• Le Prophète de Jemeppe (Le Matin, 16 février 1909)

    Le Prophète de Jemeppe (Le Matin 16 février 1909) LE PROPHÈTE
                     DE JEMEPPE

        MAUBEUGE, 15 février. - Dépêche de notre envoyé spécial. - C’était hier un des jours de consultation, si j’ose dire, d’Antoine, le guérisseur, le prophète de Jemeppe-sur-Meuse, et non sur Sambre, ainsi qu’une erreur de transmission téléphonique me le faisait dire. J’ai voulu me mêler à la foule des pèlerins et frissonner un peu de la fièvre d’espoir qui précipite tous ces gens vers l’illuminé.
        Je n’ai pas de chance, pour une fois que j’étais là. Nul cas de guérison miraculeuse ne s’est produit, mais je dois reconnaitre que le prestige du prophète n’en fut en rien diminué.
        Lorsqu’à dix heures j’arrivai à Jemeppe, le temple d’Antoine était déjà bondé, et c’était dans la rue la file lamentable des souffreteux qui, les pieds dans la boue et la pluie sur la tête, attendaient la faveur de pénétrer dans le sanctuaire. Il y avait là des gens de toutes les catégories ; les fourrures somptueuses frôlaient les cottes rudes, et des femmes superbement empanachées voisinaient avec des pauvresses coiffées de leurs seuls cheveux. Mais sur toutes ces faces crispées par des maux ignorés se lisait une même espérance passionnée, chimérique, enivrante ; et j’entendis une femme du peuple, penchée vers un bambin, qu’une toux convulsive secouait en brusques heurts, dire à l’enfant :
        - Ce n’est rien, va, mon petiot. Tout à l’heure, quand tu auras vu Antoine, tu pourras courir avec tes camarades, comme l’année dernière, tu sais bien ?
        Cependant, la foule, toujours renouvelée, s’écoule assez rapidement. C’est qu’Antoine ne retient pas longtemps ses malades. Contre la porte de la petite pièce où il reçoit s’ouvre un guichet. Chaque client y reçoit un numéro d’ordre et pénètre à son tour auprès du maître. La cérémonie est simple, la même à peu près pour chacun. De sa voix molle, un peu hésitante, le guérisseur prononce quelques mots :
        Pensez à l’amour divin. Pensez à moi, souvent ! Vous n’êtes plus malade ! Croyez-le bien ! Allez ! Allez !...
        Et, de la main, il congédie doucement le visiteur rasséréné. Cela dure toute la journée, et jamais une parole de doute ou de récrimination ne s’élève.
        Je m’approchai d’un vieil ouvrier, au moment où il quittait le guérisseur. La faiblesse le faisait tituber et ses yeux brillaient d’un éclat de fièvre.
        – Eh bien ! lui dis-je, cela va-t-il mieux ?
        – Je ne le sens pas encore, monsieur, répondit l’homme, mais certainement je vais me guérir. Antoine me l’a dit !
        Et il s’en fut, tachant d’affermir son pas, fortifié par une certitude plus profonde d’être mystérieux.
        Louis Antoine est peut-être bien un grand médecin.

    Le Matin, 16 février 1909


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