, n'auraient pas fait perdre un pouce de ses convictions à cet Homais moderne. Pour lui, le Pape ne valait pas mieux que son Père Antoine ! Et sa femme, vêtue comme une nonne, nous quittait pour aller faire la dame de charité dans le quartier.

            Le goût du mystère
        M. Maurice Colinon continue ses visites. Voici les « Adventistes » et « Amis de l'homme ». Puis les « Témoins de Jéhovah » et les « Mormons ». Enfin, les « Quakers ». Il y en a tant de ces petites religions, que l'auteur doit dresser en dresser un lexique en fin de son volume. Il semble que le stade des grandes hérésies soit dépassé : les multiformes luthériens ou calvinistes ont cédé la place aux prophètes nouveaux qui drainent des millions d'âmes inquiètes de mystères et affamés de « miracles. »
        Pour ne pas faire créance aux vérités que la foi enseigne, on s'émeut à la vue d'une étoile filante ou d'une salière renversée ; on touche du bois, on porte un bout de corde de pendu. Tant et si bien que les superstitions entrent dans le domaine des convenances ; ne pas allumer une troisième cigarette avec la même allumette, offrir du muguet le 1er mai, ne pas avoir treize invités à table ! Combien de chrétiens se soumettent à ces sornettes, comme à des règles de la bienséance.
        Il faut savoir gré à M. Maurice Colinon de nous doter de ce tour d'horizon sur les nouveautés en religion. Il le fait de la plus objective façon, sans jamais dénoncer le manque de sincérité de ceux qui, aussi, cherchent l'évasion au delà du matérialisme. Ce sont nos frères qui peinent dans l'erreur, c'est vers eux que va notre sollicitude, parce qu'ils sont les témoins du désarroi spirituel.
        « Pourquoi l'occultisme connaît-il la vogue que nous savons ? écrit dans la préface M. Daniel-Rops. Pourquoi devins et voyantes prétendent-ils recourir à des méthodes scientifiques ? Pourquoi des sectes gagnent-elles des adeptes, jusque dans des classes sociales réputées pour avoir l'esprit capable de jugement. De telles questions mériteraient d'être méditées aussi bien par les partisans d'un rationalisme total que par les tenants des églises établies. Aux premiers, cela apprendrait que, quoiqu'ils en aient, l'éternelle inquiétude de l'homme survit, en dépit de tous les athéismes, de tous les matérialismes. Mais peut-être aux seconds, des réflexions s'imposeraient-elles sur leurs responsabilités propres ; si le christianisme se voit attaquer par telle ou telle de ces « petites religions », il serait sans doute bon de se demander si une certaine aridité rationaliste dans son exposé et un manque de ferveur, ne sont point parmi les causes de ces progrès. »

    Guy Dorison, La Croix, 10 mai 1953


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