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Par antoiniste le 17 Juin 2010 à 18:04
On entend souvent que les métallurgistes faisaient partie de l'aristocratie ouvrière. Plusieurs journaux qualifièrent Louis Antoine à sa mort, de "petit bourgeois, presque du peuple" (Le Progrès spirite reprenant l'Eclaireur de l'Est (Reims) et La Liberté, Journal politique, religieux, social - Fribourg, Suisse). Tachons d'en savoir plus sur cette catégorie d'ouvrier.
L'aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière
Il y aurait un antagonisme de classe au sein de la classe ouvrière elle-même, un antagonisme entre les couches "les plus exploitées" et les couches "privilégiées". Il y aurait une "aristocratie ouvrière jouissant des plus hauts salaires, des meilleures conditions de travail, une fraction ouvrière qui partagerait avec "son impérialisme" les miettes des sur profits tirés de l'exploitation coloniale. Il y aurait donc une frange de la classe ouvrière qui en fait n'appartiendrait pas à la classe ouvrière, mais à la bourgeoisie, une couche d"'ouvriers-bourgeois".
Voila les grandes lignes communes à toutes les théorisations sur l'existence d'une "aristocratie ouvrière". C'est un instrument théorique dont la principale utilité est de permettre d'estomper dans un flou plus ou moins étendu, suivant les besoins, les frontières qui opposent la classe ouvrière au capital mondial.
Cette théorisation "permet" de taxer des parties entières de la classe ouvrière (les ouvriers des pays les plus industrialisés par exemple) de "bourgeois", et de qualifier des organes bourgeois (les partis de "gauche", les syndicats, par exemple) d"'ouvriers".
Cette théorie trouve son origine dans les formulations de Lénine pendant la 1ère Guerre Mondiale, formulations reprises par la 3ème Internationale. Certains courants politiques prolétariens, ceux qui tiennent à se désigner par l'étrange qualificatif de "léninistes", traînent encore aujourd'hui avec eux cet avatar théorique dont ils ne savent pas toujours que faire, si ce n'est de maintenir un flou sur des questions de première importance dans la lutte de classe. La contre-révolution stalinienne, elle, s'est depuis des décennies servi de cette théorie à tout propos pour tenter de recouvrir ses politiques du prestige de Lénine.
sommaire :
Une theorie sociologique
Une conception "ouvrieriste"
L'aristocratie ouvriere: une definition impossible
Une theorie pour diviser la classe
Une conception ambiguë des partis et des syndicats
Critique de l‘explication de Lenine de la trahison de la seconde internationale
Une deformation grossière du marxisme
On y apprend donc que cette catégorie date des environs de la Première Guerre mondiale, et qu'elle est critiqué dans les milieux militants communistes.
Publié par Revue Internationale le 15 Octobre, 2005
source : http://fr.internationalism.org/rinte25/aristocratie.htm
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Par antoiniste le 12 Novembre 2009 à 12:03
LA FABRICATION DU FER
On fabrique le fer en retirant à la fonte la totalité presque absolue de son carbone. La transformation s'effectue dans les fours de puddlage. Ces fours sont divisés en deux parties. Le petit four où l'on verse la fonte en fusion par petite quantité : de 200 à 300 kgr. et le grand four où s'opère la combustion du carbone et le brassage au ringard de la pâte métallique, le puddlage, l'un des plus fours travaux de la sidérurgie. Réchauffée, la fonte passe du petit four dans le grand four. Armé d'une longue barre d'acier : le ringard, le puddleur se tient à la porte du four. Il jette son outil bien sec — mouillé, le ringard pourrait provoquer une explosion — dans la fonte liquide. Il triture cette pâte. Il la soulève, la laisse fuser le long de sa barre d'acier, la reprend, la rejette, arc-bouté des deux mains au ringard, le torse nu, la sueur coulant en fontaine de son corps. Car le four dont la lueur l'illumine, le flambe tout vif. Et les gaz que dégage la combustion du carbone le suffoquent. Après quelques minutes, ses forces l'abandonnent, un autre puddleur le remplace. A mesure que le métal s'épaissit, le travail devient plus pénible, il faut des efforts inouïs pour ébranler la fonte, la plier, la retourner, l'exposer au feu sur toutes ses parties. Et plus le travail s'avance, plus le puddleur doit se rapprocher du four. Ses seuls efforts sont impuissants vers la fin pour brasser le métal qui a presque atteint la consistance de la pierre ; alors, deux, trois, puddleurs s'arc-boutent sur le ringard et tirent de toutes leurs forces, les muscles tendus sur les bras nus, les torses bombés, les visages congestionnés par l'effort et le feu.
Enfin, après trente minutes de puddlage, l'ouvrier plié à la gueule du brasier, lie la masse métallique en un bloc, la loupe ; il la saisit à bout de bras dans les tenailles et la jette sur le chariot. C'est à ce moment que l'hémorragie cérébrale assomme généralement les puddleurs. La loupe est portée au marteau-pilon qui va la cingler. Les cinq mille kilos du marteau s'abattent sur la boule de fer toute rouge; la loupe s'écrase comme la boule de glaise sous le doigt du modeleur ; on la retourne, le pilon remonte, retombe, un bruit sourd et la loupe aplatie sur une autre face, crache en grêle ses scories. Les étincelles, les paillettes volent, si abondantes qu'il faut élever autour du pilon des cloisons protectrices en tôle pour empêcher les ouvriers d'être grièvement brûlés, à vingt mètres de distance. Quant aux cingleurs, ils semblent vêtus de pièces détachées d'une armure : des gantelets et des brassards de fer protègent leurs mains et leurs bras, des masques en treillis de cuivre gardent leur visage.
M. & L. Bonneff, Vie tragique des travailleurs, p.122-24
Les Travailleurs du Fer (1908)
source : gallica
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Par antoiniste le 15 Octobre 2009 à 18:24
LES INSTITUTIONS PATRONALES DE LA SOCIETE COCKERILL A SERAING-.
A titre de comparaison avec les documents recueillis par M. 0. Keller sur les institutions patronales des Compagnies minières en France (Reforme sociale, 15 mars 1885, et 1er juin 1880), nous croyons devoir reproduire un extrait du rappoit que M. Sadoine, administrateur-directeur-gérant, va présenter à la prochaine assemblée générale des actionnaires de la Société Cockerill :
Personnel. Je vous ai dit tantôt que notre personnel était resté aussi nombreux que l'année dernière à pareille époque.
Au 5 septembre écoulé, il était encore de 10.116 ouvriers soit 40 de plus qu'à même date de 1885, à cause de la mise en marche, en décembre dernier, de la division des roues et trains montés.
L'instruction est depuis 15 ans obligatoire pour les adultes de 12 à 16 ans entrant au service de la Société. L'école des mineurs et les classes préparatoires de la Société entretiennent l'instruction dans cette classe de travailleurs employés à nos charbonnages.
L'emploi des femmes dans le fond de nos houillères a été supprimé depuis 20 ans.
L'état sanitaire a été satisfaisant pendant tout l'exercice ; aucune affection épidémique n'a régné et les accidents graves ont été rares. Le nombre des malades et des blessés en traitement à potre infirmerie a varié de 15 à 22.
Le nombre des pupilles actuellement à l'orphelinat est de 124.
Salaires payés :
Exercice 1884-1885, fr. 8.807.894 41
Exercice 1885 1886, » 8.812.684 06
pour le même chiffre de personnel et pour un chiffre de production moindre.
Les salaires sont donc restés les mêmes dans les deux exercices, tandis que le dividende à distribuer aux actionnaires, de même que les primes à payer aux chefs de service et employés, ont été réduits de 2/7, et le tantième du directeur général de 2/3.
L'ouvrier de la Société Cockerill n'a donc pas été le moins bien traité pendant l'exercice écoulé. Il n'a pas à se plaindre, que je sache, du travail à l'entreprise, du marchandage comme on dit dans les ateliers, car je n'ai jamais reçu de plainte à ce sujet. Toutes les lettres à mon adresse sont ouvertes par moi, n'ayant ni chef de cabinet, ni secrétaire particulier ; je ne refuse du reste jamais d'entendre les ouvriers qui croient avoir à se plaindre.
Secours et pensions Exercice Exercice
1884-85. 1885-86.
1° Pensions ordinaires et supplémentaires se-
cours aux blessés et malades et aux ouvriers
nécessiteux. fr. 229.714 06 241.306 29
2° Versement à la caisse de prévoyance des
ouvriers mineurs. 33.610 93 29.774 25
3° Service médical et pharmaceutique. 49.374 79 47.487 45
4° Dépenses de l'hôpital-orphelinat. 39.027 28 41.148 24
5° Dons au Bureau de bienfaisance, etc , 863 21 574 21
6° École des mineurs et École industrielle à
Hoboken. 3.778 44 3.778 44
Total, fr. 358.370 71 366.268 88
soit une augmentation de 8.000 fr. pour le même chiffre de personnel.
Toutes ces dépenses sont à la charge exclusive de la Société ou de la Caisse de secours alimentée par elle, les retenues sur salaires ayant été supprimées depuis 1870. Pourtant 243 ouvriers ont persisté à vouloir subir la retenue pour assurer leurs droits aux secours et à la pension, et 10.000 francs environ sont versés de ce chef dans la Caisse de secours, de même que l'entrée de 500 francs, imposée aux ingénieurs volontaires qui entrent au service de la Société, et, enfin, 2.000 fr. environ d'amendes encourues par les ouvriers en défaut. 2.000 sur 8.812.684 06 !
Comme je l'ai dit, l'orphelinat comprend réellement 124 orphelins, dont 107 enfants ne gagnant rien et 17 adultes travaillant déjà à l'usine ou rendant service à l'hôpital et dont le gain sert en partie à rembourser leur entretien, en partie à passer à notre Caisse d'épargne, pour y devenir, avec les intérêts à 5 p. c, une réserve pour l'avenir, une dot.
La Société donne gratuitement les secours médicaux et pharmaceutiques, non-seulement à ses ouvriers, mais encore à leurs ascendants et descendants, dont ils sont les soutiens.
Autrefois, la Société Cockerill avait un magasin de denrées alimentaires où s'approvisionnaient les ouvriers de leur propre volonté. Mais, certains d'entre eux ayant exposé des plaintes, je proposai à mon Conseil la suppression de ce magasin, ce qui eut lieu immédiatement ; c'était en 1870.
Les Études sociales : organe de la Société des études pratiques d'économie sociale et de la Société internationale de science sociales
1886/07 (A6,SER2,T2)-1886/12. (p.486)
source : gallica
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Par antoiniste le 8 Septembre 2009 à 17:45
On dépasse d'abord Seraing, où la Meuse forme une sorte de renflement ou de vaste bassin que traverse un pont suspendu d'une enjambée audacieuse. Seraing, tout flanqué de vastes corps d'usines, et hérissé de ces vastes obélisques fumants qui, malgré le manque d'hiéroglyphes, suppléent avec avantage les fastueux, mais inutiles monolithes granitiques, Seraing, dis-je, est le village le plus industriel de la Belgique. Il est le siége des principaux établissements fondés par feu le célèbre John Cockerill, ex-marquis de Carabas de la métallurgie et de la mécanique, auquel la Belgique doit tant de créations gigantesques et d'une portée considérable pour l'avenir de ce pays. Le principal établissement de Seraing est une fabrique de locomotives à vapeur organisée dans de vastes et grandioses proportions.
Le château moderne qui se profile, peu après, sur la droite du voyageur, c'est-à-dire sur la rive gauche du fleuve, au haut d'un mamelon rocheux et escarpé, est Chokier, manoir patrimonial de l'illustre maison du même nom, dont un des derniers représentants, M. Surlet de Chokier, fut président du congrès qui fit roi Léopold, et ensuite régent de Belgique dans l'interrègne. Un peu auparavant, on a pu apercevoir dans le lointain le château d'Aigremont, résidence favorite du Sanglier des Ardennes. Aigremont est bien nommé.
Félix Mormand, La Belgique, 1853, p.210-11
source : Googles Books
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Par antoiniste le 21 Juin 2009 à 15:33
La Meuse et ses deux principaux affluents dans la province de Liège, l'Ourthe et la Vesdre, séparent quatre régions agricoles nettement distinctes : la Hesbaye, l'Ardenne, le Condroz et le pays de Herve.
La Hesbaye, avec ses vastes champs de blé, de betteraves, de trèfles et de pommes de terre, occupe toute la rive gauche de la Meuse ; elle fait partie de la région limoneuse, que nous avons déjà rencontrée dans le Limbourg, le Brabant, le Hainaut et les Flandres.
L'Ardenne, pays du seigle et de l'avoine, des forêts et des hautes fagnes, s'étend au sud-ouest, depuis l'Ourthe et la Vesdre jusqu'à la frontière prussienne et se prolonge dans presque toute la province du Luxembourg.
Le Condroz, aux fermes massives et aux châteaux nombreux, forme la transition entre les deux régions précédentes : « L'Ardenne est au Condroz comme le Condroz est à la Hesbaye » (Thomassin,Mémoire statistique sur le département de l'Ourthe. Liège, 1819, p.4). Cette région comprend les plateaux situés entre la Meuse et l'Ourthe; elle se continue, avec des caractères plus tranchés, dans la province de Namur.
Enfin le pays de Hervé couvre de ses pâtures, d'herbe fine et drue, divisées en une multitude de petits clos, tout le nord-est de la province.
Au point de jonction de ces quatre zones, dans le magnifique bassin que forme le confluent des trois rivières, s'étale la ville de Liège, entourée de sa grande agglomération industrielle, dont les ramifications remontent la vallée de la Vesdre jusqu'à Verviers, la vallée de la Meuse jusqu'à Namur.
L'importance de cette agglomération a considérablement augmenté depuis un siècle.
En 1811, à l'époque où Thomassin décrivait, en un précieux mémoire, l'agriculture et l'industrie du département de l'Ourthe, Liège n'avait pas 50.000 habitants ; les houillères de la province n'employaient que 7.000 ouvriers. Elles en occupent, aujourd'hui, quatre fois plus (28.017 en 1890); les autres industries ont pris le même essor; les villages qui se trouvaient autour du chef-lieu se sont rejoints et ne forment plus avec lui qu'une seule ville.
On jugera des progrès de leur population par le tableau suivant :COMMUNES 1811 1896
Liège
48.520
165.401Angleur 944 7.658 Chênée 1.319 8.198 Grivegnée 2.176 10.358 Herstal 5.304 16.668 Jemeppe 1.750 9.632 Ougrée 1.053 11.670 Saint-Nicolas 1.149 7.632 Seraing 1.955 36.873 Tilleur 518 6.570
TOTAUX
64.688
280.673Ainsi donc, en tenant compte seulement des plus importantes communes, la population de Liège et de sa banlieue a plus que quadruplé depuis la révolution industrielle. D'autre part, la population totale de la province, qui était de 375.030 habitants en 1831, s'est élevée à 817.473 habitants en 1896, soit une augmenlalion de 111,98 %.
Ce développement considérable des agglomérations urbaines a exercé sur la répartition de la propriété la même influence que dans les provinces d'Anvers et de Brabant.
Émile Vandervelde, La Propriété foncière en Belgique (1900)
Source : Gallica
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Par antoiniste le 11 Mai 2009 à 19:39
L'usine haletait dans une fin d'après-midi de juillet. Il y avait une heure à peu près que la dernière coulée, sortie pétillante et rouge du ventre des hauts fourneaux, s'était solidifiée dans les lingotières. A coups de masses, des hommes aux pectoraux nus rompaient à présent cette lave froidie, en empilaient les blocs dans leurs mains munies de paumes de cuir, le torse projeté en arrière, avec la saillie violente des côtes, l'un après l'autre allaient vider leurs charges sur des roulottes qui ensuite prenaient à grand bruit le chemin des laminoirs, cahotant parmi les scories des cours et de rails en rails rebondissant à travers les voies ferrées qui sillonnaient l'aire en tous gens. Tout en haut, dans les flammes pâles du jour, l'énorme gueulard, pareil à un cratère, exhalait des tourbillons de gaz bleus, allumés par moments d'un rose d'incendie plus bas, le long de la ligne des fours à coke, crépitaient des rangs de feux clairs, dans un brouillard de puantes fumées noires; et constamment les longues cheminées grêles des fours à puddler et à chauffer lançaient leurs flottantes spirales grises parmi les jets bouillants éructés des chaudières.
A la gauche des grilles d'entrée, les forges, la fonderie, l'ajustage, la chaudronnerie, alignés en une suite d'installations parallèles, ronflaient comme une colossale turbine tournoyant dans l'espace. Le anhèlement boréen des souffleries, le battement ininterrompu des enclumes, la retombée à contre-mesure et toujours recommençante des mille marteaux sur le cuivre, le fer et la tôle, l'époumonnement saccadé et rauque des machines, la trépidation bourdonnante des courroies de transmission, le stridemment des scies, des cisailles, des limes et des forets mordant les métaux formaient une tempête de bruits aigus, discords, retentissants et sourds, dominés à intervalles réguliers par le coup de canon émoussé d'un pilon de quatre mille, dont chaque pesée semblait devoir fendre la croûte terrienne dans sa profondeur. Un autre groupe de bâtiments, séparés des premiers par un chantier encombré de baquets, de monceaux d'écrous et de jonchées de ferrailles, réunissait les ateliers de la tôlerie, du montage et de l'essayage, ces deux derniers ouverts à leurs extrémités pour l'entrée et la sortie des locomotives comme les garages des stations de chemin de fer. Là, le tapage grandissait encore dans un roulement affolé de maillets battant la charge sur des panses de générateurs comme sur de monstrueux tambours; par moments tous les marteaux tapant à l'unisson, on avait la sensation d'une multitude de dragueurs déchargeant à la fois leurs godets sur des plaques de tôle; et même pendant les courtes pauses du martelage, l'air demeurait ébranlé par d'effroyables sonorités de gongs et de cloches qui rendaient les monteurs et les chaudronniers sourds au bout de trois ans de métier.
Cependant, avec des sibilements de peine et d'ahan, la horde farouche des puddleurs, poudreux et noirs dans le fulgurement de leurs fours, de longs ruisseaux de sueur coulant comme des larmes de leurs membres exténués jusque parmi les flots de laitier piétinés par leurs semelles, s'exténuaient aux suprêmes efforts de la manipulation. En vingt endroits, brusquement les portes de fer des cuvettes battirent; des bras armés de tenailles venaient d'entrer dans la fournaise, en avaient extrait d'horribles boules rugueuses, papillées de grains de riz d'un éclat aveuglant, comme des têtes de Méduse à crinières de flammes, et les avaient précipitées sur des véhicules de fer qui les emportaient maintenant crachant le feu par les yeux, la bouche et les narines, du côté des marteaux pilons. De moment en moment, le nombre de ces boules roulantes augmentait; elles décrivaient dans les houles humaines des trajectoires sanglantes qui se croisaient, multipliaient à terre des rais de feu; le sol en tous lieux était éclaboussé d'un déluge de braises fumantes que les pieds écrasaient et qui se rompaient en fusées d'étoiles. Et sans trêve le marteleur, son masque en fil de fer sur la face, les tibias et les pieds protégés d'épaisses lamelles de cuir qui lui donnaient une apparence grotesque et terrible, remuait aux crocs de ses tenailles, sous les chocs d'un pilon s'abattant avec un fracas mou, les informes blocs pétillants desquels, à chaque coup, giclait, comme une sève chaude, toute une pluie d'étincelles. Les passeurs à leur tour s'emparaient des loupes graduellement équarries et les portaient aux laminoirs ébaucheurs. Puis commençait la galopée des crocheteurs, bondissant par bandes de quatre de chaque côté des rouleaux, leurs lourdes pinces en arrêt pour saisir au passage la barre de fer, dès sa sortie des cylindres. Et la barre s'allongeait, finissait par ressembler à un énorme serpent écarlate, se tordant dans la fuite et la bousculade du train.
De plus en plus, les cris, les appels, les tintements des gongs, le cahotement des véhicules, le sifflement de la vapeur, le bruit des ringards jetés à terre montaient, se mêlaient, dissonaient dans la prodigieuse cacophonie de ce peuple d'hommes et de machines tourbillonnant, beuglant et mugissant à l'égal d'une ménagerie. Chaque fois que la scie à vapeur, décliquant sa grande roue dentelée, mordait un rail, un crissement s'entendait, horrible, comme une décharge de mitraille, en même temps que s'échappait du fer scié un pétillement de rubescentes binettes. Et au loin, un autre monstre, aux roues de fonte perpétuellement bourdonnantes, avec deux colossales mâchoires qui s'ouvraient et se formaient d'un mouvement automatique, les terrifiantes cisailles mécaniques cassaient d'une fois des pièces grosses comme une tête d'homme, sans jamais s'alentir ni s'accélérer, leurs crocs toujours prêts à travers on ne sait quel épouvantable meuglement produit par le toupillement des moules massives. Puis, dominant tout ce pêle-mêle des batailles industrielles, avec une rotation de cent tours à la minute, la vision chimérique des volants, gironnant dans leur cage de fer et touchant presque la voûte, évoquait la pensée de disques solaires désorbités et roulant en des ellipses effrénées à travers l'espace. Et tandis que, dans les flammes dévorantes de l'air, les hommes érénés, pantelants, les côtes trouées de creux profonds à chaque halenée, s'épuisaient aux offres du dernier coup de collier, il semblait qu'une exaspération avait pris tout ce monde ténébreux des machines, par ironie des forces déclinantes de la créature. Cependant puddleurs, chauffeurs, lamineurs, crocheteurs, passeurs, luttaient contre l'action conjurée de l'écrasant soleil et des lassitudes grandissantes. L'un après l'autre ils se plongeaient la tête et le thorax dans des cuves d'eau, près des ouvertures, tout blêmes sous le jour vermeil, avec des taches roses de brûlure à leur peau mordue par les souffles des fours. Des râles sortaient des poitrines, les bouches expiraient des haleines ardentes, et une puanteur chaude de chair humide, comme un faguenas d'hôpital, passait dans les relents de graisse, de houille et d'huile qui saturaient, l'air.
Camille Lemonnier - Happe-chair (1886), p.2
source : gallica
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Par antoiniste le 6 Mai 2009 à 17:20
La Révolution industrielle a placé à nouveau la Wallonie dans une position de supériorité relative vis-à-vis de ses voisins, hormis l'Angleterre. Très vite, la région est devenue un centre de diffusion des nouvelles techniques de production et de gestion à travers l'Europe continentale, et au premier chef dans les pays limitrophes. Cockerill, à son habitude, a fait oeuvre de pionnier et déployé une activité débordante qui s'est traduite par la création d'une multitude d'entreprises de Paris à Varsovie en passant par Berlin. La plupart n'ont eu qu'une vie éphémère.
A sa suite, de nombreux ouvriers spécialisés et entrepreneurs wallons, surtout liégeois, ont contribué à diffuser la Révolution industrielle en Allemagne. En 1831-33, Jacques Piedboeuf, originaire de Jupille près de Liège, fonde la première fabrique de chaudières d'Allemagne à Aix-la-Chapelle. Pour s'approvisionner en tôles, il y joint un premier laminoir en 1845, puis un second à Dusseldorf en 1857. En 1841, les usines de puddlage et laminoirs Michiels et Cie sont bâties à Eschweiler pour fournir les rails nécessaires à la ligne Cologne-Aix à partir d'une fonte importée de Seraing. Piedboeuf comme Michiels vont développer considérablement leurs activités et seront parmi les créateurs de grandes entreprises qui ont occupé une place marquante dan la métallurgie allemande juqu'au XXe siècle.
Parallèlement, les ressources minérales de la Ruhr suscitent de grandes convoitises. En 1849 à Dusseldorf, la SA belgo-rhénane des Charbonnages de la Ruhr est formée sous l'impulsion de l'ingénieur des mines montois Joseph Chaudron. Entre la fin des années 1840 et 1855, Charles Detilleux acquiert des concessions près de Gelsenkirchen. En 1853, un consortium mené par le recteur de l'Université de Liège, Jean-Louis Trasenter, obtient la concession de gisement près de Duisbourg. La SA belge des Charbonnages de Herne-Bochum réunit des actionnaires belges et français à la fin des années 1850. Etc... partout dans le bassin de la Ruhr, les techniques d'étançonnages et d'extraction wallonnes se diffusent.
Wallonie, Atouts et référence d'une Région,
Les Wallons hors de la Wallonie,
par Michel Oris et Jean-François Potelle
II. De la révolution au déclin industriel, p.421
Région wallonne et Ed. Labor, 1995
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Par antoiniste le 27 Avril 2009 à 15:29
L'aspect social de la Belgique a subi de profondes modifications au cours des cent dernières années. Le développement inouï de l'industrie, la prolétarisation concomitante des masses agricoles, la disparition progressive de certaines classes d'artisans et de travailleurs à domicile ont changé la répartition professionnelle d'une partie importante de la population. Les transformations, lentes d'abord, plus rapides ensuite des conditions de vie de la classe ouvrière et agricole accusent de traits nouveaux la physionomie sociale de notre pays.
Au début de XIXe siècle, la classe ouvrière était surtout agricole et particulièrement miseérable. Ducpétiaux, le statisticien et économiste réputé, dans ses enquêtes sur la situation des classe sociales vers le milieu du siècle dernier, constate qu'alors que, pour 100 hectares de terre mise en culture, on ne compte en Angleterre que 25 cultivateurs, y compris les femmes et les enfants, et 36 en France, il y en a 65 dans le Flandre Orientale ; dans la Flandre Occidentale cette proportion est encore dépassée. Ailleurs, il considère que "loin d'être à même de recevoir un surcroît de population, les communes rurales devraient, au contraire, pouvoir déverser ailleurs une partie de leurs habitants". Le même auteur ajoute que "si cette population se multiplie, sa dégénérescence se révèle à tous les yeux clairvoyants et que l'on essayerait vainement de nier qu'il faut l'attribuer à l'insuffisance de l'alimentation, conséquence de la disproportion des ressources de la classe ouvrière et de ses besoins les plus indispensables".
Les besoins croissants en main-d'oeuvre de l'industrie attirèrent d'ailleurs vers les villes les populations campagnardes. L'industrie à domicile, très répandue dans les villages, périclitait très fort en raison de la concurrence que lui faisait la grande industrie. Les enfants et les femmes se présentèrent dans les usines au même titre que les hommes. Les conditions de travail y étaient cependant loin d'être brillantes. Elles n'étaient même pas humaines. "Si l'on interroge les relevés du recensement de 1846, - dit Dupectiaux, - on voit que près d'un tiers des ouvriers du pays étaient, à cette époque, inscrits sur les registres des bureau de bienfaisance."
Dix ans plus tard, la situation avait encore empiré ; le même auteur signale qu'il y aurait sur 5 ouvriers plus de 2 individus inscrits sur les listes des bureaux de bienfaisance. Ce n'est pas lentement, très lentement d'abord, que les conditions de vie s'améliorent, pour progresser ensuite à une rythme plus rapide, qui ira en s'accélérant. L'allure de ce mouvement est corrélatif à la prise de conscience de la force que trouve la classe ouvrière dans une organisation qui, inexistante au début, va aller en se développant.Encyclopédie Belge, Notre vie sociale, p.256
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Par antoiniste le 14 Avril 2009 à 19:04
Après sa réouverture en janvier 2008, le Haut-Fourneau n°6 de Seraing ferme au bout de même pas un an d'une nouvelle activité qui semblait plein de promesse.
Des images du métallurgiste Pierre Machiroux sur http://haut-fourneau06.skyrock.com/ et le film sur http://www.far.be/hf6/
Les articles du Vif.be :
http://www.levif.be/actualite/belgique/72-56-9550/seraing-va-redemarrer-le-haut-fourneau-6-.html
http://www.levif.be/actualite/belgique/72-56-24504/fermeture-du-haut-fourneau-6-chez-arcelormittal-.html
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Par antoiniste le 14 Avril 2009 à 18:48
Belles photographies de Jim Sumkay, photographe belge qui posa son objectif avec tendresse sur la commune d'origine de Louis Antoine : un aperçu de Jemeppe-sur-Meuse maintenant.
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Par antoiniste le 4 Février 2009 à 16:42
LES BORDS DE LA MEUSE.–HUY.–LIEGE - Le Rhin
Oeuvres complètes de Victor Hugo. Le Rhin 1 (1880-1926)
p.99-100
Cependant le soir vient, le vent tombe, les prés, les buissons et les arbres se taisent, on n’entend plus que le bruit de l’eau. L’intérieur des maisons s’éclaire vaguement ; les objets s’effacent comme dans une fumée ; les voyageurs bâillent à qui mieux mieux dans la voiture en disant : Nous serons à Liège dans une heure. C’est dans ce moment-là que le paysage prend tout à coup un aspect extraordinaire. Là-bas, dans les futaies, au pied des collines brunes et velues de l’occident, deux rondes prunelles de feu éclatent et resplendissent comme des yeux de tigre. Ici, au bord de la route, voici un effrayant chandelier de quatre-vingts pieds de haut qui flambe dans le paysage et qui jette sur les rochers, les forêts et les ravins, des réverbérations sinistres. Plus loin, à l’entrée de cette vallée enfouie dans l’ombre, il y a une gueule pleine de braise qui s’ouvre et se ferme brusquement et d’où sort par instants avec d’affreux hoquets une langue de flamme.
Ce sont les usines qui s’allument.Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flemalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent 'derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d'étincelles; d'autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d'un groupe d'édifices. On croirait qu'une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l'incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants.
Ce spectacle de guerre est donné par la paix; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l'industrie. Vous avez tout simplement là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill.
Un bruit farouche et violent sort de ce chaos de travailleurs. J'ai eu la curiosité de mettre pied à terre et de m'approcher d'un de ces antres. Là, j'ai admiré véritablement l'industrie. C'est un beau. et prodigieux spectacle, qui, la nuit, semble emprunter à la tristesse solennelle de l'heure quelque chose de surnaturel. Les roues, les scies, les chaudières, les laminoirs, les cylindres, les balanciers, tous ces monstres de cuivre, de tôle et d'airain que nous nommons des machines et que la vapeur fait vivre d'une vie effrayante et terrible, mugissent, sifflent, grincent, râlent, reniflent, aboient, glapissent, déchirent le bronze, tordent le fer, mâchent le granit, et, par moments, au milieu des ouvriers noirs et enfumés qui les harcèlent, hurlent avec douleur dans l'atmosphère ardente de l'usine, comme des hydres et des dragons tourmentés par des démons dans un enfer.source : gallica2
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Par antoiniste le 4 Février 2009 à 16:36
Il partait maintenant pour Seraing, à la fine pointe du jour, et rentrait tard le soir, avec sa musette de toile brune et son bidon. Ses jambes de quinze ans faisaient aisément le chemin. Il reconnaissait, suivant la saison, les indices qui montraient s'il était à temps ou en retard : à cette maison isolée, en avril, il devait seulement commencer à faire clair.
Parfois, ce qui le mettait en retard, c'était ses prières. [...]Louis Antoine resta chez Cockerill jusqu'à ses vingt ans, âge où il fut pris par la milice. Il fut employé comme marteleur, c'est-à-dire qu'à l'aide d'une longue et lourde pince il maintenant et tournait le lingot incandescent sur lequel il maintenant par à-coups l'énorme pilon d'acier. Le bloc chauffé à blanc devenait rose, puis rouge. Les contacts de la pince y marquaient des taches sombres, aussitôt effacées, et le pilon en faisait jaillir constamment des étincelles blanches, vertes et bleues. Cela éblouissait les yeux et brûlait le visages. Nus jusqu'à la ceinture, les marteleurs attentifs commandaient de la voix la manaoeuvre du pilon. Et peu à peu, sous les coups assénés d'en haut, le bloc tout d'abord si dur se faisait malléable. Comme s'il avait été un être vivant, il obéissait, il changeait de forme. Il devenait utilise aux hommes. C'est le feu tout-puissant qui amollit la dureté du métal. L'humble marteleur admirait cette puissance du feu.
Robert Vivier - Délivrez-nous du mal
Ed. Labor - Espace Nord, p.36
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Par antoiniste le 2 Février 2009 à 16:53
Arcelor-Mittal était l'entreprise Cockerill : Louis Antoine fut encore un temps machiniste au charbonnage des Kessales qui travaillait à approvisionner en charbon l'acirie.
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Par antoiniste le 28 Janvier 2009 à 18:47
La trépidation de la grue couvrit un instant mille bruits de la ville qui chantait ou s'amusait, la benne bascula et apparut comme la gueule rouge du monstre mécanique au-dessus du terril. Les scories en fusion dévalèrent, illuminèrent le versant, le ciel, les maisons et le fleuve, puis s'étirèrent comme un insecte de feu. Et, dans le nuage de fumée qui montait, Pierre Lardinois bourra sa pipe et ranima l'appareil : les chaînes, le moteur et la charpente métallique vibrèrent, la bac se releva et glissa docilement vers l'usine.
Il vivait là-haut depuis longtemps Pierre Lardinois, et depuis longtemps il ignorait tout des hauts-fourneaux, de leurs flammes colorées, de leurs gaz qui pressaient le cerveau amollissaient les jambes, du tintamarre des bâtisses métalliques et bizarres, des feux sournois qui pelaient les torses nus et des gouttes de métal qui vrillaient de temps en temps un main, une joue ou un oeil. Il connaissait l'usine par le dessus, c'est-à-dire par ses cheminées géantes qui marquaient le temps aux gens du bassin noir et rouge, par les langues pourpres que tiraient les gueulards vivant dans la nuit, et, par les images de tous les pays, de toutes les saisons et de toutes les heures, par les météores fugitifs nés des mains suantes des hommes et jaillis des fours. Elle n'était plus pour lui qu'un fragment du paysage quotidien, comme un filet de lune s'accrochant à un arbre, un orage qu'il voyait venir de très loin, les petites maisons qui prennent, la nuit, des visages humains et familiers et les clochers décapités, coupés en deux par les fumées vagabondes et joueuses. [...]
Et les hommes l'aimaient bien parce que, grâce à lui, les nuits lourdes d'été et le nuits froides d'hiver s'illuminaient à deux lieues à la ronde et que la gueule rouge de la benne basculée éclairait les amours des époux enlacés dans leur lit, la fièvre des malades éveillés et l'angoisse des femmes qui attendaient leurs maris ivrognes. [...]
Parce que Pierre Lardinois guérissait les maux de ventre, les plaies et les brûlures, quil prédisait le temps qu'il ferit pendant la journée - puisqu'il l'avait vu venir par-delà la cité fumeuse - et qu'il disait en passant une de ces histoires que Christ racontait autrefois aux hommes qui le clouèrent sur une croix.Jean Tousseul - L'homme de la grue, in La Cellule 158
Ed. Labor - Espace Nord, 1924 (p.51-53)
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