-
Pierre Debouxhtay - L'Antoinisme (1945)
Auteur : Pierre Debouxhtay
Titre : L'Antoinisme (1945)
Editions : La Pensée Catholique (Imp. Soledi, Liège), 35 pages
L'Antoinisme
I. Le guérisseur. Le révélateur
II. Les livres sacrés
III. Les doctrines
A) DIEU
B) LE MONDE MATERIEL
C) L'HOMME
D) LA MORALE
E) LES SOURCES DE LA DOCTRINE ANTOINISTE
IV. Le culte
LE TEMPLE ANTOINISTE
L'OPERATION GENERALE
L'OFFICE DU SOIR
LES FETES
LA CONSECRATION DES TEMPLES
LES SACREMENTS ANTOINISTES
ENTERREMENT
L'EMBLEME
LE COSTUME
LES MINISTRES DU CULTE
V. Cause du succès de l'Antoinisme. Etat actuel
VI. Du point de vue catholique que penser d'Antoine et de sa religion ?
OBJECTIVEMENT
SUBJECTVEMENT
APPENDICE
Dix Principes en prose révélés par le Père Antoine
NOTRE BIBLIOGRAPHIE
"Culte à visées universalistes, l'Antoinisme est, croyons-nous, un phénomène social unique en Wallonie ; que dans la suite, il s'étiole ou continue à provigner peu importe : il mérite d'être étudié impartialement" (p.1-2). Malheureusement, hormis l'auteur même et très récemment Régis Dericquebourg ou Anne-Cécile Bégot, l'Antoinisme a peu été étudié. On rejoint ce que dit l'auteur : c'est dommage, car c'est un phénomène unique en Wallonie, mais peut-être même dans le monde parmi le milieu ouvrier.
Une note indique que l'on trouvera plus de détail dans l'ouvrage précédent de l'auteur. En effet, on a ici en grande partie un résumé, avec en plus les doctrines qui devaient faire l'objet d'un deuxième volume jamais paru, et une vision de la secte d'un point de vue catholique.
On retrouve donc une biographie neutre. C'est assez rare pour le signaler. "Acquitté [lors de son premier procès], Antoine aurait continué de prescrire des drogues et n'aurait très probablement jamais eu recours exclusivement à la foi ; il serait resté guérisseur sans devenir fondateur de religion" (p.3). L'auteur résume donc "les trois phases dans la thérapeutique antoiniste :
- Première phase : Antoine recourt non seulement aux procédés des magnétiseurs thérapeutes et des médiums-guérisseurs, mais, en outre, il prescrit des drogues, notamment la liqueur Koene. Il faut toutefois noter que les prescriptions étaient dictées ou inspirées par l'esprit du Dr Caritas, du Dr Demeure, du curé d'Ars, ou de quelque autre habitant de l'erracité.
- Deuxième phase : En 1901, Antoine abandonne les drogues et même les procédés médianimiques (1) qui pourraient le faire condamner de nouveau. Il ne retient comme moyens thérapeutiques que la prière, les "bonnes paroles", l'inscription du nom du malade dans un registre, des passes, l'imposition des mains, ou le simple attouchement de la main sur la partie malade ou sur le front du patient.
- Troisième phase : Plus encore que le docteur Sangrado (2), Antoine simplifia l'art de guérir toutes les maladies. Le maître de Gil Blas renfermait "le fin de l'art salutaire" dans deux points : saigner et faire boire de l'eau. Le thaumaturge de Jemeppe qui, semble-t-il, n'avait jamais saigné personne mais avait fait boire beaucoup d'eau, se contenta d'imposer les mains à la foule, du haut d'une tribune, au cours de l'opération générale. Aux jours d'opération générale, les visiteurs sont introduits dans le temple. La préparation à la venue du Père ayant été faite par un disciple, Antoine apparaît ; il étent la main droite pour répandre les fluides sur la foule, puis se retire. Alors un adepte annonce : "L'opération est terminée. Les personnes qui ont la foi sont guéries ou soulagées." La cérémonie a duré à peine un quart d'heure." (p.3-4).
Voilà où nous en sommes encore actuellement : le Père intercède toujours pour le malade par l'intermédiaire de la Mère puis des guérisseurs antoinistes. Donc pas d'imposition des mains, pas de papier magnétisé, pas de tisane... On peut ensuite être reçu dans le cabinet pour recevoir de "bonnes paroles" et faire une pensée (prière silencieuse). Du haut de la tribune, le desservant joint les mains simplement, pendant qu'un autre adepte costumé se tient à la petite tribune également les mains jointes.
Après avoir cité l'histoire de l'origine des textes sacrés de l'Antoinisme, l'auteur précise plusieurs fois que leurs compréhensions est difficile et qu'on y remarque des contradictions (remarquons ici qu'il en est de même pour la Bible) ; contradictions dues au fait, nous dit l'auteur "d'un changement de perspective : une évolution de pensée".
"On trouve dans l'antoinisme des aspirations morales, mystiques, un effort pour trouver en soi la source et la norme de la religion. Dans cette religion prévalent les valeurs de la "conscience", qui en pratique semble s'identifier avec le sentiment (3)(p.7).
L'auteur voit beaucoup de contradictions donc, en ce qui concerne la doctrine : Dieu est à la fois bon, mais aussi mauvais ; il est le Dieu-Créateur de tout, mais aussi celui qui n'aurait pu créer ce qui est incompatible avec Lui (donc la matière) ; le rôle providentiel de la Divinité est à la fois rejeté et accepté... L'auteur oublie que ces contradictions s'annule avec ce qu'il aborde ensuite l'inexistence de la matière dans la doctrine antoiniste. Dieu a tout crée, car tout existe depuis toujours, mais nous n'en avons la perception que par nos sens biaisés qui imagine la matière : "Toute création n'existe qu'en apparence ; c'est nous qui l'imaginons tandis qu'elle n'est que l'ombre de la réalité, car ce qui existe réellement a toujours existé... Tout se résume en nous" (Développement, p.252)(p.10).
Dans la morale antoiniste, l'auteur évoque la non existence du mal, ce qui annule également le fait qu'on puisse imaginer Dieu bon ou mauvais. Comme le dit la Bible "il est celui qui est", et tout a sa raison d'être donc tout est bien. "Dans cet enseignement, d'aucuns sentiront peut-être un relent quiétiste. Mais Antoine n'avait sûrement pas lu Molinos" (p.11)(4).
Puis l'auteur explique que pour le guérir, il suffit de chasser l'imagination du mal, et se demande s'il faut "voir dans ce précepte une influence de la Christian Science ? Cette influence est possible ; cependant il ne semble pas qu'Antoine ait connu les oeuvres de Mary Baker-Eddy" (5). De fait, l'auteur n'évoque plus la Science Chrétienne dans les sources de la doctrine antoiniste. Il évoque cependant Hegel, citant l'abbé Léopold Brabant, mais réfute cette idée, en disant simplement qu'il ne faut pas prendre toutes pensées panthéiste comme ayant pu influencer Louis Antoine. Nous le suivons la dessus.
Pierre Debouxhtay précise : "ce qui nous semble certain, c'est que dans ses livres sacrés, Antoine n'est pas un plagiaire, comme nous pourrions prouver que l'a été son neveu, le Père Dor, autre prophète wallon, qui s'identifiant avec le Christ, considérait son oncle comme son saint Jean-Baptiste. Ce qu'Antoine a emprunté, son esprit assez inculte l'a remanié et simplifié à sa façon, d'une façon que certains jugent parfois dépourvue de clarté : les adeptes proclamant d'ailleurs que l'enseignement est au-dessus de la compréhension de ceux dont l'intelligence n'a pas abdiqué en faveur de la conscience. Coeur pétri de bonté et de religiosité, Antoine n'avait pas la tête métaphysique" (p.15).
Donc comme influence, l'auteur note : le spiritisme, qui prépara le terrain à la théosophie et ses doctrines panthéistes, christianisme et une mystique qui verse vers un panthéisme également. De la théosophie, "notre hiérophante (6) a éliminé les termes rébarbatifs dont sont farcies les oeuvres théosophiques. Ceux qui ont eu le vertige en tâchant de s'assimiler les doctrines occultes comprendront aisément que l'intellect du métallurgiste liégeois n'ait pu s'accommoder de ce jargon. Rejetant les oripeaux du vocabulaire, renonçant à s'aventurer dans le dédale des régions, plans, sous-régions, et sous-plans, Antoine a retenu les notions principales qu'il a élaguées pour les mettre à la portée de ses ouailles, gens du peuple pour la plupart (7). Quant à montrer qu'Antoine aurait eu présents à la mémoire ou sous les yeux tels ou tels passages d'oeuvres qu'on pourrait citer comme sources, c'est là une tâche longue et délicate, impossible à traiter dans une brève notice". (p.16). (8)
Mais rappelons ce que l'auteur disait plus haut : "dans ses livres sacrés, Antoine n'est pas un plagiaire". Et comme la doctrine antoiniste est concentrée dans les textes sacrées, voire même uniquement dans le Couronnement, comme nous le précise l'auteur, on peut en conclure logiquement que la doctrine antoiniste est somme toute innovante.
Concernant le culte, qu'il décrit dans les grandes lignes, Pierre Debouxhtay nous apprend que les antoinistes dissidents se proposent de célébrer l'anniversaire de la désincarnation de la Mère Antoine le 4 novembre. Est-ce une erreur de Pierre Debouxhtay, ou la date de désincarnation n'est pas la date de l'enterrement, et il y a eu un moment d'hésitation ? En tout cas, la fête de Mère est maintenant le 3 novembre. On en apprendra plus sur cette "dissidence", qui n'en est pas vraiment une, et auquel j'ai déjà consacré un billet.
Concernant les ministres du culte, Pierre Debouxhtay fait une parallèle avec le catholicisme : "Au sommet de la hiérarchie antoiniste, se trouve le Représentant du Père (9). De même que le Pape est le vicaire de Jésus-Christ, chef invisible de l'Eglise catholique, ainsi chez les antoinistes le Père Antoine reste le chef réel, quoique invisible, du culte ; les ministres ne sont que ses instruments.
"Le représentant du Père a la direction morale et religieuse de l'Antoinisme : il désigne les desservants et les lecteurs des temples. Les femmes peuvent être choisies aussi bien que les hommes comme ministres du culte.
"L'administration du culte est entre les mains d'un conseil qui se compose du Représentant du Père et de huit membres. Chaque année, après la réunion du conseil, le bilan du culte est publié aux annexes du Moniteur Belge." (p.24).
L'auteur en vient maintenant à la situation de 1945. A cette époque, le Représentant du Père ad intérim, Joseph Nihoul, décide de revenir à l'état du Temple du temps de Père et retire entre autre les photos à Jemeppe et dans les temples belges. "Le 1er avril 1943, un groupe dissident, se proclamant fidèle à la véritable tradition antoiniste, ouvrait un temple à Angleur, rue de Tilff, 84. Dans ce temple, qui contient cent et dix places assises et où le portrait du Père Antoine surmonte la tribune, les offices sont célébrés en semaine et le dimanche, jour où la salle est d'ordinaire comble. Alors que tous les temples, sauf celui de Jemeppe, sont fermés le 25 juin, le temple d'Angleur est resté ouvert et on y a célébré la fête du Père." (p.27)
Ensuite l'auteur aborde la question du point de vue catholique concernant Antoine et sa religion. Influencés par la Théosophie, c'est une secte hérétique ou schismatique, donc des ennemis de la religion. Objectivement les doctrines s'opposent en plusieurs points. Subjectivement, l'auteur déclare : "pour être juste, il aurait fallu ajouter que dans l'ensemble les adeptes sont de fort braves gens, très charitables et très serviables" (p.29). Pierre Debouxhtay, finit son livre, en se définissant comme historien objectif et déclare que Louis Antoine, comme pour le vicomte E.-M. de Vogüe concernant Dostoïevski : "Je crompris que cette âme... échappait à notre mesure, fausse parce qu'elle est unique ; je remis le jugement à celui qui a autant de poids divers qu'il y a de coeurs et de destinées." (p.30). C'est à se demander si l'auteur ne serait pas devenu antoiniste, car il dit lui-même que dans l'antoinisme "l'homme est donc son propre législateur et son propre juge". (p.13). En tout cas, il nous enjoint à prendre cette règle pour juger de l'antoinisme et de son fondateur. C'est tout à son honneur.
(1) synonyme, un peu vieilli cependant, de médiumnique.
(2) "Saignée" en espagnol, le Docteur Sangrado est un personnage du roman picaresque publié par Alain-René Lesage de 1715 à 1735, Histoire de Gil Blas de Santillane. Lesage a procédé dans le roman comme au théâtre, ainsi derrière le docteur Sangrado dont les principes médicaux se résument à la saignée et à la consommation d’eau chaude, c’est la pratique de la médecine tout entière dont se moque Lesage. (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Gil_Blas_de_Santillane)
(3) Wikipedia nous dit : Le sentiment est la composante de l'émotion qui implique les fonctions cognitives de l'organisme. Il renvoie à la perception de l'état physiologique du moment.
Le TLFi :
I. − Domaine des sens (excepté la vue et l'ouïe). Conscience que l'on a de soi et du monde extérieur.
II. − Domaine de l'intellect., de l'intuition. A. − Connaissance, conscience plus ou moins claire que l'on a de quelque chose. B. − Faculté de sentir, de comprendre ou d'apprécier un certain ordre de choses, de valeurs.
III. − Domaine de l'affectivité. A. − 1. État affectif complexe, assez stable et durable, composé d'éléments intellectuels, émotifs ou moraux, et qui concerne soit le « moi » (orgueil, jalousie...) soit autrui (amour, envie, haine...). B. − Absolument. 2. Ensemble des états affectifs et, en partic., des états affectifs altruistes visant le bien de l'humanité.
(4) Doctrine mystique inspirée des œuvres de l'Espagnol Molinos, répandue en France à la fin du xviie s., suivant laquelle la perfection chrétienne réside dans la quiétude, c'est-à-dire l'« amour pur » et la contemplation de Dieu, en l'absence de toute activité propre de l'âme (TLFi). Miguel de Molinos (1628-1696), est à l'oigine du quiétisme, doctrine mystique consistant en un itinéraire spirituel de « cheminement vers Dieu ». Il vise à la perfection chrétienne, à un état de quiétude « passive » et confiante. Cet itinéraire passe par un désir continuel de « présence à Dieu », de quiétude et d’union avec Dieu aboutissant au terme du cheminement, à un dépassement mystique des étapes qui ont permis le cheminement lui-même (pratiques ascétiques et respect des contraintes de la vie liturgiques). Pour les quiétistes l'union à Dieu bien avant la mort est le but de la vie chrétienne (http://fr.wikipedia.org/wiki/Qui%C3%A9tisme).
(5) Régis Dericquebourg et Anne-Cécile Bégot ne parle pas d'influence, mais de parcours identique, de la souffrance à la mystique. Maxence van der Meersch fait le même parallèle avec les autres religions sans évoquer la Science chrétienne.
(6) ANTIQ. GR. Prêtre qui, dans les religions à mystères, notamment à Éleusis (ville au nord-ouest d'Athènes), instruisait les futurs initiés en leur montrant solennellement les objets sacrés (TLFi).
(7) C'est ce qui fait dire à Régis Dericquebourg que la doctrine théosophique était dans l'ai du temps à l'époque dans les milieux spirites et que Louis Antoine en aurait eu connaissance par l'intermédiaire d'une vulgate, c'est-à-dire un résumé faisant foi de la doctrine.
(8) Notons que les oeuvres de H.P. Blavastky, à l'origine de la doctrine théosophique, sont également en grande partie à la limite du plagiat d'autres oeuvres. Ce qui rendra encore plus difficile la tâche de retrouver l'origine de la doctrine antoiniste.
(9) Remarquons que cette hiérarchie s'arrête aux Représentant du Père, il n'y a pas de niveau plus haut, et le niveau plus bas est l'adepte costumé (qui sera appelé à faire la lecture ou l'Opération au nom du Père et peut être desservant d'un temple). Ensuite il y a les adeptes non costumés. Mais costumés comme non costumés sont au même niveau de la hiérarchie. Et le Répresentant du Père, fonction qui a disparu pendant un moment en Belgique, et qui est de même encore actuellement non remplie, n'est que qu'une fonction de conseil.
Tags : mère, foi, médecine, père, Angleur (Liège)
-
Commentaires