• L'âme ténébreuse et l'âme lumineuse chez Jacob Boehme

    L'âme naît dans ses propres profondeurs et lorsqu'elle en émerge, c'est pour accéder à la lumière. Ces profondeurs sont ténébreuses. Le chemin que parcourt l'âme va des ténèbres à la lumière. L'âme ténébreuse, c'est l'âme qui ne se connaît pas. L'âme lumineuse se connaît en même temps qu'elle connaît Dieu. Le cycle de l'âme, c'est le passage des ténèbres à la lumière, c'est-à-dire de l'inconscient au conscient. Dans l'inconscient, l'âme se cherche. Lorsqu'elle s'est élevée à la conscience, elle s'est trouvée, selon les expressions employées par Boehme.
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    Peut-on prêter à Dieu le désir ? Certes, Boehme dit avec les théologies dogmatiques que Dieu ne connaît pas le désir. Dieu est une volonté vierge qui n'est sujette à aucune détermination. Seulement, ce Dieu que Boehme appelle la Divinité pure, c'est Dieu en soi, c'est l'Absolu. Ce Dieu dont les théologies dogmatiques font le sujet de leur enseignement, est pour Boehme le Dieu à jamais caché. Il ne peut se révéler à l'homme parce qu'il n'a aucun rapport avec la création. Ce n'est pas le Dieu créateur. Ce Dieu est le pur esprit et il est totalement insaisissable. Il ne se connaît pas lui-même. Un pur esprit ne se connaît pas.
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    La faculté de produire des images, c'est l'imagination. Chez Boehme, l'imagination n'est pas un don de fabulation gratuite. Elle produit une réalité, bonne ou mauvaise. Notre imagination, ce sont toutes nos pensées et tous nos sentiments réunis dans un seul regard. Ce regard se nourrit soit des ténèbres, soit de la lumière, et il nous engendre à la ressemblance de l'un ou de l'autre. Pour Boehme, l'âme tout entière est un oeil et cet oeil nous engendre, pour le meilleur comme pour le pire.

    La bonne imagination, c'est la foi. C'est elle qui nous engendre à l'image du Dieu de lumière. Nous avons été créés à l'image de Dieu. Mais pour Boehme, l'image est double, car Dieu, tel qu'il se révèle, est d'abord la colère, puis la lumière. La véritable image est celle du Dieu de lumière, l'autre n'étant qu'un simulacre. L'image lumineuse est évoquée conjointement avec le lys.

    Le désir demande à être satisfait. D'abord il est insatiable. Sa voracité ne produit que la négation de tout vrai désir : la crainte. Mais un autre désir va sourdre, qui tout en renaissant éternellement, sera éternellement accompli. Pour cela, il faut que meure le premier désir.

    La volonté changée en désir est une volonté qui se cherche. Tout d'abord elle ne rencontre que le vide creusé par son appétit. Puis elle se trouve dans un désir capable de créer une substance dont il se nourrisse réellement. Cette création se fait ex nihilo par la magie de l'imagination. La substance ainsi engendrée formera un corps spirituel. L'esprit, qui est la volonté, se nourrira de ce corps, comme lui-même se sera nourri de l'esprit.

    En se trouvant dans ce corps, la volonté passe du rien de l'esprit pur à l'être de l'esprit incarné dans une chair mystique. Ceci est l'oeuvre de l'imagination créatrice. C'est par elle que Dieu crée le monde. C'est aussi par l'imagination que s'opère ce que Boehme appelle la seconde création de l'âme, qui est notre seconde naissance.
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    Le feu dévorant, c'est le feu sans la lumière. C'est ce que représente Adam après son péché. Comment Adam a-t-il péché ? En sombrant dans le sommeil et par la magie du rêve. Son imagination s'est exercée de manière perverse. Quelle a été la conséquence de ce péché ? Adam a perdu son corps céleste et la lumière qui rayonnait en lui. En même temps Eve naissait du songe d'Adam.

    Adam était androgyne, il est devenu mâle. Adam mâle n'est plus qu'une moitié d'Adam. Eve est son autre moitié. Dans la virilité d'Adam, il n'y a plus que le feu dévorant. C'est ce feu dévorant qui a engendré Eve. Toute vie n'engendre que son semblable. Eve ne pouvait naître qu'à l'image d'Adam déchu. Cependant, avant même de chasser Adam et Eve du paradis, Dieu a donné à leur postérité une promesse de rétablissement en déposant dans le sein d'Eve une semence qui est un germe de lumière. Cette semence restera comme en sommeil jusqu'au moment la voix de l'ange la fera éclore dans le sein de Marie. Dans le corps céleste du Christ, le feu transmué s'unira à la lumière.

    Le corps céleste du Christ représente la totalité retrouvée. Le Christ est androgyne, comme le seront après lui toutes les âmes qui se seront trouvées.

    PIERRE DEGHAYE, LA FLEUR DU FEU. DE LA SUBLIMATION DANS LA THÉOSOPHIE DE JACOB BOEHME (1927)
    Revue française de psychanalyse : organe officiel de la Société psychanalytique de Paris (gallica2)


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