• La vie est un songe de Calderón (introduction de Didier Soulier)

        Le sentiment du transitoire et du périssable est au coeur de la méditation du temps,
            " Sous le poids des années
            toute grandeur s'efface.
              Rien ne peut arrêter
            la conquête du temps ",
    créant un déchirement fécond pour la conscience, divisée ente son attirance pour la beauté et l'aperception de la vanité des choses. Telles est la fonction, dans l'écriture caldéronnienne, de la fréquente référence aux fleurs, que, pour mieux souligner la spécificité espagnole, l'on opposera à l'invitation célèbre, sous la plume de Ronsard, à cueillir le plaisir avant qu'il ne soit trop tard :
            " Elles qui furent gloire et allégresse,
            en s'éveillant dans la clarté du jour,
            au soir elles seront navrante vanité,
          dormant dans les bras de la nuit glacée ". (Le Prince constant, traduction de B. Sesé)
        Une telle division crée comme deux ordres de réalité que peuvent représenter, par exemple, les deux voix que l'on entend constamment dans le théâtre du Siècle d'Or, d'une part, celle des sens, qui s'abandonne à la jouissance et que symbolise le gracioso ou valet bouffon, d'autre part, le discours de l'idéalisme des maîtres, qui célèbre le nécessaire dépassement des apparences et le renoncement, à la manière de Sigismond : "Arrière les majestés feintes, arrière les pompes fantastiques, arrière les illusions... Pour moi, plus de mensonges, car, désabusé de tout, je sais que la vie n'est qu'un songe."
        Enfin, il n'est pas interdit de penser que, pour la génération de Calderón, la coïncidence de la décadence avec l'exploitation littéraire du thème du songe permettait de se réfugier commodément dans un sentiment diffus et consolant : puisque l'Histoire satisfait de moins en moins les exigences de l'Espagne, c'était bien parce qu'il ne s'agissait que d'un monde dégradé, pur reflet trompeur et vain du céleste ; ce dernier échapperait à la malédiction du devenir et de l'illusion, de toute la distance qui sépare une existence décevante de l'éternité et de l'absolu. Dans ces conditions aussi, la vie n'était qu'un mauvais rêve, dont les justes et les vrais chrétiens se réveillaient dans l'au-delà pour être enfin récompensés.
        Quand le monde déçoit, il ne reste plus qu'à le nier.

    Calderón, La vie est un songe,
    Introduction de Didier Soulier, p.VIII et IX
    Le Livre de Poche, classique


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