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Félix Dengis et Ferdinande Humblet
Jemeppe. - Quai des Carmes (1905),
où le corps a été repêchéPierre Debouxhtay évoque ce triste épisode pour témoigner de Louis Antoine prophète.
Tout commence par la découverte d'un corps sans vie repêché dans la Meuse, à Jemeppe...
Nous rassemblons ici chronologiquement les articles du journal La Meuse qui évoque les faits et le procès qui s'en suivit. Le journaliste Breteuil aura pour nous déroulé toute l'affaire connue comme le drame de Chokier ou l'histoire de la noyée. Louis Antoine, spirite, n'est évoqué qu'une fois. Il faut lire Pierre Debouxhtay pour connaître la déposition d'Antoine, interrogé par le juge d'instruction le 21 décembre 1906.Intérieur (Drame de Maurice Maeterlinck, 1895)
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Par antoiniste le 13 Décembre 2006 à 19:00
Une noyée. – Mercredi, vers 1 heure de l'après-midi, un batelier, dont le chaland est amarré au quai des Carmes, au lieu dit « Gosson », aperçut une forme humaine flottant à la surface de l'eau. Le batelier amena à lui la lugubre épave. C'était le cadavre d'une femme, dont les vêtements avaient presque complètement disparus.
M. Jacquet, commissaire de police, se rendit sur les lieux, accompagné d'un docteur, qui constata la fracture d'une jambe.
Le cadavre fut transporté à la Morgue.
Le parquet de Liége a fait une descente mercredi, à la soirée, et ce jeudi après-midi, il s'y rendra de nouveau, avec les médecins légistes, qui feront l'autopsie du corps.
La noyée paraît âgée de 30 ans. Elle portait une blouse avec corset en satin rose.
Elle portait une alliance à la main gauche.
Les personnes qui pourraient donner des renseignements sont priées de s'adresser au commissaire de police de Jemeppe.La Meuse, 13 décembre 1906, soir (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 15 Décembre 2006 à 08:00
A CHOCKIER
UN CADAVRE DE FEMME REPECHE A JEMEPPE. –
ETRANGES CIRCONSTANCES. – EST-CE UN CRIME ?A peine la pénible impression produite par le drame qui s'est déroulé jeudi rue Léopold est-elle passée qu'une affaire pleine de mystérieuses circonstances vient soulever la curiosité en permettant les commentaires les plus divers, n'étant pas encore, ce semble, sur le point d'être éclaircie.
En quelques lignes, dans notre numéro de mercredi, nous signalions que le cadavre d'une femme paraissant âgée d'une trentaine d'années, presque complètement dévêtue, et ayant une jambe brisée, avait été retiré des eaux de la Meuse, à Jemeppe, et transporté à la Morgue pour les constatations d'usage. Cette lugubre découverte, telle que nous sommes appelés à en enregistrer assez fréquemment, malheureusement, devait, cette fois, émouvoir la justice et mettre le parquet en mouvement.Le cadavre
Mercredi, à 1 heure, un marinier dont le chaland est amarré au port de chargement du charbonnage du Gosson, quai des Carmes, à Jemeppe, apercevait, descendant au fil de l'eau, près du rivage, une masse sombre qui n'était autre qu'un corps humain. A l'aide d'une gaffe, le batelier amena l'épave au rivage, où il parvint à la hisser avec l'aide de quelques personnes. On constata alors que ce cadavre était celui d'une femme.
Autour du corps, aux chairs bleuies et tâché de boue à différents endroits, à la tête démesurément enflée et dont la face était méconnaissable, adhéraient quelques lambeaux de vêtements remontés vers le buste. Morceaux de jupon, de tablier et de chemise effilochés enroulés à la poitrine avec une blouse noire et une camisole rouge déchirées sous laquelle se voyait un corset en bon état. Les chaussures avaient disparu des pieds ; les jambes étaient moulées de bas noirs.
On prévint M. Jacquet, commissaire de police de la localité, qui arriva immédiatement sur les lieux et fit transporter le cadavre à la Morgue. L'examen du corps démontra alors que la morte avait les jambes et les pieds brisés.Première enquête
Devant la gravité de ces constatations, M. Jacquet crut devoir porter celles-ci à la connaissance du parquet de Liége.
Les magistrats instructeurs. MM. Huyttens de Terbeck, procureur du Roi, et Bonjean, juge d'instruction, accompagnés de M. Corin, médecin légiste, se rendirent à Jemeppe pour procéder à une première en quête sur cette mystérieuse affaire.La victime
Des recherches ayant été aussitôt commencées par le commissaire de police pour établir l'identité de la morte, firent connaître que la victime devait être une nommée Ferdinande Humblet, épouse de Felix Dengis, habitant dans le pays de Charleroi à Marcinelle.
Cette femme, âgée de 31 ans, dont les parents habitent Saint-Georges, à La Mallieue, avait épousé, il y a environ dix ans, le nommé Félix Dengis, âgé de 35 ans, ouvrier houilleur, de Jemeppe, dont le père et la sœur demeurent à Grâce-Berleur. Au bout de quelque temps, le ménage allait s'installer à Marcinelle.
Le 17 du mois dernier, les époux, qui ont quatre enfants, âgés de 12, 7, 5 et 2 ans, arrivaient subitement à Chockier pour passer quelques jours chez Emile Dengis, le frère de Félix, qui a épousé la sœur de la victime, en attendant que leurs meubles, expédiés de Charleroi pour Maestricht, fussent arrivés à destination, et pouvoir alors aller habiter dans cette ville.
Disons que l'un des enfants vit chez les parents de Dengis, à Grâce-Berleur, et qu'un second est hébergé chez le frère, à Chockier.
Les époux restèrent jusqu'au 20 chez Emile Dengis. Ce jour-là, ils quittèrent la maison en disant qu'ils allaient faire une promenade et acheter quelques effets d'habillement pour les enfants. La soirée se passa sans qu'on les vit revenir. A 1 heure du matin, Félix Dengis rentra seul. Sa belle-sœur lui demanda pourquoi il se trouvait sans sa femme. Dengis répondit : « Elle est évoie avou onk ! » et, sans plus d'explications, alla se coucher. Le lendemain, de très bonne heure, Félix Dengis se leva et déclara qu'il partait et retournait à Marcinelle. Il quitta, en effet, la maison en emmenant les deux enfants, les deux ainés avec lesquels lui et sa femme étaient venus.
On appris peu après qu'il avait fait revenir ses meubles vers Chockier, où ils sont pour le moment consignés. Et, à partir du 21 novembre, on n'eut plus de nouvelles de Felix Dengis et de ses deux enfants.La reconnaissance du cadavre
Mais les époux Emile Dengis devaient être douloureusement surpris. Mandés à Jemeppe par ordre du parquet, ils furent mis en présence du cadavre, qu'ils déclarèrent être celui de l'épouse Félix Dengis, mais qu'ils reconnurent seulement aux vêtements restés au corps, le visage étant absolument méconnaissable et ne permettant pas d'autres affirmation.
Interrogée, l'épouse Emile Dengis dit que sa sœur n'avait jamais, à sa connaissance manifesté l'intention de mettre fin à ses jours et qu'elle ne pouvait croire qu'elle se fut jetée à l'eau.
Restait l'idée d'un crime. C'est à celle-ci que la justice semble s'être arrêtée, car un mandat d'amener vient, paraît-il, d'être lancé contre Félix Dengis.
Jeudi, les magistrats instructeurs se sont à nouveau transportés à Jemeppe, où l'autopsie du cadavre a été pratiquée par MM. Lenger et Corin, médecins légistes, qui ont emporté divers organes pour être analysés.
On ne connait pas encore le rapport de ces messieurs, mais il se pourrait que celui-ci conclut à un crime.
Ajoutons que la fracture des jambes et des pieds peut avoir été produite par le passage du corps entre les aiguilles du barrage situé entre Jemeppe et Chockier et levé en ce moment par suite de la crue des eaux.
De même faut-il donner, croyons-nous une identique cause à l'arrachement des vêtements. Le rapport médical porterait donc sur d'autres causes.
Vendredi, les époux Emile Dengis ont été appelés au parquet de Liége pour y être interrogés par M. Bonjean, chargé de l'instruction de cette ténébreuse affaire.
Que sont devenus Felix Dengis et ses deux enfants ? Vers quel endroit ont-ils dirigés leurs pas ? C'est ce que la justice ne tardera sans doute pas de découvrir et ce qui permettra de faire la lumière sur cette mystérieuse affaire. BRETEUILLa Meuse, 15 décembre 1906, matin (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 15 Décembre 2006 à 19:00
A CHOKIER
C'EST UN CRIME. – UN CERCUEIL PROFANE. –
LE MEURTRIER SE CONSTITUE PRISONNIERNous avons, ce samedi matin, donné les détails de la dramatique affaire qui a causé à Chokier et à Jemeppe une émotion bien compréhensible. Mais aux mystérieuses circonstances que nous avons relatées devait venir s'ajouter un fait de plus haute gravité et dont l'horreur dépasse l'imagination.
Cercueil profané
On sait que, l'autopsie pratiquée, les restes de la victime, l'épouse Félix Dengis, avaient été placés dans un cercueil scellé par les magistrats instructeurs et laissé à la Morgue de Jemeppe.
Or, vendredi après-midi, en pénétrant dans ce lieu funèbre, la police constatait qu'un inconnu s'était introduit en escaladant le mur du cimetière, puis en brisant un carreau de la fenêtre du local.
On s'aperçut alors que les scellés du cercueil avaient été brisés, le couvercle soulevé à l'aide d'un outil et les restes du cadavre mis à découvert. Quel pouvait être l'auteur de cette profanation ? Cet acte odieux était-il l'œuvre de celui qu'on recherchait, de Félix Dengis ? Cet homme, disparu avec deux de ses enfants, les aînés, avait-il en réalité tué sa femme et, pris de remords, ou agissant sous l'empire d'un sentiment d'une psychologie déroutante, avait-il voulu revoir les restes de celle dont la mort s'était accomplie d'une façon aussi tragique ? C'est ce que l'on ne sait. Mais cet acte était certainement de nature à faire faire un grand pas à la justice et à diriger des rechercher dans un cercle plus restreint.
Aussi, le parquet, après avoir fait une nouvelle descente à la Morgue, vendredi, à 9 heures et demie du soir, donnait-il l'ordre d'opérer ces recherches dans Jemeppe et les localités environnantes, y compris à Liége, où les agents de la Sûreté reçurent l'ordre de se mettre en campagne.Notre enquête
Poursuivant notre enquête, nous nous sommes rendu ce samedi matin à Chockier, ou demeure, nous l'avons dit, les époux Emile Dengis, chez lesquels est hébergé depuis quelque temps un des quatre enfants de Félix Dengis, le petit Armand, âgé de 3 ans et demi.
Dans ce ménage d'honnêtes travailleurs, dont le père, ouvrier mineur, est occupé au charbonnage du Nord de Flémalle, sont quatre autres enfants, dont l'aîné, Jean-Baptiste, âgé de 13 ans, travaille au même charbonnage pour grossir un tant soit peu l'avoir du ménage, ce qui ne l'empêche pas, du reste, en brave petit gars qu'il est, de suivre des cours d'école du soir.
Quand nous arrivons chez Emile Dengis, nous trouvons celui-ci en train de fumer sa pipe, l'air préoccupé, tandis que sa femme, près de la fenêtre de l'unique place du rez-de-chaussée, est en train de lessiver un tas de linge. Dans cette place, qui sert de cuisine, sont deux fillettes, dont la plus grande vague aux soins du ménage.
Nous expliquons à ces braves gens le but de notre visite et demandons quelques renseignements sur la façon d'être des époux Félix Dengis durant les trois jours, du 17 au 20 novembre, qu'ils passèrent ensemble dans leur maison. On nous répond que ceux-ci paraissaient bien s'entendre et qu'à aucun moment nulle discussion ne s'est élevée entre les époux.
« Nous savions pourtant, nous dit l'épouse Dengis, que mon beau-frère était extrêmement jaloux de sa femme et que celle-ci, lors d'autres visites à Chokier, se plaignait d'être brutalisée par lui. Enfin, l'accord ne régnait plus depuis longtemps dans le ménage, mais rien ne pouvait faire supposer que, lasse de la jalousie tyrannique de son mari, Ferdinande Humblet pourrait mettre fin à ses jours. »
Mais une singulière circonstance devait rester dans la mémoire des époux Emile Dengis. Le 20 novembre, en effet, jour du départ du mari et de la femme, qui devaient se rendre à Jemeppe pour faire quelques achats, Félix Dengis dit tout à coup à sa femme, alors que l'on venait d'achever le repas de midi :
« Eh bin, bâçelle? Vinez-ve fer l'lette ? » Tous deux montèrent alors à l'étage, d'où ils redescendaient quelques instants après. Dès ce moment, Felix Dengis ne quitta plus sa femme d'une minute, semblant épier tous ses mouvements. Vers 2 heures et demie, les époux quittèrent la maison pour se rendre à Jemeppe.
Quand Dengis rentra seul, à 1 heure du matin, sa belle-sœur lui demanda ce qu'était devenue sa femme. « Vosse soûre », répondit Dengis, « c'est ine belle... Louquiz cisse lette chal qui dj'a st-attrapée... » II exhibait en même temps une lettre que son épouse écrivait à un prétendu amant, habitant Marcinelle et dans laquelle elle lui annonçait un prochain retour, aussitôt qu'elle pourrait abandonner son mari.
Mais répliqua la belle-sœur, « n'esse nin là l'lette qui v'lî avez fet scrire divant d'enn-aller ? »
Nenni, dit Dengis, « cisse là c'esteut eune qui djî li féve sicrire à s'galant po li d'nner on rendez-vous... Mins c'est mî qui âreus stu… »
La conversation prit fin et Dengis alla se coucher. On sait le reste.Surprise des époux Dengis
On conçoit l'émoi causé au foyer des Dengis par cette affaire qui, ce matin encore, n'était pas encore éclairée. Mais celui-ci ne devait que grandir encore.
Ce samedi matin, à 6 heures, ces braves gens voyaient entrer chez eux une voisine, la dame Ralet, qui tient un café à quelques mètres de là, sur la grand'route. Celle-ci tenait par la main une fillette que les époux Dengis reconnurent aussitôt. C'était la petite Joséphine, âgée de 5 ans, que l'on croyait à Grâce-Berleur, chez le père des Dengis et qui se trouvait à Chokier depuis la veille à 8 heures du soir.
Mme Ralet apprit aux époux que ce jour-là, dans la soirée, en venant dans le corridor de sa demeure, elle avait aperçu l'enfant. La fillette, interrogée, dit que son père était allé la chercher chez marraine, la sœur des Dengis, à Grâce-Berleur, et l'avait amenée sur le train pour voir sa « tante Pauline », à Chokier.
Il l'avait alors menée jusque devant la maison, avait secoué la clinche de la porte, mais comme on ne répondait pas, il était revenu sur ses pas, l'avait fait entrer dans le corridor, où la dame Ralet l'avait trouvée et hébergée jusque ce samedi.
Cette affaire devrait enfin avoir son dénouement. On avait vu, paraît-il, vendredi soir, à Jemeppe, Felix Dengis qui semblait s'en aller au hasard par les rues. M. Jacquet, commissaire de police de la commune, ayant été averti, fit immédiatement suivre cette piste par ses agents. Mais Felix Dengis avait trouvé à se loger et les recherches entreprises hier demeurèrent vaines.
Ce samedi à 10 heures du matin, M. Jacquet était informé que Dengis était aux mains de la gendarmerie de Tilleur. Le fait était exact. Se sentant probablement sur le point d'être arrêté, il avait préféré aller se constituer prisonnier.Les aveux du meurtrier
Aussitôt interrogé par le commandant de la brigade, il entra dans la voie des aveux et déclara que, poussé par la jalousie, certain qu'il était d'être trompé par sa femme, il avait résolu de la supprimer. Tous deux s'étaient rendus à Jemeppe pour y faire quelques achats. En revenant, dans la campagne, entre Flémalle et Chokier, il avait adressé des reproches à sa femme et, soudain, dans un accès de colère, l'avait poussée à l'eau en lui disant : « Tu m'as trompé, mais tu ne me tromperas plus ! »
La malheureuse avait disparu, tandis qu'il poursuivait son chemin.
Ces déclarations actées, le parquet fut avisé. Ordre fut immédiatement donné de transférer le coupable à Liége, où quelques heures après il était écroué à la prison Saint-Léonard.
Ajoutons que le meurtrier déclara aussi avoir ramené et placé à Marcinelle les deux enfants avec lesquels il était parti de Chokier.
Le parquet de Liége s'est rendu cette après-midi dans cette localité, pour recueillir les derniers témoignages nécessaires à l'instruction.
Voilà donc éclaircie cette tragique affaire qui appartient désormais au jury.Breteuil.
La Meuse, 15 décembre 1906, soir (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 25 Avril 2007 à 08:00
LE DRAME DE CHOKIER
Un mari qui jette sa femme dans la Meuse
Ce matin commencent devant la Cour d'assises les débats de l'affaire Dengis Félix, âgé de 35 ans, houilleur, accusé d'assassinat sur la personne de son épouse Ferdinande Humblet.
Cette fois, ce n'est pas le revolver qui a été appelé à jouer son terrible rôle dans ce drame. Dengis a précipité sa femme dans les flots de la Meuse. La scène tragique s'est déroulée entre Jemeppe et Chokier, dans l'obscurité de la nuit.
Les époux, bien qu'originaires de La Mallieue et des environs, habitèrent Marcinelle jusqu'au 17 novembre 1906. Ce jour-là, ils arrivèrent, accompagnés de leurs quatre enfants, à Chokier, chez Emile Dengis, frère de l'accusé. Leur séjour, disaient-ils, devait être de très courte durée. Ils allaient s'installer à Maestricht.
Le 20 novembre, vers 2 h. 1/2 de l'après-midi, Félix Dengis et sa femme quittèrent la maison de leur frère pour se rendre à Jemeppe faire des provisions. Le mari rentra seul vers une heure du matin. Sa belle-sœur lui ayant demandé ou était sa femme, il répondit qu'elle était partie et alla se coucher.
Le lendemain matin, il partit en disant qu'il retournait à Marcinelle. Il emmena deux de ses enfants, qu'il conduisit chez une autre parente.
Le 13 décembre, un cadavre de femme était découvert dans la Meuse au quai des Carmes, à Jemeppe. Ce cadavre fut reconnu pour être celui de l'épouse de Félix Dengis.
L'autopsie, ordonnée par le parquet, fut pratiquée le 14 décembre, à la morgue de Jemeppe, située dans le cimetière. La nuit suivante, on s'introduisit, à l'aide d'effraction, dans ce bâtiment, on ouvrit le cercueil et on découvrit le cadavre de l'épouse Dengis.
Le lendemain, 15 décembre, dans la matinée, Félix Dengis se constituait prisonnier à la gendarmerie de Tilleur. Il avouait que c'était lui qui avait précipité sa femme dans la Meuse, la nuit du 20 au 21 novembre, en revenant de Jemeppe. C'était au cours d'une dispute que la colère l'avait emporté.
Cette dispute avait pour cause la jalousie du mari, qui accusait sa femme de se méconduire. La mésintelligence avait surgi depuis assez longtemps déjà à ce propos dans le ménage. Il soutient que le 20 novembre il avait découvert une lettre que sa femme adressait à un amoureux, lettre dans laquelle elle annonçait son retour.
Dengis ajouta qu'il avait fait écrire par sa femme une autre lettre pour donner rendez-vous à cet amoureux. A ce rendez-vous, ce serait lui, Dengis, qui voulait s'y rendre.
L'accusé avoua également que c'était lui qui s'était introduit à la morgue de Jemeppe pour revoir le corps de sa victime.
Dengis sera défendu par Mes Pety de Thozée et Follet.
Au banc de l'accusation se trouvera M. Bodeur, substitut du procureur général, qui siégera pour la première fois à la Cour d'assises.
Les débats dureront jusqu'à samedi soir. La question de la responsabilité de Dengis au point de vue mental sera longuement examinée. L'accusé aurait déjà antérieurement donné des preuves de faiblesse intellectuelle. Une septantaine de témoins sont cités.La Meuse, 25 avril 1907, matin (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 25 Avril 2007 à 19:00
COUR D'ASSISES
LE DRAME DE CHOKIER
UN MARI QUI JETTE SA FEMME DANS LA MEUSEL'audience est ouverte à 9 h. 1 2. La Cour est composée, comme dans la première affaire, de M. le conseiller Thuriaux, et de MM. Liben et Hamoir, vice-présidents du tribunal.
M. Bodeux, substitut du procureur général est au banc de l'accusation ; Mes Pety de Thozée et Tollet au banc de la défense. Félix Dengis est âgé de 35 ans. Il est né à La Neuville-sous-Huy et était domicilié en dernier lieu à Marcinelle. Il a le teint pâle des houilleurs, sur lequel tranchent vigoureusement une grosse moustache tombante et une brosse de cheveux très noirs, plantés bas. L'allure d'un ouvrier endimanché, très correctement vêtu. Physionomie d'abord calme, qui s'émeut bientôt. Dengis a pleuré à plusieurs reprises.
Le chef du jury est M. Delbovier, Armand.L'INTERROGATOIRE
L'interrogatoire a été très long. Dengis parle très lentement et très bas. Il est fort difficile de le suivre dans ses explications.
M. LE PRESIDENT constate que l'accusé a déjà subi plusieurs condamnations devant les tribunaux de Liége pour vol de souliers, pour vol d'un sac de farine, – ce jugement rendu par le tribunal de Béthune, dans le Pas-de-Calais, où Dengis était allé travailler et d'où il s'était enfui, le vol commis.
En Belgique, incorporé en 1891 comme milicien, il déserta à trois reprises. Il fut condamné par le Conseil de guerre de la province d'Anvers, d'abord à 28 jours d'arrêt, puis il s'enfuit à nouveau. Cette fois, il fut frappé de deux ans de prison et d'un an pour détournement d'effets militaires de grand équipement.
Il fut grâcié en 1893 après 6 ou 7 mois de prison. Il déserta une troisième fois.
Il resta absent pendant 2 ans. Il s'en alla en France, revint rôder en Belgique, aux environs de son village. Il rentra enfin chez ses parents qui le livrèrent, en 1895, à la justice militaire.
Dengis, souvent, aux questions du président, ne répond pas. M. Thuriaux doit insister et, littéralement, lui arracher quelques paroles. Parfois, il dit tout simplement : « Je ne sais pas. Je ne me souviens pas. »
L'autorité militaire fit transférer Dengis à l'hôpital militaire de Malines. Il connaissait déjà alors Ferdinande Humblet, qui l'avait accompagné en France.
Ils étaient partis ensemble.
Les médecins militaires conclurent à la mise à la réforme de Dengis. Il fut renvoyé de l'armée en 1895 et rentra chez ses parents, qui habitaient alors Grâce-Berleur.
Avant son service militaire, Dengis avait exercé divers métiers, puis celui de mineur.
Ferdinande Humblet, pendant le séjour de l'accusé à l'hôpital, avait demeuré chez les parents Dengis. Un enfant était né de leurs relations. Ils se sont mariés en 1896.
Alors, ils entreprend une série de pérégrinations si nombreuses qu'il a été impossible de les déterminer exactement. Ils séjournèrent à Jemeppe, à Grâce-Berleur, à Herstal, à Engis, à St-Nicolas, à Flémalle-Grande, aux Awirs, à Ougrée.
Trois enfants naquirent après le mariage.
A un moment donné, le ménage quitta le bassin de Liége pour le bassin de Charleroi. Il venait d'Engis ; le départ a été décidé par Dengis, parce qu'il soupçonnait sa femme de le tromper avec un nommé Alfred.
Il avait défendu à sa femme d'aller ramasser des escarbilles sur le terris, où l'homme qu'il croyait être l'amant de sa femme était basculeur.
Cet homme, qui a été interrogé par le juge d'instruction, nie ces relations. C'est, au contraire, Dengis qui lui a enlevé Ferdinande Humblet, dont il était alors l'ami.
A son arrivée à Charleroi, en 1903, Dengis était seul avec l'aînée de ses enfants. Il aurait raconté à sa logeuse qu'il était veuf.
Sa femme n'arriva que sept jours plus tard avec deux autres enfants et sur le point de s'accoucher du quatrième.
Elle était dans un dénuement complet et aurait été très mal reçue par l'accusé, qui la violenta à plusieurs reprises.
L'accusé nie ces mauvais traitements et ces propos.
Dans le bassin de Charleroi recommencent les pérégrinations, continuelles.
En décembre 1905, le ménage est à Marcinelle.
Là, Dengis tient une maison de logement. En mars 1906, entra chez lui Florent Van Goethem qui était, dit l'instruction, un ivrogne et un débauché.
« Il buvait bien », estime l'accusé.
Diverses scènes eurent lieu. Van Goethem déclarait carrément qu'il était l'amant de la femme Dengis. A un moment donné, il quitta la maison. Ce fut Dengis qui alla le rechercher.
« C'était pour lui faire ramasser toutes ses affaires, objecte l'accusé.
– Cependant, il resta encore plus d'un mois chez vous, remarque le Président.
Le 24 juillet 1906, une nouvelle scène eut lieu.
Une querelle éclata entre Dengis et trois logeurs, dont Van Goethem. Deux de ceux-ci quittèrent la maison en emportant leurs paquets. Dengis et son frère Arthur les rejoignirent, armés de revolver, et leur donnèrent l'ordre de réintégrer la maison Dengis, ce qu'ils firent.
D'autre part, Dengis frappa Van Goethem – coups qui entrainèrent incapacité de travail.
L'accusé poursuivit Van Goethem dans une maison voisine et l'aurait menacé à l'aide de son revolver.
Cette scène est déférée au tribunal de Charleroi.
Félix Dengis nie avoir été porteur de revolver. Il dit avoir mis Van Goethem à la porte, parce qu'il l'avait vu embrasser sa femme. Il voulait conserver son honneur. C'est son frère Arthur qui l'a poursuivi chez un voisin.
Le ménage Dengis demeura à Marcinelle jusqu'au 10 novembre.
Van Goethem était resté dans les environs. L'épouse Dengis s'absentait souvent. L'accusé lui reprocha de continuer à voir Van Goethem. Il nie cependant l'avoir frappée ni menacée à l'aide de son revolver. Il nie également avoir menacé Van Goethem.
Un jour, sa femme lui dit qu'elle écrivait à sa sœur.
Or, cette lettre était adressée à un homme.
– Subitement, vous décidez de quitter Marcinelle. Cependant, vous gagniez de grosses journées, 8 fr. 50, quand vous travaillez, car vous chômiez souvent ?
– Non, je travaillais tous les jours.
Je voulais m'éloigner, parce que je soupçonnais ma femme de continuer ses relations avec Goethem. Je voulais les éloigner l'un de l'autre. Je voulais aller m'établir en Hollande.
– Votre femme a éprouvé une grande déception à la nouvelle de ce départ. Cependant, sur les conseils de ses deux sœurs, elle décida de vous suivre.
Vous quittez Charleroi le vendredi 16 novembre et arrivez chez votre belle-sœur Pauline, à Chokier ?
– Oui.
– Et votre mobilier ?
– Je l'ai expédié à Jemeppe.
– Cependant, vous avez déclaré plusieurs fois que vous les expédiez en Hollande. Le 19, vous dites que vous allez en Hollande chercher une maison. Au lieu de cela, n'allez-vous pas chez votre père, à Grâce-Berleur, déposer votre fils ainé ?
– Oui. J'y ai logé.
– Vous aviez même affirmé à votre fils que vous alliez en Hollande. Nous arrivons au 20 novembre. Qu'avez-vous fait ?
– J'ai pris le train à 12 heures 1/2 à Flémalle-Haute et me suis rendu à Chokier. Il demande où est sa femme. Sa fillette lui répond : « Elle est en haut. Elle fait une lettre ». Je suis monté et ai demandé : « Est-ce que tu fais une lettre ? » Ma femme répondit que non.
J'ai regardé dans le lit et j'ai trouvé une lettre sous les couvertures. Elle était dans une enveloppe portant l'adresse de Van Goethem. Je suis descendu. Elle m'a suivi.
Ma belle-sœur est rentrée à ce moment. Les deux sœurs ont causé ensemble. Je suis remonté dans ma chambre et suis allé lire la lettre. Ma femme y disait à Van Goethem qu'elle s'enfuirait et le rejoindrait dès que le ménage serait installé en Hollande.
J'ai fait des reproches à ma femme sur sa conduite.
Elle m'a dit alors qu'elle resterait avec les enfants et ne ferait pas comme elle l'écrivait dans la lettre.
J'ai dit : « Vous commencerez par écrire une lettre à Van Goethem lui fixant rendez-vous à Flémalle. Et à ce rendez-vous nous irons tous deux. » Elle a répondu : « Je veux bien. »
Après le dîner, une des enfants a été acheter du papier.
Puis, en haut, dans notre chambre à coucher, ma femme a écrit la lettre de rendez-vous à Van Goethem pour le vendredi suivant, à la gare de Flémalle, à la descente du train de 1 heure. Je voulais le battre, pour lui enlever l'envie de continuer ses rapports avec ma femme.
Il n'y a pas eu la moindre dispute entre ma femme et moi. Elle m'a simplement demandé de ne montrer cette lettre à personne.
Je décidai alors de me rendre à Jemeppe avec ma femme pour acheter des robes pour les enfants.
J'avais les deux lettres dans ma poche. J'ai perdu de vue de mettre à la poste celle donnant rendez-vous à Van Goethem pour le vendredi suivant.
Nous sommes partis vers 2 heures et demie pour aller prendre le train pour Jemeppe. Mais nous sommes allés à pied.
Nous avons été acheter deux robes d'enfants. Nous avons ensuite traversé le pont de Seraing, avons circulé dans les rues et avons pris la direction du Val-Saint-Lambert. Ma femme désirait regarder les étalages. Nous ne sommes entrés nulle part. Au pont du Val-Saint-Lambert, le tram venait de partir. Il était près de 8 heures. Ma femme a proposé de retourner à pied. Nous avons passé le pont et pris le chemin de halage, comme le chemin le plus court.
Nous discutions. Je lui ai dit : « J'ai perdu confiance en toi !2 Enfin, à un moment, pris de colère, je l'ai poussée d'un coup.
L'ACCUSE se cache la figure dans son mouchoir et pleure.
LE PRESIDENT, après avoir attendu quelques instants, interpelle l'accusé :
– Allons, enlevez votre mouchoir ! Il faut continuer. N'avez-vous pas dit à votre femme : « Tu m'as assez trompé ! Tu ne me tromperas plus ! »
– Non.
– Vous l'avez dit à l'instruction. N'a-t-elle pas poussé un cri ?
– Non.
– Le chemin de halage est très large. Vous avez dû poussé très fort ?
– Je ne m'en souviens pas.
– Vous avez dit à l'instruction qu'elle avait poussé un cri et qu'elle était revenue une fois à la surface du fleuve.
Il était alors vers 8 heures et demie. Vous n'êtes rentré chez votre frère qu'à 1 heure du matin. Votre belle-sœur est venue vous ouvrir.
N'avez-vous pas dit à ce moment : « Ta sœur vient de m'en faire une belle ! »
– Non, j'ai dit seulement : « Elle s'est sauvée pendant que j'étais entré un instant dans un magasin. Elle est probablement sauvée avec Van Goethem ! »
– Et vous montrez alors la lettre. Pourquoi ne l'aviez-vous pas montrée à midi, au lieu d'attendre ? Le lendemain, vous vous répandez en menaces contre Van Goethem, disant que vous lui casseriez les deux jambes.
Vous avez dormi très tranquillement auprès de vos enfants orphelins. Le lendemain vous êtes allé à Grâce-Berleur et avez montré la lettre à votre frère ainé.
Vous louez une maison près de celle de votre frère et y demeurez quinze jours.
Qu'est devenue la lettre ?
– Je l'avais placée dans un tiroir.
– Cependant, personne ne l'a vue ?
– Ma mère l'a vue.
– Votre mère, interpellée, a déclaré ne pas l'avoir vue. Vous êtes allé à Charleroi le 24 novembre. Pourquoi ?
– Pour toucher ma quinzaine.
– N'était-ce pas pour répandre le bruit que votre femme s'était enfuie ?
– Non…
– Vous êtes encore retourné à Charleroi d'autres fois ?
– Deux fois.
– N'alliez-vous pas là pour chercher Van Goethem ?
– Le 12 décembre, une de vos belles-sœurs faisait des recherches pour retrouver sa sœur. Elle s'était adressée à un spirite. Pour détourner les soupçons, vous y êtes allé vous-même et avez interrogé le spirite.
Enfin, vous êtes reparti pour Charleroi avec vos enfants, au moment même où on repêchait le cadavre de votre femme. Vous avez logé. Vous avez rencontré le lendemain Van Goethem.
Avec votre frère Arthur, vous avez circulé dans les cafés avec Van Goethem. Ne lui dites-vous pas que votre femme s'était enfuie et est entrée en service près d'Engis, à vingt minutes de la gare ?
– C'est lui qui a demandé à revenir avec moi.
– Vous êtes allé chez votre avocat, à Charleroi, pour qu'il reconnaisse qu'il était l'amant de votre femme. Vous avez fait prendre énormément de libations à Van Goethem et ne l'avez-vous pas engagé à venir avec vous à Engis pour qu'il vienne solliciter votre femme de rentrer au domicile conjugal ?
– Non. C'est lui qui s'est proposé de le faire.
– Et c'est vous qui avez payé son train.
– Oui.
– Vous êtes arrivé avec Van Goethem à Engis vers 6 heures du soir ?
– Oui.
– Que s'est-il passé ?
– Je voulais l'avoir à la même place que celle où j'avais eu ma femme, et le précipiter dans la Meuse.
– N'aviez-vous pas déjà eu cette intention au moment où vous faisiez écrire cette lettre de rendez-vous ?
– Non. Je pensais à mes petits enfants.
– Singulière façon d'y penser que de tuer leur mère.
Van Goethem a pu s'échapper et a passé la nuit dans les transes, dans une cabane de chemin de fer.
Vous apprenez alors que le cadavre de votre femme était retrouvé, qu'on cherchait à l'identifier. Vous pénétrez à la Morgue et brisez le cercueil. Pourquoi ?
– Je voulais revoir ma femme.
– Vous avez circulé encore toute la journée du 14 décembre. Et, le 15, vous êtes allé vous rendre à la gendarmerie de Tilleur. Vous vous êtes débarrassé de votre revolver. Comment ?
– Je n'en sais rien.
– On avait confisqué votre revolver le 25 juillet. Vous vous en êtes procuré un nouveau.
– Le 17 novembre déjà, vous aviez écrit à un homme que vous considériez comme un ancien amant de votre femme, le menaçant de mort s'il continuait à la voir.
La lettre que votre femme aurait écrite spontanément le 20 novembre, saisie par vous et annonçant à Van Goethem qu'elle le rejoindrait prochainement, a été retrouvée, est donc reproduite. Lettre pleine de protestations passionnées. Cette lettre commence par ces mots : « Je commence par vous dicter cette lettre... »
Quant à l'autre lettre fixant rendez-vous pour Flémalle, vous ne pouvez la reproduire. Pourquoi avez-vous conservé l'une et pas l'autre ?
– J'avais pris l'une en poche pour la montrer à mes parents, tandis que l'autre a été déposée dans un tiroir, c'est pourquoi elle s'est égarée.LES TEMOINS
M. le juge BONJEAN fournit divers renseignements sur l'instruction qu'il a dirigée. Le cadavre de la femme Dengis présentait diverses blessures. Les vêtements étaient ramenés au-dessus de la tête. Mais ces circonstances s'expliquèrent par des manœuvres pratiquées dans les écluses.
Le parquet ordonna l'autopsie. On y procédait à la morgue de Jemeppe quand Emile Dengis se présenta et raconta que sa belle-sœur était disparue depuis le 20 novembre. Il ne put reconnaître le cadavre tant il était défiguré, mais il reconnut de façon positive certains des vêtements. C'était Ferdinande Humblet.
Emile Dengis disait que des dissentiments existaient dans le ménage de son frère Félix et que celui-ci était capable de tuer sa femme.
Le cercueil contenant les restes de la victime fut scellé après l'autopsie. Le lendemain, 15 décembre, le fossoyeur, en pénétrant dans la morgue, trouva qu'on y était entré par effraction, que les scellés avaient été brisés.
M. le juge Bonjean se rendit le jour même sur les lieux. Le cercueil avait été ouvert à l'aide d'un canif. Un débris du cercueil avait été brûlé. On retrouva sur le sol des morceaux d'allumettes.
M. Bonjean apprit qu'on avait vu Dengis le matin.
Il donna l'ordre de l'arrêter. Or, quelque temps après, la gendarmerie avertissait le juge que Dengis venait de se constituer prisonnier et avait avoué avoir noyé sa femme.
M. le juge rapporte les résultats de son instruction très compliquée avec une clarté, une précision tout à fait remarquables.
Au cours de son premier interrogatoire le jour même de son arrestation, Dengis déclara qu'il n'avait eu aucune discussion avec sa femme, que subitement l'idée lui était venue de se défaire de sa femme, et qu'il l'avait poussée à la Meuse. Ce n'est que plus tard qu'il ait qu'une discussion avait surgi, parce qu'on avait reparlé de la lettre.
A la gendarmerie, il avait dit avoir décidé de tuer sa femme, dès la découverte de sa lettre à Van Goethem.
Dengis nia avoir tenu ce propos.
Le maréchal-de-logis interpellé, a maintenu que Dengis lui avait fait la déclaration telle qu'il l'avait actée.
L'accusé n'a jamais dit avoir oublié de mettre à la poste la lettre de rendez-vous à Van Goethem.
Dengis après son interrogatoire, a passé tout le reste de l'audience sans relever la tête, le coude sur le genou, la figure cachée dans la main.
Le juge d'instruction continuera l'après-midi.AUDIENCE DE L'APRES-MIDI
L'audience est reprise à 3 heures précises.
M. LE JUGE D'INSTRUCTION BONJEAN continue sa déposition.
Après avoir précipité sa femme à l'eau, il s'est éloigné de quelques pas. Il a vu sa femme reparaître à la surface du fleuve, puis disparaître à jamais. Il a erré toute la soirée, et est rentré chez son frère vers une heure du matin. Il demanda à sa belle-sœur si sa femme n'était pas rentrée. A la réponse négative, il ajouta : « Elle m'en a fait une belle, va. » Elle a disparu pendant que, lui, était entré chez un marchand de tabac à Seraing. Il disait qu'il avait couru partout à toutes les gares, même à Longdoz à Liége pour la chercher. Elle est probablement partie avec un amant, déclarait-il.
Il retournait souvent au bord de la Meuse et à l'endroit où il avait jeté sa femme à l'eau. « A cet endroit, j'étais plus calme, déclare-t-il ».
A partir de ce jour, il a abandonné tout projet d'aller en Hollande. Il n'en parle plus. Il vend même son mobilier. Il cherche de la besogne.
Le 12 décembre est le second grand jour. La sœur va consulter Antoine à Jemeppe pour savoir où est sa sœur. Depuis qu'il a été condamné, il ne fait plus le rebouteur. Antoine s'intitule maintenant spirite. Il a construit à ses frais un temple qui lui a couté 65,000 fr. Il reçoit par jour 50 ou 60 personnes. A la belle-sœur de Dengis, Antoine dit : « Envoyez-moi le mari. » Et pour détourner les soupçons, Félix Dengis se rend chez Antoine. Le spirite lui répond : « Votre femme va vous écrire. Vous saurez bientôt où elle est. »
Le même jour, on repêchait le cadavre de la victime. Dengis s'était ce même jour aussi rendu à Charleroi. Il y rencontra Van Goethem qui lui répondit : « C'est tout de même malheureux d'avoir une femme comme la tienne. C'était moi qui avais l'air d'être le mari, et toi le simple logeur. »
Dengis sut persuader à Van Goethem de revenir avec lui. A Engis, eut lieu une scène dans un cabaret.
L'accusé a déclaré au juge d'instruction : « Je voulais le précipiter à la Meuse, mais non à Engis. Je voulais l'amener à l'endroit même où j'avais noyé ma femme et y jeter Van Goethem à son tour. »
Van Goethem eut peur, n'osa pas quitter le cabaret. Des ouvriers l'emmenèrent et le cachèrent dans une cabane dépendant d'un charbonnage.
Cette même nuit, il pénétrait à la Morgue.
Il voulait revoir sa femme. Il fit sauter les vis du cercueil. Mais la tête avait disparu. Les magistrats l'avaient emportée, en effet. Cependant, Dengis reconnut sa femme à ses mains, à un doigt de pied qui chevauchait.
Il alluma des allumettes, travailla dans l'obscurité, essaya de brûler une planche de cercueil pour s'éclairer, mais n'y réussit pas. Alors il s'assit.
Cette scène d'un tragique shakespearien dura, paraît-il, plus de trois heures. Il s'assit, puis il pria.
J'ai tenu à être tout à fait certain que le cadavre était bien celui de la femme Dengis. J'ai fait demander à Dengis si cela ne lui ferait rien de voir la tête de sa femme. Il m'a répondu que non. Au contraire. J'ai fait préparer la tête. Les docteurs lui avaient rendu expression humaine. Je suis allé avec Dengis à la Morgue. On a découvert la tête arrangée dans son lit, comme si elle tenait au corps. Dengis est entré d'un pas très ferme. J'étais à côté de lui. Dengis s'est mis à genoux, s'est écrié : « C'est bien elle. Qu'elle me pardonne. Je lui pardonne. Qu'elle ait sa place au paradis. »
Sa douleur a été très poignante. Je crois qu'il aurait été trop ému pour signer son procès-verbal.
Quand il parlait de sa femme et surtout de ses enfants, il se mettait à pleurer. Il m'a demandé de m'occuper de ses enfants, de tâcher de les placer dans une institution charitable.
Je me suis adressé deux fois à la Société des Enfants Martyrs.
Il n'y a que le mari qui a reconnu formellement sa femme. Les autres parents n'osaient pas être tout à fait catégoriques, tant elle était méconnaissable. On lui avait fait des yeux bruns et elle les avait noirs. Les cheveux étaient si emmêlés qu'on avait dû les lui couvrir à l'aide d'un mouchoir.
M. LE PRESIDENT. La Cour vous félicite de la laborieuse et très complète instruction que vous avez faite.La Meuse, 25 avril 1907, soir (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 26 Avril 2007 à 19:00
LE DRAME DE CHOKIER
UN MARI QUI JETTE SA FEMME DANS LA MEUSE
La population de Jemeppe et de Chokier se passionne pour l'épilogue de ce drame sombre, un des plus poignants que nous ayons vu se dérouler devant les assises depuis plusieurs années. Aussi les habitants de ces villages ont-ils envahi dès l'ouverture des portes l'enceinte réservée au public. Il y règne un véritable entassement.
Ce drame et les scènes tragiques auxquelles il a donné lieu soulève les questions de responsabilité les plus intéressantes.
Un certain nombre de témoins ne sont cités que pour l'audience de cette après-midi. L'affaire ne sera donc terminée probablement que demain soir.
Félix Dengis conserve la même attitude lassée, même apparence indifférente que la veille. La tête baissée, il regarde cependant en dessous tous les témoins qui défilent.
Parfois, il se cache la figure dans son mouchoir.Les témoins
On reprend l'audition des témoins. Ce sont les témoins cités à la demande de la défense.
Plusieurs d'entre eux viennent déposer de faits et de racontars sans intérêt pour le public.
Certains de ces témoins, avec la prudence campagnarde, ne veulent absolument rien dire. Ils ne connaissent même pas l'accusé, bien qu'il eût habité à côté de leur maison.
Et ils le déclarent avant même que le président ne leur ait demandé leurs nom et prénoms ! Il n'y a pas moyen de les faire sortir d'une formule plus que vague. Beaucoup ne veulent même pas regarder l'accusé. Il faut que le président insiste pour qu'ils tournent la tête de ce côté !
Ou bien, pour satisfaire tout le monde, d'autres déclarent : « Le mari était un brave homme, la femme était une brave femme ! »
Ce sont, en effet, surtout des témoins de moralité que toutes ces personnes.
Les renseignements fournis sur l'accusé sont favorables. Le ménage paraissait uni.
M. Léon SCOHIER, porion marqueur de Marcinelle, a eu sous ses ordres Félix Dengis. Un jour, il est entré dans son bureau, la hache à la main. Il a dit : « Il faut qu'un de nous meurt ! » Il a cependant déposé sa hache. Je lui fait son compte et lui ai dit de s'adresser à l'ingénieur.
Il a ajouté : « Je reviendrai si je ne suis pas payé ! » Il a fait des excuses dans la suite.
LE PRESIDENT. Oui. Mais cela vous a fait tellement d'impression au moment même que vous avez porté plainte.
LE TEMOIN. Oui.
M. LE PRESIDENT. Et il y a eu des poursuites correctionnelles ? Et Dengis a été condamné ?
LE TEMOIN. Oui
Me PETY DE THOZEE. Après cela, il a été néanmoins repris par le charbonnage. Et l'accusé n'a plus eu que de bons rapports avec le porion.
Alfred CHAINIEUX est un neveu de l'accusé. Il a écrit à une autre tante une lettre dans laquelle il annonçait la disparition de sa tante, Ferdinande Humblet, qui devait être partie avec un amant.
Or, cette lettre a été écrite à la demande et à l'instigation de l'accusé.
Jean-Baptiste DENGIS est trop jeune pour prêter serment. C'est également un neveu de l'accusé. C'est chez ses parents, à Chokier, que l'accusé, sa femme et ses enfants sont venus s'installer au mois de novembre pendant 15 jours.
Sa tante Ferdinande Humblet a disparu après sept ou huit jours.
Le dernier jour, vers midi, elle lui a demandé « une cenne » pour aller acheter du papier. C'est une des fillettes de sa tante qui a été chercher ce papier. C'était lui qui avait indiqué où on en vendait.
Il n'y est pas allé lui-même parce qu'il avait mal à la jambe. La petite a rapporté une feuille et une enveloppe. La feuille était blanche et l'enveloppe était bleue, et très grande.
Le Président insiste beaucoup sur ces détails et lui exhibe une petite enveloppe blanche. L'enfant déclare que ce n'est pas celle-là.
Or, c'est cette petite enveloppe que l'accusé déclare avoir saisi dans le lit, et qui contenait la lettre de sa femme à Van Goethem.
LE PRESIDENT. Vous entendez, Dengis ?
L'ACCUSE. L'enfant se trompe ou ne se souvient pas.
Le juge d'instruction, rappelé, déclare que l'enfant lui a toujours fait exactement la même déposition.
LE TEMOIN ajoute qu'un peu après on est allé acheter une autre feuille de papier. Son oncle – l'accusé – et sa femme sont allés faire la lettre en haut.
Son oncle a dit à sa femme : « Eh bien ! va-t-on faire la lettre ? » Et ils sont montés dans leur chambre.
Le petit déclare qu'il n'a pas vu le papier à lettre acheté en second lieu.
Emile DENGIS, mineur à Chokier, est le frère de l'accusé. Il est entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président et sans prêter serment.
Le ménage de l'accusé est arrivé en novembre – le 16 – venant de Marcinelle. L'accusé disait que son mobilier était expédié pour la Hollande.
Il disait qu'il quittait Charleroi parce que sa femme avait des amants. Le lundi 19 novembre, Dengis est parti avec son fils aîné. Il avait dit qu'il allait chercher de l'ouvrage et une maison en Hollande. Il n'est rentré que le mardi, vers midi, et est sorti avec sa femme pour aller acheter des robes pour les enfants, annonçant que, le lendemain, ils partaient pour la Hollande.
Rien d'extraordinaire n'avait été remarqué au moment de leur départ. Félix Dengis est rentré seul vers une heure du matin. La femme du témoin s'est levée pour lui ouvrir. Elle lui a dit en venant le rejoindre : « Ton frère m'a montré une lettre que ma sœur écrivait à un amant. Van Goethem. Voilà ce que c'est de ta sœur. »
Le lendemain, l'accusé a raconté que sa femme s'était sauvée pendant qu'il était entré dans un magasin de tabac.
L'accusé n'a pas montré la lettre que sa femme avait écrite, sur son instigation, et donnant rendez-vous à Van Goethem. On a cependant parlé de lettre.
Les jours suivants, son frère a fait diverses démarches, demandant qu'on recherchât sa femme. Il racontait la fuite de sa femme et s'en plaignait. Des disputes éclataient parfois dans le ménage de mon frère et de sa femme Ferdinande Humblet. Son mari trouvait qu'elle dépensait trop d'argent. Des scènes de violence ont eu lieu à diverses reprises.
Le témoin croyait absolument à la version donnée par son frère à la disparition de Ferdinande Humblet avec un amant.
Quand il a appris, le 13 décembre, qu'un cadavre de femme venait d'être repêché à Jemeppe, il s'est rendu au cimetière et a déclaré qu'il croyait bien que c'était sa belle-sœur.
Son frère – l'accusé – n'est pas venu chez lui ce jour-là.
La veille – avant de partir pour Charleroi – il était venu chez le témoin apporter sa montre, sa pipe et trente francs.
Le lendemain 14 décembre soir, Félix Dengis est venu amener sa fille dans le corridor d'une maison voisine. Le 15 il allait se constituer prisonnier.
La déposition d'Emile Dengis s'éternise, à propos de divers incidents, d'allées et venues de l'accusé. Une appréciation du témoin ayant dit que son frère était capable de tuer sa femme et des motifs de cette appréciation a failli amener un incident. Le Président a refusé de poser une question. Me Pety a déposé des conclusions. Puis tout s'est arrangé.
Mme EMILE DENGIS est la femme du précédent témoin et en même temps la sœur de la victime.
Sa sœur, Ferdinande Humblet, était mécontente de quitter Charleroi. Le mardi 20 novembre, le témoin n'était pas à la maison quand l'accusé est rentré vers midi et quart.
Quand elle est rentrée, elle n'a rien remarqué d'anormal.
Après avoir dîné, Félix Dengis a dit à sa femme : « Nous irons faire cette lettre là. » Et il a pris sur un meuble une feuille de papier et une enveloppe qu'il avait fait chercher un peu avant le dîner par une de ses fillettes. L'enveloppe était petite et blanche.
Auparavant, le fils du témoin avait prêté « une cenne » à sa tante Ferdinande pour aller chercher déjà une feuille de papier et une enveloppe.
Les époux Emile Dengis sont restés 12 ou 15 minutes dans leur chambre. Ils paraissaient tout à fait d'accord. Ils ont ensuite dit qu'ils allaient sortir pour acheter des robes aux enfants.
Le mari, pendant que sa femme s'habillait, a montré dans sa poche l'extrémité d'une lettre. C'était l'enveloppe blanche. Il y avait une adresse inscrite sur cette enveloppe, mais le témoin n'a pu la lire. Il disait que son fils ainé était resté en Hollande où, affirmait-il faussement il était allé la veille pour louer une maison et décharger son mobilier.
Félix Dengis est rentré seul vers une heure du matin. Il a dit : « Ferdinande est-elle rentrée ? » Le témoin a demandé : « Où est-elle ? » – Voilà une lettre qu'elle a écrit, répondit-il. Et il montra une enveloppe qui devrait être celle qu'il avait en poche en sortant. Il a raconté alors que sa femme s'était enfuie ; qu'il avait trouvé cette lettre dans un lit ; qu'il ne l'avait pas montrée à 2 heures avant de partir à la demande de sa femme elle-même qui, disait-elle, aurait été honteuse.
Deux jours après, la sœur demanda : « N'est-ce pas vous qui l'avez fait écrire ? »
– Non. Celle-là était une lettre de rendez-vous à Van Goethem, où je serais allé, répondit-il. Il n'a pas montré cette lettre.
LE PRESIDENT. – Dengis, pourquoi ne la montriez-vous pas ?
L'ACCUSE. – Parce que je l'avais déjà déposée dans un tiroir, et que je n'avais pas besoin de la porter dans ma poche.
Mme DENGIS. – L'accusé se montrait furieux du départ de sa femme. « Je lui casserai les deux jambes, disait-il, si je la rencontre. »
La victime se plaignait beaucoup de son mari. Elle raconta à sa sœur que quelques jours avant leur départ de Marcinelle, son mari lui avait posé le revolver sur la poitrine. Cette querelle était basée encore sur des motifs de jalousie.
Jean-Joseph DENGIS, maçon, Grâce-Berleur, est le père de l'accusé. Celui-ci a eu une méningite à l'âge de 17 ans. A la suite de cette maladie, son caractère s'est complétement modifié. Pour la moindre contrariété, il se mettait en colère. Il fallait avoir beaucoup de patience avec lui.
Mme Antoinette DONY, épouse Dengis, à Grâce-Berleur, mère de l'accusé, dépose ensuite sur divers incidents.
Elle dit qu'elle a rangé des papiers se trouvant dans un tiroir. Or, elle y a vu la lettre écrite par Ferdinande Humblet à Van Goethem. Elle ne l'avait pas dit jusqu'ici parce qu'elle ne s'était jamais trouvée dans de semblables circonstances. La lettre commençait ainsi :
« Mon très cher Ferdinand. Je vous écris quelques mots de lettre pour vous faire venir vendredi à la gare de Flémalle. Je vous aime trop, etc. »
Quand j'ai eu lu cela, je n'ai pas continué. J'étais bouleversée.
LE PRESIDENT. Vous n'avez dit cela ni à la police ni au juge d'instruction.
LE TEMOIN. C'est exact. Je ne l'avais pas dit parce que j'avais brûlé cette lettre.
Des frères, des belles-sœurs, des neveux de l'accusé continuent à défiler. Plusieurs reviennent sur des incidents, des relations qu'ils soutiennent avoir existé entre Van Goethem et la victime. On a ainsi entendu dix Dengis !
Tous ces témoins, sauf, pendant quelques secondes, la mère, déposent avec un calme, un impassibilité déconcertants.
Il reste quelques témoins à entendre.
Le réquisitoire sera prononcé cette après-midi.AUDIENCE DE L'APRES-MIDI
La Cour reprend audience à 3 heures.
L'audition des neuf derniers témoins ne prend que peu de temps.
M. CORILLON Constant, garde champêtre à Chokier, a reçu la visite de l'accusé qui lui a dit que sa femme s'était enfuie avec un amant, et qui lui demandait le moyen de la faire revenir.
M. HERBILLON Alfred, à La Malieue, a connu Ferdinande Humblet avant son mariage.
Il l'a courtisée pendant quelques mois. Il nie avoir eu des relations avec elle après son mariage. Il a reçu le 17 novembre 1906 une lettre de menaces de Dengis, prétendant qu'il était l'amant de sa femme. Il a porté plainte contre Dengis.
Mme CHAINEUX, aux Awirs, est la belle-sœur de l'accusé. Ferdinande Humblet lui a raconté que son mari l'avait menacé de la tuer si elle ne le suivait pas en Hollande. Elle lui a dit aussi un autre soir que si ce n'était pas pour ses enfants elle s'en irait si loin qu'on n'entendrait plus parler d'elle.
Après la disparition de sa femme, elle s'est rendue chez le spirite Antoine, de Jemeppe, demander où était sa sœur. Antoine lui a dit de lui envoyer plutôt le mari de la disparue. Elle a transmis cette demande à l'accusé, qui est allé à son tour chez Antoine.
Mme LOUIS RALET, à Chokier, a entendu dans la soirée du 13 décembre du bruit dans le corridor de sa maison. Elle est allée voir. C'était la fillette de l'accusé que celui-ci avait amené, et qui s'était éloigné. Mme Ralet a logé l'enfant et a été la conduire le lendemain matin, chez sa tante.
M. WISEUR, maréchal des logis à Charleroi. Van Goethem lui a dit qu'il était amoureux de l'épouse Dengis ; qu'il l'avait déjà embrassée ; qu'il n'avait pas eu de relations avec elle ; que d'ailleurs s'il en avait eu, il ne le dirait pas, parce que personne ne les avait vu.
CHAPELIER Alexis gendarme à Flémalle-Grande, a été chargé ce matin de certains devoirs par le président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire.
Il vient en rendre compte. Il s'est rendu chez M. Baudinet, papetier à Chokier, pour demander si on se rappelait avoir vendu du papier, dans le courant de novembre. Mme Baudinet dit avoir vendu à deux reprises au petit garçon de l'accusé du papier à lettres. Elle ne peut affirmer qu'elles étaient les enveloppes.
Or, c'est ce point des enveloppes qu'il eût été intéressant d'éclairer.La Meuse, 26 avril 1907, soir (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 29 Avril 2007 à 08:00
COUR D'ASSISES
LE DRAME DE CHOKIER
UN MARI QUI JETTE SA FEMME DANS LA MEUSEL'Audience de samedi après-midi
La plaidoirie de M. Pety de Thozée terminée, le président interpelle Dengis, qui déclare n'avoir rien à ajouter pour sa défense.
Les débats sont clos.LES QUESTIONS
M. le président donne lecture des questions que le jury a à résoudre.
Ces questions sont au nombre de deux. Les voici :
1o Dengis est-il coupable d'avoir, le 20 novembre, à Flémalle, volontairement, et, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de Ferdinande Humblet, son épouse ?
2o Circonstance aggravante : l'homicide a-t-il été commis avec préméditation ?
Le jury entre dans la salle des délibérations à 4 h. 1/2.LE VERDICT
La délibération a duré 20 minutes.
A 4 h. 50, le coup de sonnette.
Le jury rentre en séance.
Sa réponse est affirmative sur la première question, négative sur la seconde.
Dengis est en conséquence déclaré coupable d'homicide volontaire, mais sans préméditation.L'ARRET
Le MINISTERE PUBLIC réclame l'application de la loi, avec admission de circonstances atténuantes basée sur la responsabilité limitée de l'accusé.
Me PETY DE THOZEE se joint à cette demande.
Dengis, à la question du président, répond : « Je demande pardon pour mes pauvres petits enfants. »
Des sanglots éclatent dans l'auditoire, où se trouvent plusieurs parents de Dengis.
La Cour se retire pour délibérer. A 5 h. 25 m., elle rentre en audience et rapporte un arrêt qui accorde à Dengis le bénéfice des circonstances atténuantes résultant de l'état de surexcitation dans lequel il se trouvait au moment des faits et qui diminue un peu sa responsabilité.CONDAMNATION
Elle le condamne à QUINZE ANS DE TRAVAUX FORCES.
C'est le minimum de la peine auquel la Cour pouvait descendre.La Meuse, 29 avril 1907, matin (source : Belgicapress)
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Par antoiniste le 30 Avril 2007 à 08:00
COUR D'ASSISES
LE DRAME DE CHOKIER
UN MARI QUI JETTE SA FEMME DANS LA MEUSEAudience de vendredi
(Suite, voir « La Meuse » rose d'hier soir)LE REQUISITOIRE
La parole est donnée à M. Bodeux, substitut du Procureur Général.
Je simplifierai le débat autant qu'on peut le faire. Je crois que la vérité ne se trouve pas dans les menus détails. Le fait principal est à considérer. Dengis a jeté sa femme à l'eau. C'est de ce fait criminel qu'il ne faut pas s'écarter. La défense me rendra la justice que j'ai été aussi modéré que possible.
Les relations entre la victime et Van Goethem je ne les discuterai pas. Cependant, elles n'ont été établies par aucun témoin. Ceux-ci ne sont venus rapporter que des propos de forfanterie de Van Goethem, et rien que cela.
Quelque chose rend cette affaire mystérieuse. C'est l'attitude de Dengis avant le crime. Il va en Hollande, raconte-t-il. Il le fait dire par son fils. N'est-ce pas qu'à ce moment il a un sinistre projet à exécuter ?
Une lettre a été produite, mais elle a besoin d'une seconde lettre pour avoir sa valeur. Or, elle n'est pas reproduite. Personne ne l'a vue. Il a fallu tout le dévouement d'une mère pour venir ce matin déclarer l'avoir vue. Cette lettre n'a jamais existé. Dengis l'eut conservé, comme il conservait l'autre.
Il n'y a eu qu'une lettre, celle qu'il produit, et qu'il a fait écrire à sa femme. Les termes eux-mêmes le disent : « La lettre que je vous dicte », y est-il dit.
Le mystère, la défense ne l'éclaircira pas. Je veux cependant être bon prince. Je veux bien admettre que cette lettre a existé et que c'est elle qui a déchainé la fureur de Dengis.
Alors, que peut-on invoquer en faveur de l'accusé. La première question est celle-ci ? Dengis était-il sain d'esprit au moment où il a jeté sa femme à l'eau.
Le jury a à exercer un acte de défense sociale. Il n'y a pas infraction. Si le fait a été posé en état de démence. Rapportons-nous-en à cet égard au rapport que les médecins aliénistes, MM. Francotte et Bidlot, ont déposé relativement à Dengis. Ces deux spécialistes ont examiné le dossier, ont interrogé fréquemment Dengis. Ils ont examiné le passé de l'accusé. Ce sont eux qui ont signalé certaines tares et signalé le rapport des médecins militaires à Malines. Ils ont interrogé les parents de Dengis. Et ils ont après tant de scrupules, déclaré que l'accusé n'était pas atteint d'aliénation mentale.
Vous avez en outre pu apprécier l'attitude habile, constamment logique avec elle-même.
Quel est l'homme qui n'a pas quelque tare, quelque grain de folie ?
Le médecin aliéniste est toujours enclin à voir partout des défectuosités au point de vue mental.
M. le médecin principal Bosmans a déclaré lui-même que Dengis était rentré dans la vie normale.
Ce qui me prouve la responsabilité de Dengis, c'est la persistance du remords. Il va à droite, il va à gauche, mais toujours ramené au bord de la Meuse où il a jeté sa femme. Quand il rentre dans la vie ordinaire, il se masque, il invente des histoires de fuite. Quand il rentre en lui-même, il se met à pleurer.
Et après avoir tenté de jeter Van Goethem à la Meuse, il vient se constituer prisonnier à la gendarmerie de Tilleur.
Et, en entrant, il prononce la parole la plus profonde de cette affaire : « Quand on a commis un crime, on finit toujours par être découvert. »
La défense pourra invoquer la scène de la morgue.
Comment a-t-il eu ce courage de venir la nuit ouvrir le cercueil où repose sa victime ?
Le coupable est ramené par une force invincible vers l'endroit du crime et vers sa victime. C'est une curiosité malsaine qui le pousse. Ici il y a même une raison spéciale. La victime n'a-t-elle pu se sauver, s'accrocher à une barque, gagner la berge. Car il s'était enfui, le crime perpétré. Alors il voulait savoir si ce cadavre était bien celui de sa femme. Puis se sentant traqué, sachant la police à sa recherche il s'est décidé à se rendre.
Le jury n'hésitera pas à sanctionner les conclusions des médecins aliénistes, et à déclarer Dengis responsable du crime qu'il a commis.
Mais n'a-t-il pas, au moment du fait, été poussé par une force à laquelle il n'a pu résister ? N'y a-t-il pas eu contrainte morale ? Rien de cela n'existe. Il y avait pour Dengis danger imminent, auquel il ne pouvait se soustraire.
Dengis voyant ses soupçons confirmés par la lettre – si nous admettons l'existence de la lettre de rendez-vous écrite par sa femme – il a dû être violemment secoué. S'il s'était porté à ce moment à des violences, il n'aurait pas eu une excuse, mais tout au moins des circonstances atténuantes. Mais il n'en a rien été. D'ailleurs jamais la colère n'a été admise par le législateur comme une cause de justification.
La préméditation de commettre ce crime est établie, soit que l'on conteste, soit même que l'on admette l'existence de la lettre de rendez-vous. Dengis découvre la lettre à midi. Il forme à ce moment le projet de tuer sa femme. Il attend plusieurs heures. Il amène sa femme le long de la Meuse, en pleine nuit, à un endroit désert. Sa déclaration à la gendarmerie de Tilleur ne laisse aucun doute. Il a signé l'aveu de la préméditation. Il a dit : « C'est dans ce but que je suis allé à Jemeppe. » « C'est à ce moment que j'ai découvert la lettre que j'ai décidé de tuer ma femme. »
Au juge d'instruction, il dit : « Il n'y avait aucune discussion avec ma femme. Tout à coup je l'ai poussé à l'eau. »
C'est encore bien, l'exécution d'un projet prémédité. Il a placé sa femme du côté de la Meuse. Il ajoute : « Personne n'a pu entendre. » Ce n'est que plus tard qu'il prétend qu'il y aurait eu une discussion.
S'il y avait eu vertige, il ne se souviendrait de rien. Un nuage aurait tout obscurci, la discussion, et le fait de jeter la malheureuse à l'eau. Il est allé à Jemeppe, à Seraing, il a circulé pendant plusieurs heures. Il était calme. Il a pu méditer, calculer, organiser le crime.
Dengis a surpris sa femme en flagrant délit de correspondance amoureuse. Il a les aveux de sa femme. Celle-ci lui a demandé pardon. Les époux se sont réconciliés. Il pouvait sortir autrement de la situation. La mort de cette femme n'était cependant qu'une demi-vengeance. Il se rend à Charleroi, il voit Van Goethem, il parvient à l'amener à Engis, à l'endroit où il a jeté sa femme. Et ceci démontre bien dans ce cas comme dans l'autre la résolution antérieure exigée par la préméditation.
Ce réquisitoire, d'une extrême, sobriété, d'une grande modération, d'un ordre et d'une remarquable méthode, a produit grand effet.LA DEFENSE
Me FOLLET, premier défenseur de Dengis, a pris la parole.
Personne ne viendra-t-il pleurer sur le cadavre de cette femme inconnue retirée le 20 novembre des eaux de la Meuse ? Personne. Si. Un homme traversera le champ des morts, viendra pleurer et prier. Puis quand on descendait le corps dans la terre, il se constituait prisonnier. Et cependant il avait fait tout pour être heureux. Le juge d'instruction, les médecins légistes, les gendarmes ne peuvent s'empêcher d'être émus. A toutes les pages du dossier, ils constatent : « L'inculpé pleure. » On pourrait inscrire sur ce dossier le calvaire de Dengis.
Dengis connaissait depuis son enfance Ferdinande Humblet. Les maisons des parents étaient voisines. Dengis resta prisonnier de son cœur et de son devoir, quand survint une paternité.
Me Follet retrace la vie de l'accusé, ses amours avec Ferdinande Humblet, son service militaire, sa sensibilité extrême qui le fit mettre en observation à l'hôpital, où on le déclara irresponsable. Puis le mariage d'abord heureux, où surgit bientôt un nuage. On accuse sa femme d'avoir des relations avec un autre homme. Il interroge, il s'inquiète, il pardonne.
Alors Dengis quitte ce pays, où sa confiance n'existe plus. Il part pour Charleroi. Il veut s'en aller seul, mais deux jours après, il écrit à sa femme de venir le rejoindre. Et une accalmie se produit dans le ménage. Excellent ouvrier, Dengis gagnera largement sa vie. Il prit cependant des logeurs. Parmi eux figura Van Goethem. L'intimité s'établit entre lui et Ferdinande Humblet.
Van Goethem se vante à tous de sa bonne fortune. Il la crie même au mari. Une scène ignoble se passe même.
Dengis s'avoua vaincu une fois de plus devant les affirmations de sa femme. Il fut cependant convenu que Van Goethem quitterait la maison après le règlement de la quinzaine.
Le mari était la risée et le jouet de l'amant qui lui avait tout volé. Oui, Dengis à un jour souffleté Van Goethem. La justice veut le poursuivre. Mais le jury dira avec nous qu'il a eu raison.
Enfin Van Goethem quitte la maison. Cependant tenaillé par de nouveaux soupçons, Dengis décide de s'éloigner et de partir pour la Hollande. Le 17 novembre, le ménage arrive à Chokier, pour aller de la chercher du travail en Hollande. Dengis, toujours en proie à ses soupçons écrit à celui qu'il considère comme l'ancien amant de sa femme, le supplie de le laisser dorénavant tranquille, sinon il le menace.
Le 30 novembre, Dengis, qui a déjà tant supplié, tant pardonné, apprend que sa femme écrit une lettre. Ferdinande nie. Le mari cherche. Il découvre la lettre enfouie dans les couvertures du lit, la lettre, sur l'enveloppe de laquelle il découvre le nom de Van Goethem.
Il descend dîner sans soulever une querelle. Puis il remonte lire cette lettre où sa femme écrit des déclarations passionnées à son amant. Elle l'appelle son cher adoré, elle annonce qu'elle s'enfuira, le plus tôt possible, et ira le rejoindre pour ne plus le quitter.
Et cet homme pardonne encore, mais à une condition, c'est qu'elle écrira à Van Goethem pour lui fixer un rendez-vous, à laquelle il se rendra avec elle. Cette lettre est écrite.
Les époux sont d'accord. Ils vont à Jemeppe et à Seraing, font des achats et, enfin, décident de regagner Chokier à pied. Dengis revient sur l'incident de la lettre. Sa femme refuse de l'accompagner au rendez-vous donné à Van Goethem. Elle refuse de mettre la lettre à la poste.
Dengis supplie, évoque les enfants. Rien n'y fait.
« Je ne m'embarrasse ni de toi ni de tes enfants », répond cette mère.
A cette révélation, Dengis perd la notion des choses.
Il a tout fait, il a pleuré, il a pardonné. C'est en vain. « Tiens, tu ne me tromperas plus ! » Et, d'un mouvement, il pousse sa femme dans la Meuse, qui roule ses flots dans la nuit... Le grand cri et le drame est fini !
Dengis pleure l'unique amour de sa vie.
L'audience est levée à 6 heures, à la demande de Me FOLLET, qui est fatigué.
Il continuera ce matin.
Le verdict sera prononcé vraisemblablement vers 1 heure.La Meuse, 27 avril 1907, matin (source : Belgicapress)
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