• L'intelligence est un jugement (Henri Delacroix - Le langage et la pensée)

        Qu'est-ce donc que l'intelligence ?
        L'élaboration de nouvelles habitudes est une formes de comportement intelligence. Savoir monter des mécanismes, c'est non seulement faire économie d'effort en remettant à l'habitude ce qui exigerait de la présence d'esprit, c'est encore créer l'outil nécessaire au travail, et sans lequel le travail ne peut être effectué.
        Il y a du reste deux procédés de formation des automatismes. Il y a un procédé mécanique d'apprentissage, il y a un procédé intelligent. La simple répétition, l'élimination des actes inutiles, la systématisation croissante des moments de l'action, la formation du système clos sans recours à l'intelligence. Il y a une forme d'adaptation qui tend vers la pure habitude : frayage et meilleur fonctionnement des voies nerveuses ; amélioration de valeur des réponses ; méthodes des essais et des erreurs : dans tout cela nous retrouvons les formes élémentaires de la structure et de l'activité nerveuses, la plasticité, le frayage, la formation de connexions.
    [...]
        L'intelligence est discernement et choix. [...] Unifier et distinguer, telle est sa tâche : établir des rapports. [...] L'intelligence se mesure non d'après ce qu'on a fait, mais d'après ce qu'on peut faire. Elle est capacité et non pas acquisition.
    [...]
        On peut parfaitement vivre en se passant de toute pensée. On vit alors sur le plan de l'action : réflexes, instincts, habitudes. La meilleure partie de la vie animale s'écoule ainsi, éclairée parfois peut-être, chez les animaux supérieurs, de quelques jeux d'images, de quelques lueurs de pensée confuse et indifférenciée. A ce stade de vie mentale, pont de langage.
    [...]
        Pour penser, il faut d'abord n'être plus une chose parmi les choses, il faut se placer hors d'elles pour les apercevoir comme choses et agir sur elles par des moyens inventés.
    [...]
        Les forces physico-chimiques elles-mêmes, le mécanisme, n'est-ce pas de l'intelligence ? L'intelligence est partout où il y a arrangement et système : en ce sens l'existence tout entière est intelligence pour le philosophe, mais ce qui le psychologue appelle intelligence, c'est l'intelligence qui apercevant tout cela, s'aperçoit ; et comme Aristote disait de Dieu : la pensée de la pensée.
    [...]
        Nous en revenons toujours au jugement et aux concepts. La notion, le concept, la chose pensée, n'est qu'un jugement virtuel, le concept n'est élément du jugement que parce qu'il est produit du jugement ; le chien, l'arbre, la vertu ne sont rien, sinon une affirmation, quelle qu'elle soit, à propos du chien, de l'arbre ou de la vertu. On ne les pense qu'en pensant quelque chose d'eux. Ce qu'on appelle la compréhension, c'est comme une liste ouverte de jugements en nombre indéfini. A chaque fois qu'il les manie, l'esprit isole une portion de cet ensemble et se fixe sur elle pour un temps plus ou moins long ; il oscille parfois entre une série d'affirmations plus ou moins vaguement esquissées. Ce qui donne au concept l'apparence d'être isolable, c'est justement qu'il peut être engagé dans des séries différentes qui se tiennent en échec. De la vertu ou du chien, je puis penser bien des choses différentes. C'est cette détermination virtuelle, cette indécision du savoir qui donnent au concept l'apparence de se suffire.

    Henri Delacroix, Le langage et la pensée, p.97 et suivantes (1924)
    source : gallica2


    Tags Tags :
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :