• Le nom et le pronom personnel

    Le nom personnel n'apparaît pas tout d'abord. L'importance du moi est telle et si omniprésente, qu'il peut demeurer un certain temps inexprimé.
        L'enfant reconnaît très tôt son nom et réagit à l'appel de son nom. Mais souvent il possède déjà un vocabulaire d'un certain nombre de mots avant de se nommer soi-même. Il dit qu'il veut écrire, qu'il veut manger, sans se nommer à ce propos.
        Le pronom personnel apparaît souvent en réponse à la question : "comment t'appelles-tu ?" Ou bien, quand il y a plusieurs enfants : "qui veut ceci ? qui aura cela ?" C'est aussi la question qui déclenche l'apparition du pronom personnel moi.
        On dit parfois à tort que l'apparition du pronom personnel je ou moi marquait l'apparition de la conscience claire de soi ; et l'on sait que Fichte voulait dater la naissance spirituelle de son fils du jour où il avait dit je.
        Il ne semble pas qu'il en soit ainsi. Le sentiment vif de soi ne manque pas à l'enfant. Ce qui est vrai, c'est que le mot moi apparaît assez tard et en général comme réponse affective. Je crois que chez l'enfant français le moi précède de beaucoup le je et précisément parce qu'il est plus personnel. Le je n'est qu'un outil grammatical.
        Le maniement des pronoms est difficile et ne peut s'apprendre par simple répétition, comme les substantifs. Car les pronoms sont interchangeables ; tout le monde dit je en parlant, et le je n'est à personne, et le je qui parle devient le tu, quand on lui parle, ou le il, quand on parle de lui. Un effort d'attention et d'analyse est nécessaire (1). Stern a fait cette remarque que le nom propre généralement précède ; mais quand il s'agit d'enfants qui viennent après d'autres, le pronom personnel Ich apparaît souvent en même temps que le nom ; non pas comme instrument grammatical, mais sous la forme primitive et volontaire du moi. Quand la mère demande : "qui aura cela ?" les enfants répondent, avec une joyeuse émulation : Ich ! et les plus jeunes en apprennent ainsi l'usage.

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        L'apprentissage de la langue maternelle semble se faire très aisément et parfaitement réussir. Et pourtant l'enfant lutte contre toute espèce de difficultés : difficultés sensorielles, motrices, intellectuelles. Il n'est pas inévitablement prédisposé au langage, et il est fort occupé, car il a tout à apprendre. Mais ce qu'il doit apprendre repose en grande partie sur le langage. L'enfant baigne, pour ainsi dire, dans le langage, qui est pour lui, la plupart du temps, une sollicitation de tous les instants. Ce ne sont pas seulement ses intérêts intellectuels, ce sont ses besoins personnels et sociaux qui se satisfont par le langage. La trame du langage recouvre la trame de la vie. Le mot paraît en même temps que l'émotion et que le fait. Toute la puissance de la vie passe dans le langage.


    (1) Un enfant sourd-muet, étudié par Mlle Degand, Arch. de Psych., X, 1911, p.387, ne parvenait pas à employer le pronom je, pour se désigner, bien que certains des exercices scolaires eussent ce but ; il employait toujours son nom : Je O. être sage (je vais être sage) ; O. a j'ai un papa (j'ai un papa). Ce n'est que vers l'âge de douze ans (il parlait assez facilement dès sept ans) qu'il a nettement employé je, d'une façon spontanée.

    Henri Delacroix, Le langage et la pensée, p.310 (1924)
    source : gallica2


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