• La Belgique et ses dieux (1985)

    La Belgique et ses dieux (1985)La Belgique et ses dieux (1985)

    Auteur : Michel Voisin et Karel Dobbelaere
    Titre : Sectes et nouveaux mouvements religieux en Belgique (p.359-362)

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    Titre        La Belgique et ses dieux: églises, mouvements religieux et laïques (with English introduction and summaries)
    Auteur        Liliane Voyé, Karel Dobbelaere, Jean Rémy, Jaak Billier
    Éditeur        Cabay, 1985 - Recherches Sociologiques, Volume XVI, numéro 3 (spécial), 1985, quatrième partie (religions non catholiques et sectes) - Université Catholique de Louvain (Belgique). Cf. https://sharepoint.uclouvain.be/sites/rsa/Revues/1985-XVI-3.pdf
    ISBN        2870773196, 9782870773192
    Longueur    430 pages


        Cet ensemble de dix huit exposés, introduit et conclu par les quatre éditeurs, se présente comme la contribution belge à la 18e Conférence internationale de sociologie religieuse (C.I.S.R., Leuven-Louvain-la-Neuve, août 1985) et sous le patronage de la revue Recherches sociologiques : "bilan de la recherche en sociologie des religions" telle qu'elle est conduite en Belgique et sur la Belgique. Quatre parties : religion et modernité, catholicisme et politique, évolutions récentes du catholicisme, religions non catholiques et sectes. Flandres et Wallonie sont équitablement représentées (ont eût aimé au moins une étude sur Bruxelles et son agglomération), même si l'auditoire international semble parfois un peu oublié : on y donne des chiffres et des pourcentages sans indication (sauf erreur) de la population totale : on y emploie des mots néerlandais non traduits (vrijzinningheid, etc.), ou traduits mais non commentés (verzuiling : pilarisation). Tout ne va pas de soi pour tous les lecteurs, même si les plus anciens habitués des Archives savent pouvoir se reporter au N°8 (Actes du Ier Colloque européen de sociologie du protestantisme, mai 1959) pour y trouver chez J.P. Kruijt l'explication de cet important phénomène, le Zuil (p.106).
        L'ouvrage comble un vide. Tout n'y est pas d'égale qualité. J.Rémy et L?Voyé, aidés par A.Tihon, ouvrent le feu avec un chapitre rapide, anecdotique, parfois approximatif, sur "L'Eglise catholique de Belgique et la transaction avec la modernité", mais se rattrapent avec une excellente analyse, "Perdurance des clivages traditionnels et différences d'enjeux prioritaires". Le catholicisme s't taille la part du lion, avec son originalité, sa vitalité, ses difficultés : c'était inévitable en ce "pays de monolithisme religieux". Deux chapitres sont consacrés à la religion des jeunes, un aux pèlerinages en Wallonie. P.Delooz fait le point démographique des prêtres diocésains, séminaristes, religieux et religieuses. Une attention particulière est donnée aux minorités religieuses, véritablement minoritaires : protestantisme (entre 50 et 100 000), judaïsme (35 000, essentiellement Anvers et Bruxelles), islam (reconnu depuis 1974, environ 200 000), antoinisme (seul mouvement d'origine belge, fondé en 1970, 150 000 au début du siècle, en déclin sans chiffres connus à ce jour), Témoins de Jéhovah (20 000 proclamateurs), Eglise de scientologie (6 à 7 000), entre une et quelques centaines pour les "sectes de type nouveau" ; minorité spécifique, la franc-maçonnerie (14 000) et ses liens avec la pensée laïque.
        Les deux chapitres consacrés à cette pensée laïque auraient pu être la grande nouveauté du volume. Celui d'Hubert Dethier (Flandres) est d'un acteur impliqué plus que d'un sociologue ; celui de Claude Javeau (Wallonie), qui semble lui donner la réplique (n'est-ce qu'une apparence ou le signe du débat en cours ?), est d'un sociologue impliqué et distancié, mais trop cursif. On apprend beaucoup à lire H.Dethier et d'abord sur le "contentieux laïque" dont il est le témoin : mais comment s'étonner qu'entre une libre pensée militante et une Eglise confessante, le heurt soit frontal ? En revanche, apparaissent deux problèmes qui auraient mérité plus de développement. H.Dethier revendique de l'Etat belge une "reconnaissance légale de la philosophie laïque" et que "l'absence de pratique de tout culte" soit subventionnée au même titre que les cultes reconnus. A quoi Cl.Javeau objecte : "Ne va-t-on pas, à côté des Eglises avec Dieu, vers la constitution d'une Eglise sans Dieu" et à donner des allures ecclésiales à une laïcité institutionnalisée qui engendrera "ses propres effets d'orthodoxie" au détriment du principe de libre-examen individuel dont elle se réclame ?
        Le second problème tient à la réalité même de ce "pilier laïque" face au "pilier catholique", c'est-à-dire à l'unité postulée de cette laïcité qui s'évanouit dès qu'on cherche à la cerner, mais dont l'affirmation masque la véritable réalité : le conflit de classes entre bourgeoisie libérale et travailleurs socialistes. H.Dethier doit bien le reconnaître. Les efforts pour jeter une passerelle entre ces deux p$oles ont échoué : "Il faut croire que les clivages sociaux empêchèrent toute entente" (p.37). La libre pensée libérale "se trouvait à des lieux des idéologies prolétariennes" (p.40). Les maçons socialistes un court moment réunis aux maçons libéraux, vers 1870, étaient "issus de la bourgeoisie libérale" (p.42). En vérité, le grand absent de cet ensemble, c'est le socialisme dont l'idéologie et les adhérents méritaient d'être étudiés par une sociologie religieuse.
          Emile Poulat

    Archives des sciences sociales des religions, 1986, Volume 62, pp. 336-337
    source : persee.fr

     

    Auteur : Michel Voisin et Karel Dobbelaere
    Titre : Sectes et nouveaux mouvements religieux en Belgique (p.359-362)
    in La Belgique et ses dieux
    CABAY - Recherches Sociologiques, Volume XVI, numéro 3 (spécial), 1985, quatrième partie (religions non catholiques et sectes) - Université Catholique de Louvain (Belgique). Cf. https://sharepoint.uclouvain.be/sites/rsa/Revues/1985-XVI-3.pdf

     

        Dans ce papier les auteurs étudient huit mouvements religieux en Belgique, dont l'Antoinisme est le seul d'origine belge. La foi mondiale Baha'ie, le Mormonisme et les Témoins de Jéhovah ont émergé au siècle dernier ; l'Eglise de l'Unification, la Scientologie, le Rasjneeshisme et l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna sont de nouveaux mouvements religieux. Ces groupes, les Témoins de Jéhovah excepté, ont un succès très relatif en Belgique. Il semble aussi que les particularités belges n'ont presqu'aucune incidence sur le recrutement et la structuration de ces mouvements. Les nouveaux mouvements religieux et les Baha'ie recrutent surtout auprès des cadres moyens du secteur des services, les autres auprès des ouvriers et employés du secteur productif. L'article analyse entre autres les différentes fonctions sociales qu'ont ces groupes religieux pour ces diverses catégories sociales.

     

    Introduction

        On ne trouvera pas ici une information exhaustive sur les sectes et les mouvements religieux en Belgique, pas davantage qu'une typologie de ces mouvements, dont la littérature rapporte un grand nombre d'essais. Notre sélection est volontairement arbitraire : elle a été dictée par les informations déjà disponibles. Seules quelques investigations complémentaires ont été effectuées, pour actualiser nos données. Nous avons cependant veillé à ce que les nouvelles sectes n'éclipsent pas complètement les anciennes. C'est délibérément que nous avons ignoré le problème de l'appellation exacte qu'il convient de donner à ces différents mouvements, réservant cette discussion pour un autre moment. Le fil conducteur de notre analyse a été de voir ce que l'existence même de ces mouvements pouvait nous apprendre sur la société belge et son évolution.

        Les huit mouvements religieux que nous allons présenter ici sont apparus à différentes époques sur des fonds culturels divers. Nous parlerons tout d'abord de l'Antoinisme, fondé en Belgique au début du XXème siècle. Nous poursuivrons en évoquant trois sectes datant du siècle passé : le Baha'ie, originaire de Perse, le Mormonisme et les Témoins de Jéhovah, deux sectes chrétiennes d'origine américaine. Les quatre autres mouvements dont nous parlerons sont apparus après la Deuxième Guerre Mondiale, et s'apparentent, à des degrés divers, à la religiosité asiatique.

     

    I. Le culte Antoiniste

        L'Antoinisme, ou culte antoiniste, est sans doute la seule secte d'origine belge dont la notoriété et le succès ont largement débordé nos frontières, tout particulièrement en France. Son fondateur est Antoine Louis (1846-1912), ouvrier métallurgique d'origine liégeoise, qui abandonne le catholicisme à l'âge de 42 ans pour s'intéresser aux associations spirites, alors florissantes. S'étant découvert des dons de guérisseur, qu'il exploite sans se faire payer, il transforme sa maison en cabinet de consultation où il reçoit journellement 50 à 60 personnes en 1900, de 500 à 1200 en 1910. Les moyens utilisés sont d'abord la prière, l'imposition des mains, la liqueur Koene, le papier et le linge magnétisés, etc. A la suite d'un procès pour exercice illégal de la médecine, il abandonne ces pratiques pour ne conserver que la prière et l'imposition des mains. En 1906, il se sépare du mouvement spirite dont il désapprouvait, sans doute sous l'influence de la théosophie, "l'expérimentation scientifique", c'est-à-dire les séances d'entretien avec les disparus. Son groupe, d'abord appelé les Vignerons du Seigneur, devient alors le Nouveau Spiritualisme. Antoine développe son œuvre de Révélateur pendant trois ans. Son enseignement est recueilli par des adeptes dont les notes, revues par le Père, constitueront bientôt les livres sacrés : La Révélation par le Père Antoine (en deux parties : L'Enseignement et Le Couronnement) et Le Développement de l'Enseignement du Père. Sera également révélée la robe caractéristique des antoinistes que portent les adeptes qui le souhaitent : lévite noire et chapeau haut-de-forme pour les hommes ; jupe plissée, corsage, châle et bonnet noirs pour les femmes.

        Le culte est officiellement constitué en 1910 avec la consécration du premier temple à Jemeppe-sur-Meuse. Lors de la "désincarnation" du Père, le culte fut dirigé par Mère, son épouse, jusqu'à son propre décès en 1940. Cette date marque le déclin de l'Antoinisme, accentué par une guerre de succession entre le neveu d'Antoine, le Père Dor, et son concurrent. Le succès de l'Antoinisme fut grand au début du siècle : environ 150.000 adeptes, dont 50.000 en France selon Woodrow (1977:53). Il s'est particulièrement bien implanté dans les milieux ouvriers du bassin liégeois et dans un certain nombre de villes françaises (cf. liste in Debouxhtay, 1945:25-26). Le dernier temple belge fut consacré en 1968, à Retinne (ancienne cité charbonnière comptant une forte population immigrée) et un nouveau temple doit être prochainement ouvert dans la région parisienne. Ces dernières créations ne doivent cependant pas faire illusion ; le culte est en forte régression, ses adeptes sont âgés. Selon son desservant, le temple de Retinne accueille environ 50 personnes chaque semaine mais il ne précise pas si ces "adeptes" participent au culte (avec ou sans la robe) ou viennent seulement "consulter" (les guérisons par la Foi se pratiquent dans un petit bureau annexé à la salle du culte). Il y aurait aujourd'hui 31 temples en Belgique, 28 en France et environ 150 Salles de Lecture (souvent des habitations particulières) où l'on procède seulement à la lecture de l'Enseignement. En dépit d'un déclin qui est sans doute lié à celui de l'activité charbonnière, les brochures (jaunies) parlent de progrès constant et signalent des implantations au Brésil, aux Etats-Unis et dans divers pays d'Europe. Aujourd'hui, l'activité principale des desservants est de prodiguer des conseils spirituels pour résoudre des problèmes de toute nature.

        La doctrine, le culte et les temples où ils se pratiquent sont d'une grande simplicité. Faisant face à la tribune, l'emblème (portant l'inscription : Culte antoiniste. L'Arbre de la Science de la vue du Mal") et aux portraits géants de Père et Mère, les fidèles peuvent se réunir les quatre premiers jours de la semaine à 10 heures, pour "l'opération générale". C'est une brève cérémonie durant laquelle le desservant reproduit les gestes des fondateurs : élévation spirituelle, distribution des "fluides" et imposition des mains. En soirée, on procède également à la lecture de l'Enseignement.

        Tout en se défendant de pratiquer des "sacrements", les Antoinistes ont des rites de baptême, de mariage et, les plus connus, d'enterrement. La bière est recouverte d'un drapeau vert, couleur de la secte, et est portée, si possible, par des adeptes revêtus de la robe. On procède à la lecture des "Dix Principes" à la maison mortuaire et à celle de la "Réincarnation" sur la tombe.

        Les ministres du culte sont bénévoles. Des panneaux indiquent que tous ces services sont rendus gratuitement. L'Antoinisme refuse toute aide extérieure : ses ressources ne proviennent que des dons anonymes des membres. On ne vend rien, sinon les livres sacrés, et on ne fait pas de prosélytisme.

        L'enseignement d'Antoine, plus moral que religieux, bien que révélé, est basé sur la croyance en la réincarnation, le mépris de l'intelligence (opposée à la "conscience") et du monde matériel, l'inexistence du mal, la divinité de tout être, l'amour du prochain, etc. L'ascèse doit consister à briser la domination de l'intelligence, qui "nous a détournés du vrai chemin", à nous dégager de la matière, pour suivre les inspirations de la conscience qui "ne peut nous tromper". L'enseignement ne s'accompagne d'aucune obligation explicite mais recommande à tous égards l'humilité, la réduction des besoins factices, l'éloignement des plaisirs qui écartent de Dieu – message qui ne devait logiquement trouver un écho qu'auprès des plus démunis.


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