• La Médecine pittoresque (Le Républicain de Belfort, 19 février 1927, p.4)

    La Médecine pittoresque (Le Républicain de Belfort, 19 février 1927, p.4)CHRONIQUE

     LA MEDECINE PITTORESQUE

    Chez les guérisseurs. – Les bons et les pires. – Du zouave Jacob à l'antoinisme. – Comment on guérit les malades. – La ruse du médecin incompris.

        Le tribunal correctionnel de la Seine a jugé, ces jours-ci, un masseur hindou inculpé d'exercice illégal de la médecine. Ce brave homme qui, soi-disant, rééduquait les muscles, a vu des médecins affirmer, devant les juges, les uns qu'ils lui devaient la guérison impossible, les autres qu'il n'entendait rien à l'anatomie et qu'il confondait les tendons et les nerfs… Cela n'a, peut-être, au surplus, qu'un intérêt assez mince : l'essentiel, c'est que la méthode soit bonne ; or, il paraît qu'elle était infaillible.
        On condamnera notre masseur tout de même, puisqu'il est entendu que, seule, la Faculté a le droit de soulager les malades et même d'aggraver leur état : mais s'il faut s'incliner devant la loi et accepter de bonne grâce ses rigueurs, on peut cependant constater que certains guérisseurs mériteraient mieux que la paille humide des cachots, car leur science est indéniable, comme sont indéniables les résultats qu'ils obtiennent.
        C'est entendu, il en est de mauvais et même de pires – n'est-il pas aussi des médecins redoutables ? – et c'est à cause de cela qu'il faut user de prudence avant de formuler, sur tel ou tel d'entre eux, un jugement définitif. Il en fut comme le père Clerc, ce paysan jurassien qui a son buste en bronze dans son village, ou comme Béziat d'Avignonet, mort l'an dernier, qui ont guéri d'innombrables malades.
        Comment opèrent-ils ? Habileté des doigts chez les rebouteux, influence morale, connaissance profonde des effets des simples : autant d'hommes, autant de manières. Pour les derniers, c'est souvent la foi qui sauve ; seulement, n'inspire pas la foi qui veut.
        Chanter les louanges des guérisseurs serait un rôle bien ingrat et plein d'embuches ; nous n'entendons point le remplir. Il est autrement intéressant de passer en revue les plus pittoresques d'entre eux et de rappeler leurs prouesses.

    *
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        Leurs pratiques furent de tous les temps. Il y a quelques siècles déjà que leurs ancêtres, les sorciers de village, soignaient les entorses et les foulures avec un signe de croix, cinq pater et cinq ave en disant : « Torture, foulure, va-t-en, tu es guérie ! » et aussi les vers des enfants en leur attachant au cou des billets pliés couverts de signes cabalistiques.
        Les guérissaient-ils ainsi ? Il ne faut point demander l'impossible : n'était-il pas déjà méritoire de soulager les galeux avec des emplâtres d'herbes ?
        Pour se limiter aux choses de notre temps, il est certain que le patron des guérisseurs et le plus célèbre depuis un siècle, fut le zouave Jacob, ancien trombonne de la garde impériale.
        Vers 1867, il s'était installé à Paris où il devint tellement populaire qu'on alla jusqu'à reproduire sa tête en pipe.
        N'a pas qui veut un tel honneur.
        Vêtu d'une robe de moine, les pieds nus dans des sandales, il recevait en foule les malades qui venaient à lui. Après avoir prié et médité, il s'arrêtait soudain devant un homme :
        « Où souffrez-vous ?
        – Au bras !
        – Eh bien ! vous ne souffrez plus ! »
        A une vieille qui se plaignait de douleurs intestines, il secouait le ventre avec violence et la femme criait tout à coup : « Ça va mieux, je suis guérie ! » Et il devait bien en être ainsi, puisque la renommée s'étendait, au point que des rois eux-mêmes consultaient notre militaire. Ce qui ne l'empêchait pas d'être, de temps en temps, poursuivi devant le tribunal auquel il disait avec philosophie : « Persécutez le vieux zouave, vous l'immortalisez ; il vous attend au jugement de Dieu. »

    *
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        Philippe-le-Guérisseur eut une vogue aussi grande, mais moins durable. C'est lui que le tsar Nicolas II appela à Saint-Pétersbourg pour le consulter sur la santé de l'impératrice et qui en revint comblé de présents. Il y eut aussi Antoine-le-Guérisseur, forgeron de Jemmapes (Belgique) qui fit mieux que de soigner les malades et d'en guérir, puisqu'il fonda « l'antoinisme », religion universelle qui compte encore de très nombreux adeptes et qui possède des temples dans diverses villes... et jusqu'à Monaco.
        – « Comment je procède, répondait ce brave homme à un journaliste qui l'interrogeait. Rien n'est plus simple. Un malade se présente-t-il ? Je lui ordonne de penser au Père (le Père, c'était lui-même). De mon côté, je lui communique ma pensée, puis je m'endors et je lis à livre ouvert dans ses parties souffrantes. Je souffre de sa douleur, je l'accapare, je l'extirpe peu à peu de son corps pour la pulvériser, l'égrener, la disperser au dehors. »
        Il avait fondé un journal, l'Unitif, qu'il dirigeait dans un style incompréhensible, ce qui ne lui aliénait ni les fidèles, ni les souffrants, qui trouvaient auprès de lui la paix de l'âme ou le repos du corps.
        Il y a quelque vingt ans, une brave femme des Batignolles, qui soignait par les simples, eut une heure de célébrité. Elle avait absolument convaincu de sa science un journaliste parisien presque oublié aujourd'hui, Charles Chinobolle, qui lui fit une réclame énorme. L'histoire ne dit pas si elle la méritait.
        Chaque ville a son guérisseur et même, on peut dire qu'à Paris, il n'est pas un quartier qui ne possède son mage. Il en est dont les pouvoirs curatifs – du moins ceux qu'ils se prêtent – sont au moins singuliers. Tel possède une formule magique contre les plaies ; tel chasse le ver solitaire ; l'un « rajuste le crochet de l'estomac » ; un autre fait disparaître la timidité ou procure l'amour de la femme aimée...
        Certains sont des escrocs, d'autres des illuminés, parfois des savants aussi. Un ancien chef de la sûreté, M. Goron, a raconté qu'un jour il avait mandé à son cabinet un guérisseur qu'il se proposait de faire poursuivre pour avoir exercé la médecine sans diplôme.
        – « Mais, répondit l'homme, je suis docteur et voici mes diplômes. Je végétais comme médecin ; comme rebouteux je fais fortune. Gardez-moi le secret de ma supercherie ».
        Rien ne prouve, d'ailleurs, que celui-là guérissait mieux que les autres.
                                                                           Georges ROCHER

    Le Républicain de Belfort, 19 février 1927, p.4


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