• La vie bizarre d'Antoine le guérisseur (Le Soir, 9 juin 1934)(Belgicapress)

    La vie bizarre d'Antoine le guérisseur (Le Soir, 9 juin 1934)(Belgicapress)La vie bizarre d'Antoine le guérisseur

        On a déjà beaucoup écrit sur l'antoinisme et sur son fondateur. Mais, jusqu'à présent, nous ne possédions guère d'étude d'ensemble, vraiment objective. On voici une qui nous paraît bien intéressante et que M. Pierre Debouxhtay, docteur en philosophie et lettres, publie chez l'éditeur liégeois Fernand Gothier. Le travail est d'ordre hiérographique ; il enregistre des faits, retrace le développement de l'antoinisme, analyse fidèlement les doctrines en se fondant sur une masse compacte, trop compacte, de documents inédits.
        Qui est Antoine ? Qu'est-ce que l'antoinisme ?
        Pour le président de la Fédération spirite belge, qui a des raisons pour ne point être de sang-froid, « la théosophie comme l'antoinisme sont deux tiges parasites venues sur l'arbre sain et fort du spiritisme. Mme Blavatzky, comme M. Antoine, ont tous deux été instruits, développés, élevés par la pratique de la médiumnité ; à un moment donné, pour devenir les chefs personnels d'un mouvement de croyances, ils ont tous deux abandonné l'expérimentation et se sont mis à endoctriner leur entourage en parlant de leur propre autorité, selon ce que leur petit jugement personnel leur permettait d'imaginer ».
        Appréciation de partisan. Antoine est-il mieux que cela ? Nous nous garderons bien de répondre à cette question. Ce que nous avons, c'est qu'il naquit en juin 1816, à deux lieues de Liége, au hameau de Mons, qui faisait partie alors de la commune de Flémalle-Grande et qui appartient aujourd'hui à Mons-Crotteux. Fils d'un houilleur, Louis-Joseph Antoine fit ses études primaires, puis travailla dans la mine. Il devint ensuite ouvrier métallurgiste. Pourquoi ? Parce qu'il souffre de l'estomac, disent d'aucuns ; parce qu'il est sujet, prétendent d'autres personnes, à des phénomènes bizarres : par exemple, sa lampe s'éteint toute seule, sans cause apparente, tandis que celles de ses compagnons demeurent allumées...
        Tour à tour, machiniste, marteleur, encaisseur, assureur, Antoine se tire toujours d'affaire, car cet autodidacte au cœur sensible et scrupuleux est un débrouillard. Après avoir accompli son service militaire à Bruges, il est rappelé sous les drapeaux lors de la guerre franco-allemande et, au cours d'une manœuvre, accidentellement, il tue un soldat, ce qui l'impressionne vivement.
        La guerre finie, Antoine va travailler en Prusse où il prend connaissance, dit-on des théories d'Hegel ; ces doctrines seraient à la base de la révélation antoiniste. En août 1876, il rentre à Jemeppe achète un cheval et vend des légumes. Mais ce commerce ne lui réussit pas. Il gagne la Pologne avec sa femme qui y tient pension et ramasse de l'argent. Nouveau retour à Jemeppe. Cette fois, Antoine fait construire une vingtaine de maisons ouvrières ; il a du foin dans les bottes et il peut se contenter de son léger métier d'encaisseur.
        Dans la région de Liége, où il s'est répandu surtout à partir de 1866, le spiritisme d'Allan Kardec a déjà beaucoup d'adeptes qui se réunissent hebdomadairement pour évoquer les esprits. Antoine se fait spirite et il se rend dans les bois, dit-il, à la recherche des esprits. Pour travailler plus efficacement à la diffusion de ses idées, il fonde bientôt la société « Les Vignerons du Seigneur » et, dans son local de Jemeppe, il voit affluer les disciples. « Le mysticisme, note Célestin Demblon, naît la plupart du temps dans les villes où il y a trop de fumée. »
        Spirite acharné, Antoine reçoit beaucoup de monde, ne se fait pas payer, mais place un tronc dans son cabinet. Du coup, le voilà condamné pour exercice illégal de la médecine.
        « Depuis douze ans, dit Antoine au juge qui l'interroge, je me livre journellement à la guérison des malades, je n'ai aucun diplôme, je guéris toutes les maladies ou plutôt je soigne toute espèce de maladie.
        Chaque malade que je reçois entre dans mon cabinet, je lui pose la main sur la tête et je me recueille, je me livre à la prière et pendant ce temps m'arrive l'inspiration qui me permet de dire la maladie ou l'infirmité dont souffre le patient ; quand celui-ci a foi en moi, je ne me trompe jamais ; j'insiste et je répète que je crois fermement que je ne me trompe jamais sur la cause du mal.
        Quand le siège du mal est ainsi déterminé, je fais des passes avec la main sur la partie malade et, en ce faisant, je me confine dans mon examen du malade...
        J'ai une recette générale ; elle consiste dans un morceau de papier que j'ai magnétisé par attouchements et par des prières ; en remuant ce papier dans de l'eau, celle-ci acquiert une vertu supérieure qui la rend propre à guérir les personnes qui la boivent : deux papiers sont bons pour magnétiser un litre d'eau... »
        A la suite de cette condamnation, Antoine ne prescrivit plus de drogues à ses patients. Il cessa d'être un simple rebouteux et devint fondateur d'une religion qui ressemble assez à cette « Christian Science », que connaissent les Etats-Unis. Désormais, Antoine guérira par la foi. Il effectuera des passes individuelles et collectives, travaillera avec les fluides éthérés, évoquera les morts.
        Comme il a eu des ennuis avec les médiums et comme il se sent attiré par la théosophie, il rompt, en 1906, avec le spiritisme et crée le Nouveau Spiritualisme, religion de l'Amour à base entièrement morale et non plus scientifique comme la doctrine de Kardec.
        Antoine commence sa mission de Révélateur. Il a de nouveaux démêlés avec la justice et s'en tire par un acquittement. Du coup, c'est l'apothéose.
        En 1900, il recevait chaque jour de 50 à 60 personnes ; en 1901, 115 ; en 1905, de 200 à 400 ; en 1907, de 400 à 500 ; en 1912, de 500 à 1,200 ! En même temps, des monceaux de lettres lui arrivent. On lui attribue des guérisons miraculeuses, des prophéties, des apparitions. A sa mort, survenue le 25 juin 1912, lorsque, « ayant terminé son œuvre, il rentre dans le fluide éthéré de l'amour divin », une affluence d'étrangers remplit les rues de Jemeppe.
        Aujourd'hui encore, les dévots d'Antoine se rendent sur sa tombe, au cimetière de Jemeppe, et emportent, en guise de reliques, les cailloux qui la recouvrent.
        Car l'antoinisme, malgré les attaques des catholiques et des protestants, s'est développé non seulement en Belgique, mais encore à l'étranger. En août 1914, il avait, dans notre pays, 7 temples et 61 maisons de lecture, il avait 66 sanctuaires en France et il s'implantait au Brésil, au Canada, aux Etats-Unis, au Congo. A l'heure actuelle, il compte 27 temples en Belgique, dont 19 rien que dans la province de Liége, et 15 en France. Les antoinistes qui portent la tunique spéciale sont assez peu nombreux.
        Par contre, on estime que les adeptes sont au nombre d'environ cent mille, petits bourgeois, artisans et femmes. Tous se rangent sous l'emblème antoiniste : « L'arbre de la Science de la vue du mal » ; tous vénèrent le père Antoine, fils de houilleur wallon.                                                   D. DENUIT.

    Le Soir, 9 juin 1934 (source : Belgicapress)


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