• Jean Delay - Homme sans nom (1948)

    Jean Delay - Homme sans nom (1948)

    Auteur : Jean Delay
    Titre : L'écarté de la grille
    in Hommes sans nom, nouvelles,
    Éditions : Gallimard, Paris, 1948

        Docteur en médecine, Jean Delay devint médecin des hôpitaux de Paris en 1938. Agrégé en 1939, il obtint le statut de professeur de clinique des maladies mentales et de l’encéphale en 1946. Son observation de la Salpêtrière, à la fois dans Hommes sans nom et Les Reposantes, rejoint celle d'André Baillon qui écrivit aussi sur l'univers de la Pépète dans Un homme si simple et Chalet 1.

        Cette nouvelle, dont le nom vient du jeu de cartes que les pensionnaires de la Salpêtrière jouaient prêt de la grille, évoque les Antoinistes de Paris aux pages 169-170 et 174.

        Recension :
    Jean Delay, L'écarté de la Grille,
       Gallimard, 1988, 132 p.
        Publié en 1948 sous le pseudonyme de Jean Faure. L'écarté de la Grille faisait partie du livre intitulé Les hommes sans nom. Jean Delay médecin des hôpitaux psychiatriques retrace ici l'expérience qui sans doute fut la sienne au contact des « grands fous » de la Salpêtrière. Ce récit dédié à André Gide fait la part belle à l'imaginaire fantasque de l'abbé-a-la-jambe-de-bois dit l'abbé John. En cet après-midi du 14 juillet, derrière la Grille du quartier des hommes, les joueurs de cartes Loustan, Lalouette et Monsieur Jules assistent fascinés, abasourdis, rieurs comme ces enfants qu'enchantent le vol des papillons et les cris effarouchés des nourrices haletantes, aux paraboles métaphysiques, évangéliques et loufoques de l'abbé John, l'homme dont les recherches en bibliothèque et le physique trivial de bassesse les déconcertaient. Les impressionnaient aussi l'« expression bestiale du visage, le teint basané d'un mulâtre, le front démesuré dont les cheveux étaient mal plantés, des oreilles décollées et velues, des joues et des bajoues enluminées et chargées de graisse, des lèvres molles et épaisses, un menton fuyant, entourant un nez énorme largement épaté, de couleur aubergine ». Evidemment, ils avaient beaucoup de peine à l'imaginer disant la messe ou administrant les derniers sacrements. Et pourtant, leur curiosité est si grande, leur faim de savoir tellement tenace, leur appétit de vivre si farouche qu'ils interrompent leur partie d'écarté — où l'on écarte les cartes — pour l'écouter disserter sur les vastes étendues des terres africaines qui bourdonneront autour de ses oreilles de faune, ou se laisser aller à quelques confidences sur le désarroi qui le saisit, si justement, au moment où il s'apprêtait à se consacrer avec son grand-papa aux lépreux du monastère de Pernambuco. Le sacrifice fut fatal à l'abbé John : condamné au silence, « les épiscopes (lui) arrachaient sa raison de vivre. Adieu, flots mugissants qui emportaient les digues, adieu, fleurs capiteuses et rhéteuses de (ses) fécondes insomnies, adieu, ô (sa) sœur Hyperbole » !
        Né pour les soins de l'âme, l'abbé John dont la nature ardente ne trouvait plus d'exutoire dans l'éloquence évangélique succomba avec assiduité aux charmes de la Créature. « Aux charmes immanents de la Vénus carioque. » Il devint chamel de charité en charité.
        A sa virilité jaillissante, à l'incandescence de sa jeunesse, l'abbé-à-la-jambe-de-bois joint une exubérance volubile, un goût prononcé pour les citations érudites mais dépareillées. Il entraîne ses acolytes de la Grille « hors de la commune réalité » de leurs maux, « vers les plages fabuleuses où le vrai n'est peut-être pas le réel » ; où la parole libérée des contingences admises communément accède par-delà la misère à une fonction rare : celle de permettre à ceux qui l'écoutent de rêver à leur tour, non plus dans les limites obscures de leur nuit, mais au grand jour, là, au creux d'eux-mêmes où la fiction la plus audacieuse ressemble à s'y méprendre à la vérité. Phantasmes et fantaisie.
                                    Shoshana Rappaport
    Inaperçus, Lignes 1988/2 n°3, page 201, Éditions Hazan
    https://www.cairn.info/revue-lignes0-1988-2-page-195.htm


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