• Le Petit Haut-Marnais, 1er août et 3 août 1912

    Le Petit Haut-Marnais, 1er août et 3 août 1912PETITS PROPOS

    Antoinisme

       Vous avez vu qu'il y a à Paris une petite chapelle, où c'est Mlle Camus, ancienne marchande de frivolités, qui dit la messe. Mlle Camus, comme tous les néophytes, est pleine de zèle. Mais, entre nous, je la crois un peu timbrée. Quand on va chez elle pour la consulter, Mlle Camus, faite aux enseignements du Père Antoine, se borne à prescrire des prières :
        — Mais, lui dit parfois une cliente que la grâce n'a pas encore visitée, mon petit a très mal au ventre. Est-ce que vous ne croyez pas qu'un bon cataplasme...
        — Le cataplasme est inutile, répond imperturbablement Mlle Camus. Bornez-vous à prier, Dieu vous exaucera.
        Le malade meurt parfois ; mais cela ne déconcerte point Mlle Camus, qui a réponse à tout :
        — Si Dieu n'a pas fait le miracle, explique-t-elle, c'est qu'il ne l'a pas jugé nécessaire. Mais nous avons, cette semaine encore, obtenu deux guérisons, ce qui prouve qu'on peut parfaitement se passer des médecins et de leurs médicaments.
        Les personnes très avares apprécieront beaucoup cette manière de raisonner, car la méthode du Père Antoine et de Mlle Camus permet des économies appréciables. Toutefois, je me permets de supposer que Mlle Camus, si elle avait un de ces jours une dent malade, n'attendrait pas de secours que de la prière pour la lui enlever. Dans une telle conjoncture, un antoiniste même orthodoxe court chez le dentiste. Après quoi, d'ailleurs, elle a congé d'expliquer que, dans la circonstance, le chirurgien n'a été que l'intermédiaire du Tout-Puissant. Je « priai, Dieu la guérit », comme disait l'autre.
        Pour le surplus, j'avoue que je n'ai jamais pu faire comprendre les beautés de l'antoinisme à un galopin de ma connaissance qui souffrait l'autre après-midi d'une violente névralgie. Ce n'est pas que je voulusse le convertir au culte du guérisseur de Jemmapes ; je pensais simplement qu'un somme d'une ou deux heures viendrait à bout de cet ennuyeux bobo. Mais le galopin avait grande envie d'aller jouer à la marelle devant la porte :
        — Donne-moi toujours un cachet de pyramidon, m'a-t-il dit.
        — Mais, mon enfant, je t'ai déjà appris que l'antoinisme....
        — Je sais... je sais... Mais, si tu le veux bien, nous reparlerons de l'antoinisme un de ces jours, — quand il s'agira de prendre mon huile de ricin, tiens !                            GRIFF.

    Le Petit Haut-Marnais, 1er août 1912

     

     

     

    Le Petit Haut-Marnais, 1er août et 3 août 1912

    PETITS PROPOS

    LA PIQURE

        Erreur en France, vérité au Japon. Notre pauvre planète est un vaste champ de contradiction.
        Vous avez lu le récit des derniers moments du mikado. Rien n'est plus touchant. Ces gens en pleurs aux portes du palais ; ce gardien qui se suicide pour apaiser les dieux ; ces bonnes femmes qui apportent des tortues parce que les tortues vivent longtemps et qu'elles pensent ainsi assurer la longévité de leur empereur ; vingt autres traits de la superstition et de l'émotion populaires composent un tableau pathétique. Mais le détail le plus curieux de l'agonie de Mutsu-Hito est assurément celui-ci : L'auguste moribond souffre atrocement. Des injections le soulageraient. Mais va-t-on les lui faire ? Impossible. La personne de l'empereur est sacrée. La moindre égratignure dont on entamerait volontairement sa peau constituerait un crime prévu et puni par la loi. On hésite longtemps. Il y a cinquante ans seulement, on eût renoncé aux injections. Mais le Japon s'est modernisé. On autorise finalement les piqûres. L'agonisant s'en trouve bien, et l'on nous laisse entendre que le médecin qui s'est servi de la seringue de Pravas ne sera pas contraint à faire harakiri. Tout va bien.
        Je parlais, il y a deux ou trois jours, à cette place, des antoinistes de Paris et de leur singulière thérapeutique. Je me demande aujourd'hui si je n'ai pas été trop sévère ou trop sceptique. La différence, en effet, n'est pas si grande entre l'antoinisme de la boutique de la rue Esquirol et l'antoinisme du palais impérial de Tokio. Ceci vaut cela. Et je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qui serait advenu s'il avait fallu, à la suite d'un accident, couper un bras ou une jambe au mikado. Eût-on, dans cette conjoncture, laissé la gangrène te déclarer plutôt que de toucher à la personne de l'empereur ? Quel argument pour Mlle Camus si on la poursuit jamais, comme elle le craint, à la requête du Syndicat des médecins !
        Il est vrai qu'on pourra lui rétorquer que nous sommes en France et non au Japon. Mais elle gardera le droit de penser que la méthode qu'on trouve bonne pour un monarque, rien n'interdit de l'appliquer à de pauvres gens qui paient d'un surcroît de souffrance leur extrême crédulité.

                                                    GRIFF.

    Le Petit Haut-Marnais, 3 août 1912


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