• Les fervents adeptes (Le Grand écho du Nord de la France, 10 décembre 1931)

    Les fervents adeptes (Le Grand écho du Nord de la France 10 déc 1931)Les fervents adeptes (Le Grand écho du Nord de la France 10 déc 1931)

                  Mystiques, charlatans et malades

                        LES FERVENTS ADEPTES
                     D'ANTOINE-LE-GUÉRISSEUR

        Dans une rue calme d'un quartier populeux. En face d'un mur d'usine, la façade grise d'un édifice qui pourrait être une chapelle si le fronton s'ornait d'une croix. Sur ce fronton, deux mots gravés : Culte Antoiniste.
        J'ai poussé la porte verte sur laquelle est écrit :
        Le temple est ouvert jour et nuit aux personnes souffrantes. Tout le monde est reçu gratuitement.
        J'étais dans un vestibule aux murs couverts de pancartes. Une sonnerie discrète avait signalé ma présence.
        Une porte latérale s'ouvrit. Un homme jeune en longue redingote noire fermée jusqu'en haut par un col de vareuse s'approcha, les mains jointes, me salua de la tête avec beaucoup d'aménité et me demanda si j'étais venu pour une consultation...
        Il y a près de six ans déjà, j'avais assisté à la consécration du Temple par Mère Antoine. J'avais vu, alors, de nombreux adeptes : les hommes semblables à des Quakers avec leurs lévites et leurs gibus plats, les femmes, même les jeunes, vêtues de pèlerines et coiffées de bonnets noirs garnis de petits tuyautés de tulle. Et l'on m'avait expliqué ce qu'était ce culte, né en Belgique où il est assez répandu et, du reste, reconnu d'utilité publique par décret royal.

                        Le Père

        Voici à peu près :
        Les Antoinistes sont des chrétiens, Moïse, disent-ils, reçut de Dieu les dix commandements. Quelque deux mille ans plus tard, Jésus-Christ incarna la divinité. Et près de vingt siècles après, le père Antoine – qu'on appelle maintenant le Père, tout court – à son tour a porté en lui la Révélation divine.
        Des centaines de milliers de malades ont afflué jusqu'en 1912 chez Antoine-le-Guérisseur, à Jemeppe, près de Liége, d'où il était originaire.
        C'était un humble ouvrier métallurgiste qui savait à peine lire et écrire. Mais on trouve une surprenante philosophie dans sa Révélation, sténographiée au jour le jour pendant trois ans.
        Cet homme simple, qui avait pratiqué la religion catholique jusqu'à 42 ans et qui rentrait d'Allemagne et de Russie où il avait travaillé, se mit à vivre dans le recueillement, absolument seul.
        Sa femme, qui est, dit-on, une âme d'élite, habitait avec deux orphelines et partageait sa mission. Depuis qu'il n'est plus, elle a développé la nouvelle religion qui compte aujourd'hui une quarantaine de temples dont deux dans le Nord de la France : à Hellemmes et à Caudry, en attendant qu'un troisième s'ouvre à Valenciennes.
        Cette religion, l'adepte qui m'accueillait, lorsqu'il sut que je ne venais pas pour une consultation, mais pour de simples renseignements, me la définit en trois mots : la Foi, l'Amour et le Désintéressement.
        Il me désigna des pancartes affirmant que le visiteur n'a rien à payer.
        – Excusez-moi, dit-il, en me montrant des doigts tachés. Nous nous livrons à des travaux domestiques.
        » Nous ne demandons rien à personne. Notre société cultuelle subvient à ses besoins par les cotisations de ses membres et les adeptes portent le costume volontairement ».
        Mon regard se posa sur le portrait du Père – grosses moustaches, longs cheveux blancs et barbe qui ne laissent voir que des yeux vifs sous un vaste front – dans un cadre portant en exergue : « Le grand guérisseur de l'Humanité pour celui qui a la Foi. »

                        Le fluide

        Je savais déjà qu'Antoine avait 66 ans quand il s'était « désincarné ». Car les Antoinistes ne parlent pas de la Mort. Selon eux notre esprit a eu des milliers d'existences et il en aura encore d'innombrables, dans d'autres corps, jusqu'à ce qu'il soit devenu meilleur, parfait : C'est pourquoi ils placent un drap vert, couleur d'espérance, sur les cercueils...

                                                          Jean-Serge DEBUS.

    (La suite en quatrième page)

     

     

    (Suite de la première page)

        La théorie de la réincarnation est une explication troublante qui peut en valoir une autre !
        J'avais aussi souvenance de la foule recueillie lorsque j'avais vu, le jour de la consécration, porter derrière la Mère l'emblème du culte : « L'arbre de la science de la vue du mal » et j'entendais encore un adepte me parler avec conviction des guérisons que l'on constatait très fréquemment dans les temples antoinistes.
        Aussi me bornai-je à demander si les guérisons avaient été nombreuses depuis ces six dernières années et s'il s'en produisait encore présentement.
        – Mais oui ! me répondit le desservant qui gardait toujours ses mains croisées dans une attitude de pieuse réserve. Des quantités de personnes souffrantes ont été soulagées et nous apprenons très souvent de nouvelles guérisons.
        Il me tendit un imprimé : « l'Unitif », puis une brochure.
        – Avez-vous lu ceci : l'auréole de la conscience ? »
        Je jetai un coup d'œil et je lus :
        L'amour que nous avons pour nos ennemis est le seul qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité.
        – Aimer nos ennemis ? Le Christ, dis-je, avait enseigné le pardon...
       – Oui, mais l'enseignement du Père va plus loin. »
        La porte étant ouverte, je voulais pénétrer dans le Temple. J'en fus doucement empêché.
        – Il n'y a aucun ornement, vous le voyez. On n'y entre pas en dehors de l'Opération pour ne pas couper le bon fluide... »
        Je n'ai nulle envie de couper le fluide.
        – Je reviendrai pour l'Opération.
        Dans les dix principes et la Révélation, j'ai lu que nous souffrons par notre imagination de la souffrance.
        La méthode Coué ne s'inspire-t-elle pas d'une idée semblable pour agir sur notre subconscient ?...

                        L'opération

        Dimanche, à 10 heures moins cinq, on m'a remis un jeton numéroté, bien que je n'eusse nulle canne à mettre au vestiaire et un adepte, à travers le Temple aux murs nus, peints en vert, m'a conduit à une chaise, près de la chaire sur laquelle est pendu un portrait du Père.
        Il y avait une centaine de personnes assises. Quelques bonnets noirs, quelques lévites et des gens modestes. Pas un chuchotement. Un grincement de chaise ou une toux rompait seul le recueillement.
        Au premier rang, des visages clos qui paraissaient en proie à une résorption. Ou des expressions de piété extatique comme je ne me souvenais en avoir vues qu'en Pologne sur les visages des paysans prosternés sur les dalles dans le clair-obscur des églises...
        Sur le mur du fond, en grandes lettres : « Ne pas aimer ses ennemis c'est ne pas aimer Dieu... »
        Pas loin de moi, une fillette de douze ans à peine portait la robe et le bonnet antoinistes qui lui donnaient déjà un air de vieille demoiselle.
        10 heures. Un adepte annonce qu'un frère, au nom du Père, va faire l'Opération.
        On se lève.
        Alors un homme âgé à barbiche blanche, arrive silencieux, les mains jointes sur sa redingote, et monte en chaire.
        Le regard au plafond, les mains s'étreignant toujours, il adresse une muette prière, qui s'accompagne de mouvement des lèvres et d'une discrète mimique. Puis il étend les bras comme s'il cherchait à manier des fluides.
        Aucune parole. Un coup de sonnette, C'est tout.
        Il s'en va.
        Et l'autre frère lit d'une voix décolorée, en détachant chaque syllabe, un passage de l'enseignement du Père dont la forme est quelque peu hermétique.
        Il dit notamment que les plaies du corps ne sont toujours que la conséquence des plaies de l'âme...
        Il dit aussi, que la prière est dans l'acte dicté par la conscience, qu'elle est dans le fond et non dans la forme.
        Il dit encore que nous baignons dans la vie et les fluides comme le poisson dans l'eau et que nous souffrons par l'esprit et non par le corps. La preuve : quand l'esprit a quitté le corps on peut briser les membres sans faire souffrir...
        – Mes frères, je vous remercie !
        La lecture, sans aucun commentaire, n'a duré que dix minutes. On n'a pas fait la quête. Les adeptes sortent. J'ai cherché des yeux les malades.
        Où sont-ils ?
        De nombreuses personnes restent. Je reste. On appelle alors un numéro, toutes les deux minutes, et quelqu'un part. Je retrouve mon jeton : 46.
        C'est sans doute pour la consultation : J'attendrai.

                        Des guérisons miraculeuses

        Mon tour venu, on m'introduit dans une petite pièce. Je reconnais un des adeptes si recueillis du premier rang.
        – Avez-vous entendu l'Enseignement? commence-t-il par me demander.
        » Ce que le Christ a dit ne compte plus. Le Père a révélé qu'il ne faut pas confondre la foi avec la croyance, que l'intelligence est opposée à la conscience et qu'il faut s'en défier.
        Je précise que je ne sollicite pas une consultation. Mais que j'ai cherché les malades.
        Il me parle donc des guérisons à commencer par la sienne (une maladie d'estomac qui l'avait considérablement vieilli à 25 ans et qui s'est évanouie comme un cauchemar).
        Deux nouvelles cures viennent d'être connues, un rhumatisme et une paralysie.
        – Tenez ! Il y a cinq semaines, dit-il, à la consécration du Temple de Nice par Mère – qui, à 83 ans, a fait ce long voyage sur une banquette de troisième – un aveugle de Lyon, privé de la vue depuis 17 ans a vu l'heure en retournant à la gare et un muet a été guéri.
        ». Et c'est toujours, toujours des cas nouveaux ! »
        Je n'ai pas vu d'« ex-voto », comme dans certaines chapelles. Les malades n'ont-ils pas de reconnaissance ?
         Bien souvent, paraît-il, on ne le revoit plus, Comment être sûr qu'ils sont bien guéris ?
        Mais certains reviennent.
        – Vous avez remarqué, me dit mon interlocuteur, cette petite fille qui porte le costume antoiniste ? Il y a quelques années, elle venait prier seul pour sa maman tuberculeuse qui habite le quartier. Elle avait promis de porter le costume en cas de guérison. Maintenant, la maman fait sa lessive.
        » On peut être guéri quand on a foi.
        – Et sans être antoiniste ?
        – Absolument ! N'importe qui peut venir ici...
        » Retenez bien ceci : Nous sommes les seuls auteurs de nos souffrances...
        Le disciple d'Antoine m'a présenté sa femme. Ce visage empreint d'enthousiaste bonté, je le verrais aussi bien sous le chapeau enrubanne l'Armée du Salut que sous le bonichon noir.
        Puis il m'a prié d'inscrire sur liste des visiteurs, mon prénom sel à la suite de Tobie, Jeanne, Alphonse…
        En m'en allant je songeais, ma foi, que s'ils se préoccupaient, même avec le plus pur prosaïsme, des souffrances qui peuvent naître de leurs actions les hommes seraient peut-être meilleurs...

                                                          J.-S. D

     

    Le Grand écho du Nord de la France, 10 décembre 1931


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