• Octave Mirbeau - Maladies infantiles

        La première [lettre] me vient d’une femme qui, si j’en juge par les sentiments qu’elle exprime, est un grand coeur. Elle administre une des crèches municipales de Paris, « non par vanité, dit-elle, non pour voir mon nom imprimé dans les rapports et les journaux, non par désoeuvrement, comme tant d’autres, mais poussée par le très grand amour que j’ai pour les petits, et par les soucis de mes devoirs de solidarité humaine » – car elle croit à la solidarité humaine, cette rêveuse !... Dans la mission difficile qu’elle a acceptée, elle fait ce qu’elle peut, tout ce qu’elle peut, plus qu’elle ne peut. Et, bien que les ressources dont elle dispose soient très maigres, bien qu’elle se trouve, sans cesse, arrêtée par des règlements barbares autant qu’idiots, contre lesquels se brisent souvent son intelligence et son énergie, elle s’en tire à peu près... Grâce à des soins persistants, à une surveillance de toutes les minutes, à une ingéniosité, une initiative, qui savent quelquefois suppléer aux étranges lacunes du règlement, et tourner les obstacles administratifs, les petits s’élèvent, grandissent. On va peut-être les sauver... Eh bien, non !... Toute cette bonne volonté, tout ce mal, toute cette abnégation tout ce génie de la tendresse et de l’amour deviennent inutiles devant une épidémie de rougeole, par exemple. Et Paris voit revenir cette épidémie, périodiquement, dans le premier trimestre de chaque année. Or ce n’est pas de l’épidémie qu’ils meurent, les pauvres enfants, mais de quelque chose de bien plus mortel que les plus mortelles maladies du règlement !
        Chaque semaine, M. Bertillon, statisticien précis et illusoire, nous apprend le nombre des décès causés par le fièvre typhoïde, la tuberculose, la scarlatine, la diphtérie, la rougeole, la variole etc. De l’administration qui dépeuple et du règlement qui tue, il ne nous dit jamais un mot... Et pourtant, il n’est pas de choléra, de peste, de fièvre infectieuse, qui fassent autant de victimes, surtout parmi les tout jeunes. Aussitôt que l’épidémie de rougeole, avec une régularité en quelque sorte mathématique, se produit à Paris, ordre est donné de fermer les crèches, soi-disant pour préserver les enfants d’une contagion immédiate. Les mères sont invitées à aller chercher leurs enfants et à les conduire à l’hôpital. Car la société est admirable : elle a de tout, des crèches, des asiles, des hôpitaux... Mais, à l’hôpital, le nombre de lits est toujours insuffisant, et puis un enfant, guéri d’une maladie, risque d’en attraper une autre. Au bout de huit à dix jours, vite, on le renvoie, alors que trois semaines de soins attentifs et de surveillance sévère seraient indispensable pour assurer une guérison complète, et surtout pour éviter les rechutes, qui sont presque toujours mortelles... On le renvoie donc. Où peut-il aller ? La crèche est fermée. Force est bien à la mère de ramener le petit de l’hôpital chez elle... Et comme elle doit travailler pour vivre – car le plus souvent le père manque, ou il boit – elle donne son enfant en garde, soit à la concierge, soit à une voisine; ou bien elle le laisse aux soins capricieux d’un enfant plus âgé. Alors le pauvre petit être, mal couvert, mal nourri, exposé aux courants d’air d’une chambre mal close et sans feu, succombe en quelques jours aux inévitables atteintes de la pneumonie. C’est ainsi qu’en 1899, sur trente-deux enfants, cette crèche dont je parle et qui, par exception, est une crèche admirablement tenue, n’en a vu revenir que quinze à la réouverture. Dix-sept étaient morts !...

     

    Extrait d’un article d’Octave Mirbeau,
    dans Le Journal, du 2 décembre 1900
    (source : www.scribd.com)


    Tags Tags :
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :