• Quelques notes sur Antoine et l'Antoinisme (Journal de Bruxelles, 2 juillet 1911)(Belgicapress)

    Quelques notes sur Antoine et l'Antoinisme (Journal de Bruxelles, 2 juillet 1911)(Belgicapress)QUELQUES NOTES
    sur
    Antoine et l’“Antoinisme„ (1)

        Continuons à reproduire l'intéressante étude publiée par la « Tribune apologétique » (126, rue de Tirlemont, Louvain) :

        La délégation. – M. Antoine a maintes fois annoncé le jour de sa mort. Du moins ses chers disciples lui ont attribué cette prédiction, qui a eu, à chaque occasion, le don d'attirer un nouveau concours de visiteurs. Heureusement, ces prophéties ont été prématurées. Le lendemain du jour où le prophète devait disparaitre, le prophète était encore vivant. Mais il décline visiblement. A force de se priver de fluides pour guérir l'humanité, il dépérit lui-même. Il ne parle presque plus en public, et l'on prétend que ses amis l'observent : son extase est continuelle, mais nullement dangereuse. Quand ça va trop loin, sa femme le remplace.
        Il était donc urgent de constituer des délégués pour continuer les opérations. Les confidents les plus intimes ont déjà publié que le Guérisseur va transmettre son pouvoir à des hommes ou à des femmes qui ont les aptitudes nécessaires pour manier les fluides. Antoine n'est plus le Guérisseur. Il va s'appeler « Antoine le Généreux ». Le titre est bien trouvé : les légataires de son secret bénéficieront d'une excellente aubaine.
        Mais le prophète peut-il transmettre son secret ?
        Question !

        Le secret d'Antoine. – Les successeurs d'Antoine manqueront toujours, croyons-nous, de son expérience des hommes et des choses. D'abord, ils n'auront point passé par l'école du spiritisme. C'est une préparation indispensable. Aujourd'hui, pour être apte à recevoir de nouvelles révélations, il faut avoir causé avec les fantômes. Quand M. Antoine put évoquer les morts, chez lui, il mesura les abîmes de la crédulité humaine. Il estima qu'un peuple déchristianisé peut tout admettre, si l'on y met des ménagements. Les continuateurs de l'Antoinisme éprouveront-ils ce profond mépris de l'intelligence, lequel constitue principalement l'assurance du Voyant ? Nous ne le pensons pas. Ils ignorent, sans doute, les tâtonnements successifs de leur Maître : la liqueur Coune, l'eau et le papier magnétisés, les autres remèdes inoffensifs qu'il servit aux naïves populations, jusqu'au jour où il revendique le pouvoir personnelle de guérir les malades et de fonder un nouveau culte.
        Il est manifeste que, dans le principe, Antoine voulait seulement s'établir comme empirique. Les guérisseurs populaires ont toujours existé ; ils fleuriront toujours. La plupart sont des charlatans, qui accompagnent leurs consultations des rites les plus baroques. Quelques-uns possèdent, dit-on, de véritables secrets, résultats de vieilles expériences conservées dans les familles : ce sont des spécialistes de la grangrène, des rhumatismes, de la rose, etc. Antoine jeta son dévolu sur la liqueur Coune, pour commencer. Il choisit au hasard puisqu'il y renonça dans la suite. Il estima qu'une spécialité limiterait nécessairement le nombre de ses clients. Aussi prétendit-il guérir tous les maux sans distinction. La trouvaille du fluide magnétique – exploitée d'ailleurs au XVIIIe siècle – fut géniale. Une réclame habile fut organisée autour du guérisseur universel. Les différentes régions de la Belgique furent visitées par les commis-voyageurs de l'Antoinisme. La réputation du guérisseur était établie. Les foules accouraient à Jemeppe.
        A ses consultations et à ses remèdes, Antoine, comme tous les rebouteurs, ajoutait des recommandations pieuses : prier, faire des neuvaines, accomplir des pèlerinages, s'imposer certaines abstinences, etc. C'est l'enfance de l'art. La suggestion la plus puissante est celle qui s'appuie sur le sentiment religieux. Antoine joua admirablement son personnage. Il prit un air d'ermite et se composa une figure qui devait frapper les visiteurs naturellement impressionnables. Ce saint homme ne devait pas seulement posséder le pouvoir de remettre les corps. Tous les secrets lui étaient ouverts. On le consulta dans les affaires embarrassantes. On lui soumit les cas de conscience. Il devint directeur d'âmes. Il fonda une religion de sa fabrique, bâtie sur de prétendues révélations.
        On nous demandera si le perspicace exploiteur de la liqueur Coune n'a pas fini par se prendre à ses propres inventions ? Est-ce un mystificateur, qui continue son rôle jusqu'au bout ? Est-ce un illuminé qui croit que c'est arrivé ? Certains traits de roublardise semblent compromettre l'hypothèse de la sincérité. L'absurdité même de sa religion et la confiance de ses disciples font supposer que le prophète est de bonne foi. Peut-être y a-t-il en lui deux personnages, dont l'un trompe l'autre.

        Histoire de la noyée. – Le tribunal de Liége conserve les traces d'un des mécomptes d'Antoine.
        En 1907, un nommé Dangis jeta sa femme à la Meuse. Poussé par je ne sais quelle suggestion, il se présenta le lendemain, chez Antoine. Il raconta la disparition de sa femme et désira savoir ce qu'elle était devenue. Le voyant ne fut pas déconcerté un instant. Avec son assurance habituelle, il répondit au mari : Dans deux jours, votre femme vous écrira.
        Voilà ce que Dangis rapporta aux juges.
        Les Antoinistes furent très ennuyés de l'aventure, qui était répétée par les journaux.
        En effet, ou Antoine connaissait le sort de la noyée et il ne devait pas tromper Dangis ; ou, ce qui est plus vraisemblable, il ne savait rien et aurait dû ne rien dire. Non seulement sa perspicacité de clairvoyant se trouvait en défaut, mais sa bonne foi devenait discutable. L'habile homme ne put deviner que Dangis avait tué sa femme. Il crut au récit de la disparition et jugea que la disparue donnerait bientôt de ses nouvelles. Des conjectures du même genre lui avaient souvent réussi.

        Une tentative de résurrection. – Un malade du Condroz s'en retournait, comme tous les autres malades, avec la promesse d'une prompte guérison. Malheureusement, il mourut soudain à quelques pas du temple d'Antoine. En hâte, on porte le cadavre au prophète. Celui-ci s'efforce inutilement de le ranimer. Le mort reste mort. Le thaumaturge ne savait donc pas que sa tentative de résurrection serait vaine.

        Les foules à Jemeppe. – Il est incontestable que depuis dix ans un nombre considérable de personnes de toutes conditions sont allées rendre visite à M. Antoine. Comment expliquer cette affluence !
        Il faut l'attribuer à diverses causes. Les malades eux-mêmes qui se sont adressés inutilement aux médecins, se rattachent au moindre espoir de retrouver la santé : sans croire à Antoine, ils tentent l'expérience. Beaucoup sont venus à Jemeppe, qui prenaient Antoine pour un ermite parfaitement orthodoxe. (2)
        Il est d'ailleurs probable que ces voyages répétés ont fait du bien à quelques neurasthéniques et à d'autres malades imaginaires.
        Ensuite, une réclame intense, méthodiquement conduite, a trompeté le pouvoir de guérisseur dans toutes les régions de la Belgique. On racolait les malades de tels et de tels villages : les parents les accompagnaient. Puis, les commis-voyageurs passaient à un autre district. Le Centre et le Borinage ont fourni la plus forte clientèle ; les villages flamands se sont montrés réfractaires à la nouvelle doctrine. Ajoutons que presque partout la renommée du guérisseur a été éphémère.
        Enfin, la presse antireligieuse, voulant discréditer les miracles de Lourdes, a parlé des guérisons attribuées au spirite de Jemeppe et a rendu quelque service au Guérisseur en augmentant sa notoriété.

        Les guérisons. – Les bulletins de l'Antoinisme rapportent longuement, même fastidieusement, les paroles de M. Antoine. Chose étrange ! Ils ne racontent aucun cas de guérison. Ce silence obstiné est significatif. Alors que les adeptes répandent partout le bruit de nombreux prodiges, les brochures Antoinistes se taisent sur ce délicat sujet : non seulement elles ne signalent pas les noms des personnes guéries ; elles ne mentionnent aucun fait extraordinaire. Il n'est donc pas étonnant que des journalistes, en quête de miracles antoinistes, n'aient jamais pu contrôler un des cas vaguement racontés par les disciples de M. Antoine. Il semble que si ces gens étaient convaincus des œuvres merveilleuses de leur maître, ils s'empresseraient de les écrire, en relatant toutes les circonstances de temps, de lieu et en notant la nature des infirmités vaincues par le pouvoir du thaumaturge. Il serait alors possible de procéder à un examen sérieux de ces phénomènes.
        Mais peut-être redoute-t-on précisément ce contrôle ! A Lourdes, on a établi un bureau de constatations. Les docteurs qui le composent exigent des malades un certificat médical, décrivant minutieusement la nature de l'affection morbide. Avant de proclamer qu'une guérison est miraculeuse, c'est-à-dire inexplicable naturellement, ils se convainquent que la maladie était incurable ou que, par les moyens naturels, elle ne pouvait disparaître subitement. Ils éliminent les cas d'origine nerveuse, qui peuvent être guéris parfois par la suggestion. Ils retiennent seulement le cas de guérison subite d'une maladie organique ou de guérison d'une affection reconnue incurable.
        Il eût été désirable que pareil bureau fonctionnât à Jemeppe. On saurait mieux à quoi se réduisent les guérisons incontrôlables attribuées à Antoine.

        Les victimes de l'Antoinisme. – S'il est fort probable que M. Antoine n'a jamais rendu d'autre service aux malades que de relever leur courage par la promesse d'une guérison, il est certain que les enseignements de l'Antoinisme ont pu avoir les plus fâcheuses conséquences au point de vue de la santé publique. Pour quelques fanatiques de cette secte, la foi remplace tous les remèdes. Plus on a de foi, plus la guérison est prompte. Or, consulter un médecin, c'est manquer de foi. Les médecins étaient donc écartés du lit de certains Antoinistes. Leur science, qui pouvait sauver les malades, n'était pas requise. On se contentait de passes, de l'imposition des mains. Cette folie a peut-être entrainé la mort de bien des gens.
        Semblable épidémie mentale a sévi en Angleterre. Les adeptes d'une secte qui s'intitule « Science chrétienne » et qui paraît avoir inspiré à M. Antoine certaines de ses théories, laissaient mourir leurs enfants et leurs proches, faute des soins les plus élémentaires. Ils mandaient un des chefs du culte, lequel essayait de persuader au malade que la douleur est une illusion. Les tribunaux se sont occupés de ces cas d'homicide par omission, et ont flétri les agissements les personnes plus ou moins illuminés qui, sous prétexte de guérir les gens, éloignaient les médecins.
        On nous affirme qu'à Jemeppe, des permis d'inhumation ont dû être refusés en présence de pratiques similaires.

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        Pour déférer au désir d'un honorable pharmacien bruxellois, nous ne voyons nul inconvénient à déclarer qu'il n'y a eu, dans le premier article que nous avons consacré à Antoine, aucune appréciation désobligeante pour la liqueur « Koene ».
        Nous n'avons d'ailleurs entendu émettre aucun avis sur aucune liqueur et avons simplement parlé de l'usage fait jadis par Antoine d'une « spécialité » que nous n'avions pas à juger.

     

    (1)    Suite, voir Supplément du 25 juin.

    (2)    C'est ainsi que les Antoinistes, désireux de faire reconnaître officiellement leur culte, ont surpris la signature de beaucoup de braves gens, en prétendant que leur temple était un lieu de pèlerinage catholique. A l'étranger la réclame antoiniste se fait spécialement dans les villes d'eau, comme Vichy, Nice, Monaco, où les malades vont essayer de rétablir leur santé.

    Journal de Bruxelles, 2 juillet 1911 (source : Belgicapress)


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