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Propos du jour - Le problème des Guérisseurs (Le Concours médical, 1932)
PROPOS DU JOUR
La répression de l'exercice illégal de la médecine : Le problème des « Guérisseurs » –
Que devient le respect absolu et intangible du secret médical ?Nous avons le plus grand respect pour la Justice de notre pays. Les uns prétendent qu'elle est aveugle, les autres qu'elle est boiteuse. Nous nous bornerons à affirmer qu'elle est humaine, c'est-à-dire qu'elle n'est pas exempte des infirmités qui affligent notre pauvre humanité. Quoiqu'il en soit, la mentalité des juges évolue et les malheureux confrères qui ont négligé d'adhérer au « Sou Médical », savent ce qui leur en coûte de soucis et de frais si, par hasard, il arrive un accident insolite à un de leurs malades, ce malade fût-il un de leurs amis et de ce fait traité par eux gracieusement. Les magistrats, sans doute influencé par les procès constants résultant des accidents d'automobile, tendent de plus en plus à étendre la responsabilité et assimilent volontiers le chirurgien à son chauffeur. Nous sommes loin de l'époque où régnait la thèse de la faute lourde donnant seule lieu à la responsabilité du praticien, thèse du Procureur général Dupin, que défendait si éloquemment Brouardel. Actuellement, le médecin est responsable de toute faute, même légère. Il lui arrive parfois d'être condamné, même quand les experts affirment qu'il n'y a pas faute du tout. Il est de rares magistrats qui font preuve dans leur jugement d'une ironie que nous trouverions plaisante si le sujet était moins grave. Nous pourrions citer ce juge de paix qui qualifiait un revolver d'objet de toilette, ayant sa place toute naturelle dans le sac à main d'une jolie femme à côté de la boîte à poudre et du bâton de rouge, la vente et l'usage du revolver ne sont-ils pas l'objet d'une étrange tolérance ?
Les armuriers sont loin d'être soumis aux mêmes obligations draconiennes que les médecins, et les pharmaciens pour la prescription et la délivrance de stupéfiants. Le revolver cependant paraît faire en France plus de victimes que la morphine et la cocaïne réunies.
Mais la boutade de ce juge de paix humoriste cède le pas au jugement d'un tribunal qui n'admet pas de responsabilité pour les fautes, lourdes, d'un rebouteux. Déboutant de sa plainte un père de famille dont l'enfant avait été estropié par l'empirique, il condamnait le premier à un franc de dommage-intérêt pour le préjudice moral causé à l'auteur responsable de l'infirmité ; bien plus il donnait acte à ce rebouteux de la présence de l'avocat du Syndicat médical de la région, dans le cas où le dit guérisseur désirerait intenter aux médecins une action en dommages-intérêts. Ce jugement qui, dans un de ses attendus, reproche au père d'être reste quinze jours sans avoir conduit de nouveau son enfant au rebouteux, ne s'explique que par la notoriété étrange dont jouissait ce dernier dans la région, et qui impressionnait les magistrats eux-mêmes et le leur rendait sympathique. Ce singulier procès pose nettement une fois de plus le problème de guérisseurs tel que notre distingue confrère, le Dr Maurice Igert, l'a instruit, il y a quelques mois dans un livre fort intéressant (1).
Le Dr M. Igert sépare les guérisseurs des exploiteurs vulgaires et des charlatans. Pour lui, est guérisseur « tout individu qui s'inspire d'un sentiment mystique quel qu'il soit, religieux ou non, pour exercer des pratiques curatives. »
Les guérisseurs ont une signification sociale répondant au mysticisme collectif qui est la persistance de la mentalité des primitifs, mentalité combattue par les conquêtes du rationalisme. Le « don de guérir » est envers et contre tout une fonction sociale particulière, c'est un pouvoir occulte qui repose sur l'insurrection du mysticisme latent de la foule contre le rationalisme scientifique.
Le guérisseur subit l'influence et répond aux tendances mythomanes des foules qui sont en quelque sorte la persistance d'une mentalité ancestrale lointaine. L'homme primitif, le sauvage, l'enfant des civilisations modernes sont en proie aux croyances mystiques que parvient à atténuer, sinon faire disparaître, l'éducation rationaliste et scientifique. Le guérisseur est doué d'une prédisposition favorable pour répondre à ces croyances mystiques qui sommeillent et parfois se réveillent dans le milieu social.
Le Dr Igert distingue les guérisseurs mystiques en débiles intellectuels et sentimentaux et en intelligents.
Tous sont indiscutablement sincères et crédules, mais parmi les intelligents ; les uns sont désintéressés, les autres plus nombreux ne de dédaignent pas les avantages matériels qui, la sotise humaine aidant, peuvent devenir considérables.
Le guérisseur mystique intelligent répond d'emblée à toutes les sollicitations effectives. Il ne soumet pas les faits à la critique de sa raison et si son intelligence intervient, c'est pour servir à légitimer sa croyance.
Le guérisseur mystique débile est un minus habens qui n'a pas d'organisation systématique de ses actes, mais qui se livre à des superstition incohérentes ; s'il a recours des rites religieux ou occulte, il le fait d'une façon désordonnée et un vrai religieux taxerait sa pratique de sorcellerie.
M. lgert cite un grand nombre d'exemples très intéressants de guérisseur de ces divers ordres. Certains sont des psychopathes, des hystériques, des persécutés, des paranoïaques, comme par exemple le fameux Zouave Jacob. Il en est qui se découvrent tout à coup le pouvoir de guérir, finissent par se persuader qu'ils possèdent ce don. Désintéressés d'abord, ils finissent par se laisser gagner par l'auri sacra fames et alors, montrent une grande ingéniosité commerciale dans l'exploitation de la crédulité publique.
« On dit que ce n'est pas celui qui coupe de foin qui le mange, disait une fameuse guérisseuse dont les procès occupèrent la presse pendant des mois ces dernières années. Eh bien ! Moi je veux manger le foin que je coupe. » Et Béziat, le guérisseur d'Avignonnet qui fit courir à sa ferme tous les malades incurables du midi de la France et même des pays avoisinants, homme de bonne foi et évidemment sincère, autodidacte primaire, se disant plus ou moins ingénieur agronome et diplômé herboriste, qui était le premier surpris de ses succès qu'il ne cherchait pas expliquer, mais qu'il constatait avec un orgueil sans affectation, après avoir longtemps guéri pour rien, délivre des tickets payants et lança avec une habileté toute commerciale des prospectus vantant son « Vitalogène », qu'il fit suivre ensuite de toute une gamme de spécialités de grand rapport.
Atteint d'hématurie avec lymphogranulomatose, il eut recours aux médecins dont il suivit scrupuleusement les conseils ; puis, se voyant perdu et désespéré, il se livra aux pratiques de la plus étrange sorcellerie.
Le guérisseur mystique est éminemment suggestible. Il est convaincu qu'il joue un rôle social. Il vit par et pour le milieu où il se trouve. La suggestibilité domine sa vie mentale.
Selon le Dr Igert, il n'y a pas de vrais ni de faux mystiques ; tous sont plus ou moins sincères, mais leur mysticisme affecte aussi des formes plus ou moins parfaites.
Le Dr Igert, abordant le problème médico-légal des guérisseurs, fait l'histoire de la répression de l'exercice illégal de la médecine et rappelle la lutte épique des médecins et des magnétiseurs, lutte à laquelle nos Syndicats médicaux paraissent avoir mis un terme.
M. Igert conclut que si « les charlatans ordinaires sont justiciables de poursuites efficaces, les guérisseurs puisent un nouveau prestige dans une condamnation ou trouvent une référence officielle dans un acquittement. »
L'impuissance de la répression à leur égard tient à la nature mystique de leur fonction qui répond à un besoin de merveilleux qui domine les foules. Souvent aussi, le guérisseur ne prescrit pas de traitement et ne réclame pas d'honoraires, ce qui désarme les juges et les faits acquitter ou condamner à des peines infimes, Souvent, le guérisseur mystique est un inconscient et de ce fait irresponsable, au sens pénal du mot, de son influence sociale nocive. Il n'en est que plus dangereux. Mais tous les arguments que donnent les médecins reposent sur des raisons et sont sans effet au regard des sentiments collectifs dont bénéficient les guérisseurs, sentiments qui sont autrement puissants.
Me M. Garçon d'accord avec un Congrès spirite, émettait un avis tendant à faire utiliser par les médecins l'influence indiscutable de certains guérisseurs sur certains malades. Le guérisseur d'Avignonnet Béziat a répondu très logiquement à cela en disant un jour : « Ne vous y trompez pas ; le public aime le merveilleux, l'inattendu, et du jour où on me sentirait couvert par un docteur, je n'aurais plus le même prestige et mes clients diminueraient. »
Cette réponse, parfaitement sensé, de guérisseur intelligent nous rappelle l'histoire de la fontaine Saint-Hilaire près de Matagne-la-Petite, histoire que nous avons jadis rapportée (2). A cette fontaine, voisine de Givet en Ardennes, couraient se baigner les malades atteints de plaies suppurantes, d'eczémas rebelles, d'ulcères variqueux. Certains, atteints de maladies internes buvaient sans dégoût cette eau infecte. Les miracles étaient nombreux. Un nouveau curé vint à Matagne : écœuré par ce spectacle, il fit réparer la source, séparant la piscine de la buvette. Hélas ! les fidèles abandonnèrent la source qu'ils jugèrent désormais inefficace. « Il a gâté notre source », disaient les paysans en regardant leur curé de travers. Là, comme pour les guérisseurs, la mystique n'a rien de commun avec la raison.
Le Dr Igert propose une conduite médico-légale aux syndicats médicaux dans la répression de l'exercice illégal de la médecine ;
Cet exercice illégal peut être le fait de charlatans ou de mystiques débiles et de guérisseurs intelligents. « Vis-à-vis des premiers, la répression garde toute sa valeur »,
Vis-à-vis des débiles, le Dr Igert conseille une expertise médico-légale le jour de l'audience, permettant d'établir en public leur ineptie et de montrer tout le ridicule de leurs conceptions et de leurs pratiques.
Pour les guérisseurs intelligents, il faut agir avec prudence, s'assurer, comme le conseille le Prof. Balthazard, de leur esprit commercial, des revenus importants qu'ils retirent de leur exercice et muni de documents nombreux et sûrs, demander une répression énergique et des dommages-intérêts élevés. Il y aurait encore la pression telle que la comprend la loi italienne du 22 juin 1927 sur la discipline des auxiliaires des professions médicales : lors de la première poursuite, une amende relativement légère et, en cas de récidive, une condamnation sévère à 15 ou 30 jours de prison et une amende de 500 à 1.000 lires.
Nous avons personnellement une opinion qui n'est pas celle de tout le monde sur l'exercice il légal de la médecine. A notre avis, ce ne sont pas les syndicats médicaux qui devrait poursuivre, car il ne faudrait pas rabaisser la répression d’un danger social à un dommage, toujours plus moins discutable, causé à une profession.
Le parquet devrait systématiquement poursuivre charlatans et guérisseurs, les uns coupables d'escroquerie, les autres comme contrevenant à la protection de la santé publique.
Mais il faudra encore que la mentalité des magistrats évolue et qu'ils ne se bornent pas considérer les médecins instruits comme responsables des fautes même légères qu'ils peuvent commettre et les rebouteurs ignorants comme irresponsables à cause même de leur ignorance, qu'ils ne poussent pas encore la bienveillance jusqu'à allouer au rebouteux, objet d'une plainte, des dommages-intérêts pour le préjudice moral qui lui est porté par les poursuites.J. NOIR
(1) Dr Maurice Igert. – Le problème des guérisseurs. Dessins de P. Igert. Vigot, frères édit. Paris, 1931.
(2) J. Noir. – La ville de Givet en Ardennes. De quelques préjugés, superstitions, sanctuaires et pèlerinages à attributions curatives dans la région des Ardennes, Progrès Médical, 1905.Le Concours médical, 1932.
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