• Le Progrès Civique N° 416 du 06-08-1927

    Le Progrès Civique N° 416 du 06-08-1927

    Auteur : Dr. Marcel Réja
    Titre : Le Progrès Civique N° 416 Du 06/08/1927
    Les guérisseurs mystique - Le Culte Antoiniste par Réja

        L'auteur est également à l'origine du livre Au Pays des Miracles.

    AU PAYS DES MIRACLES

    Les guérisseurs mystiques : LE CULTE ANTOINISTE

    par MARCEL REJA

    Atteint d'une « maladie d'estomac » pour laquelle il avait été « condamné par la science », le Père Antoine, simple ouvrier métallurgiste, se vit guérir, par la simple vertu de la foi qu'il avait en Dieu.
        Echauffé par cet événement, il se mit à écrire les Révélations que Dieu lui dicta, et s'étant aperçu que comme jadis le Christ, il pouvait par sa parole et ses prières guérir les malades, il se livra sans réserve à cet apostolat.
        Ainsi fonda-t-il une manière de religion qui se réfère à un mysticisme plus ou moins chrétien avec mépris total de l'intelligence cause de tous nos maux, et considérations plus ou moins lumineuses sur la métaphysique et la psychologie. Mais le don de guérir fait passer sur toutes les divagations ! Le Père, comme ils disent, a laissé une école vivante surtout en France et en Belgique.
        Les Antoinistes sont des gens modestes et doux, ennemis de toute pompe et de toute vanité. Ils pratiquent les vertus de la primitive Eglise et leurs diacres qu'ils dénomment des adeptes refusent toute rétribution des fidèles, directe ou indirecte.
        Comme feu saint Paul, ils se font un point d'honneur de gagner leur pain quotidien par l'exercice d'un métier séculier, l'apostolat devant rester un exercice tout gracieux.
        D'ailleurs, les manifestations cultuelles sont réduites à un strict minimum. En Antoinisme, tout prosélytisme est sévèrement interdit comme attentatoire à la liberté individuelle. Le chant d'un cantique, le débit d'une homélie ? autant de manifestations théâtrales indignes d'un véritable esprit mystique.
        La demi-heure qui est vouée quotidiennement à l'exercice du culte est exclusivement consacrée à lire les Saintes Ecritures... antoinistes. Celles-ci consistent en deux petits livres que Dieu lui-même a dictés au Père Antoine et dont la distillation constitue la nourriture spirituelle et exclusive des ouailles.
         « Un seul remède, déclare le manifeste du Père Antoine, peut guérir l'Humanité : la Foi. C'est de la foi que naît l'amour : l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend digne de le servir ; c'est le seul amour qui nous fait véritablement aimer, parce qu'il est pur et de vérité. »
        Voilà le tréfonds de la doctrine du Père Antoine.
        Le Christ, son confrère, son prédécesseur, n'avait apporté au monde qu'une morale relativement imparfaite. Aimez-vous les uns les autres !... C'est très joli, mais c'est un peu sec. Poussant à fond la surenchère mystique, notre prophète s'écrie : « Aimez vos ennemis plus que tout au monde !... » et il étaie ce précepte de toutes les démonstrations et de tous les commentaires qu'il peut imaginer.

    *
    *   *

        La chapelle qui, à Paris, abrite les dévotions des frères en Antoinisme ne brille pas par son charme temporel. Quatre murs nus, une chaire à deux étages, des bancs pour les assistants : c'est tout. J'oubliais la pendule au mur et le portrait d'un derviche barbu qui représente le maître de céans. On peut bien dire que le plus dénudé des temples protestants, est un palais en comparaison de cette chapelle. Mais elle est le centre d'une vie mystique intense et le but de pèlerinage de nombreux malades qui, désespérant de la science humaine, viennent en appeler à l'Amour Suprême, à la Suprême Autorité.
        Mon premier contact avec l'Antoinisme fut assez pénible.
        Ayant un soir, à l'heure annoncée pour le service quotidien, gagné la petite chapelle qui s'adorne de l'écriteau « Culte antoiniste », je vis quelques ombres furtives se glisser par la porte entr'ouverte.
        Un vestibule minuscule, un écriteau recommandant au fidèle la plus rigoureuse simplicité pour ses obsèques (les Antoinistes ne meurent pas, mais ils se désincarnent), puis c'est la chapelle elle-même. Une atmosphère de pôle, une chape de glace qui vous étreint brusquement. Clairsemés sur les bancs, les fidèles attendent dans une gravité recueillie.
        Dans ce public où les femmes dominent, il y a des négociants qui n'ont pas l'air trop bien dans leurs affaires... des visages jaunis, des figures où flotte un relent d'anxiété. Quelques béquilles sonnent sur la dalle, quelques « uhms ! » trahissent des bronches inquiètes...
        Mais l'aiguille ayant atteint la demie, le cortège sacré fait son entrée... oh ! très simple : une femme tout de noir vêtue et qui semble une diaconesse, un adepte dont le costume rappelle celui d'un pasteur. Tous deux tête nue, la marche lente, l'allure compassée... Et les voilà qui s'installent face au public dans la chaire à deux étages lui surplombant, elle surplombée... Se sont-ils aperçus que nous sommes là ? Les voici qui se plongent au plus profond de la méditation (ou de la prière).
        Le silence rituel plane soudain. Il n'y a plus ni toux ni béquille, ni seulement respiration. La diaconesse figée tout à coup dresse vers le plafond son visage de matrone inspirée, tandis qu'à l'étage au-dessus, son compère, surpris au moment où il tournait la tête et sa barbiche tout de guinguois, offre l'image d'un fâcheux et définitif torticolis.
        Dans la salle, même effet de momification sur les assistants. Et les mains pieusement emboîtées l'une dans l'autre, avec des airs penchés, complètent pour chacun la silhouette du recueillement le plus édifiant.
        C'est le Musée Grévin qui vient d'envahir la chapelle tout à coup. C'est la minute de silence chère à tous les cercles mystiques. D'autres disent « Je demande un silence ! » ou bien : « Unissons-nous dans le silence ! » Les Antoinistes, soucieux de simplification, se contentent de s'immobiliser sans crier gare.
        Quoi qu'il en soit, cette momification est purement provisoire. Bientôt, la chaire s'anime à nouveau, si l'on peut dire. La diaconesse ouvre un livre relié de noir et commence à lire. Lentement, gravement, d'une voix neutre, monotone d'écolière qui ne comprend pas un mot de ce qu'elle récite, d'une voix entièrement désabusée de toutes les vanités terrestres, d'une voix nostalgique, mécanique, elle poursuit sa lecture.

    *
    *   *

        Cependant une sueur d'angoisse envahit mon front ; J'écarquille des yeux effarés... et je me demande si, par l'effet de quelque terrible indisposition, je ne suis pas devenu tout à coup stupide... J'entends distinctement chacun des mots distillés par la lectrice : ce n'est ni du latin, ni de l'hébreu, ni de l'anglais, ni du moldovalaque... c'est du français ! du français moderne !... et je n'arrive pas à comprendre un traitre mot !... Et ce qui m'inquiète le plus, c'est de voir qu'autour de moi mes frères inconnus conservent une parfaite sérénité. Il ne semble pas que cette prose les bouleverse. Ils écoutent ça comme ils écouteraient autre chose, avec un petit air convaincu.
        La lecture toutefois continue avec moins de régularité, la lectrice s'arrête un instant, jette sur la pendule un regard dénué de toute discrétion, lit encore quelques phrases, et tout à coup s'arrête, ferme le livre, se lève.
        Tout est consommé !
        Alors le surplombant se lève aussi, et sur son geste ordonnateur, le silence à nouveau plane. Le Musée Grévin sévit encore quelques minutes. Puis la voix de l'adepte s'élève :
        – Mes frères, au nom du Père, merci.
        C'est bien fini. Suivons le flot. Je sors complètement abasourdi. Pourtant, une des diaconesses qui veillent à la porte m'a chuchoté au passage d'un air mystérieux :
        – Demain, dix heures... La Grande Opération !
        Et je m'en vais, regrettant qu'une obligation de famille me prive précisément de ma liberté à cette heure-là.
        Cependant le regret de manquer une occasion pareille ne cesse de me lanciner. Et, le lendemain, au moment de prendre le train, je me décide tout à coup. Tant pis pour la famille ! Un taxi. J'arrive à temps à la petite chapelle... pardon, au petit temple. Et le cérémonial simpliste se déroule à nouveau. Mais, cette fois, la lectrice nous lit le texte des « dix principes de Dieu » tels qu'ils furent révélés par le Père :

                           PREMIER PRINCIPE
                   Si vous m'aimez
    Vous ne l'enseignerez à personne,
    Puisque vous savez que je na réside
                   Qu’au sein de l'homme.
    Vous ne pouvez témoigner qu'il existe
                   Une suprême bonté
    Alors que du prochain vous m'isolez.
                           DEUXIEME DRINCIPE
    Ne croyez pas en celui qui vous parle de moi
    Dont l'intention serait de vous convertir.
               Si vous respectes toute croyance
                            Et celui qui n'en a pas,
    Vous savez, malgré votre ignorance,
    Plus qu'il ne pourrait vous dire
    , etc., etc.

        Il y en a dix comme ça. Et c'est là le grand secret ! Et pour récupérer la bonne santé, ces dix principes sont un moyen incomparable, et c'est parce que le Père récitait ces dix principes qu'il obtenait des cures sans nombre, et c'est parce que ses successeurs ont conservé cette tradition que les malades accourent encore vers eux, de toute l'ardeur de leur foi...
        – Mes frères, au nom du Père, merci !
        De nouveau c'est la sortie. Mais, mieux renseigné cette fois, j'observe que beaucoup de fidèles restent à leur place. Ce sont les consultants... Ils ont fait appel à l'intercession curative du Père : leurs noms enregistrés sur un grand livre ont été ou seront communiqués à Jemeppe-sur-Meuse afin que la « maison mère » puisse d'urgence faire des prières à leur intention. Et maintenant, l'un après l'autre on les appelle dans un petit cabinet où l'officiant leur délivre une consultation... purement spirituelle. De bonnes paroles, quelques conseils d'hygiène, et surtout des prières... des prières et encore des prières.
        Car, ainsi que le Père l'a révélé, les plaies du corps ne sont que la conséquence des plaies de l'âme. C'est donc celles-ci qu'il convient de soigner si vous voulez guérir celles-là ! Et tout cela est rigoureusement conforme à la conception générale des mystiques pour qui la maladie n'est que la rançon d'une faute commise par le patient ou par quelqu'un de ses proches... Non que le Père ait jamais nié que la médecine pût guérir ! Il a dit textuellement, un jour ou par hasard il avait oublié d'être obscur :
        – Dans le cas où un malade s'adresse au médecin, c'est sa foi en celui-ci qui le guérit... Le médicament n'est rien en lui-même, notre pensée seule nous le rend efficace...
        Et voilà pourquoi, au moment même où je vous parle, les malades continuent de se rendre au culte antoiniste et d'y recueillir des guérisons véritablement étourdissantes (comme on en voit à Lourdes ou à Lisieux, comme on en voyait au temple d'Epidaure), car la foi appelle le miracle et le miracle appelle la foi... et il n'y a vraiment aucune raison pour que ça finisse !

                                    MARCEL REJA


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