• Felix Dengis (La Meuse, 25 avril 1907, soir)(Belgicapress)

    COUR D'ASSISES
    LE DRAME DE CHOKIER
    UN MARI QUI JETTE SA FEMME DANS LA MEUSE

        L'audience est ouverte à 9 h. 1 2. La Cour est composée, comme dans la première affaire, de M. le conseiller Thuriaux, et de MM. Liben et Hamoir, vice-présidents du tribunal.
        M. Bodeux, substitut du procureur général est au banc de l'accusation ; Mes Pety de Thozée et Tollet au banc de la défense. Félix Dengis est âgé de 35 ans. Il est né à La Neuville-sous-Huy et était domicilié en dernier lieu à Marcinelle. Il a le teint pâle des houilleurs, sur lequel tranchent vigoureusement une grosse moustache tombante et une brosse de cheveux très noirs, plantés bas. L'allure d'un ouvrier endimanché, très correctement vêtu. Physionomie d'abord calme, qui s'émeut bientôt. Dengis a pleuré à plusieurs reprises.
        Le chef du jury est M. Delbovier, Armand.

    L'INTERROGATOIRE

        L'interrogatoire a été très long. Dengis parle très lentement et très bas. Il est fort difficile de le suivre dans ses explications.
        M. LE PRESIDENT constate que l'accusé a déjà subi plusieurs condamnations devant les tribunaux de Liége pour vol de souliers, pour vol d'un sac de farine, – ce jugement rendu par le tribunal de Béthune, dans le Pas-de-Calais, où Dengis était allé travailler et d'où il s'était enfui, le vol commis.
        En Belgique, incorporé en 1891 comme milicien, il déserta à trois reprises. Il fut condamné par le Conseil de guerre de la province d'Anvers, d'abord à 28 jours d'arrêt, puis il s'enfuit à nouveau. Cette fois, il fut frappé de deux ans de prison et d'un an pour détournement d'effets militaires de grand équipement.
        Il fut grâcié en 1893 après 6 ou 7 mois de prison. Il déserta une troisième fois.
        Il resta absent pendant 2 ans. Il s'en alla en France, revint rôder en Belgique, aux environs de son village. Il rentra enfin chez ses parents qui le livrèrent, en 1895, à la justice militaire.
        Dengis, souvent, aux questions du président, ne répond pas. M. Thuriaux doit insister et, littéralement, lui arracher quelques paroles. Parfois, il dit tout simplement : « Je ne sais pas. Je ne me souviens pas. »
        L'autorité militaire fit transférer Dengis à l'hôpital militaire de Malines. Il connaissait déjà alors Ferdinande Humblet, qui l'avait accompagné en France.
        Ils étaient partis ensemble.
        Les médecins militaires conclurent à la mise à la réforme de Dengis. Il fut renvoyé de l'armée en 1895 et rentra chez ses parents, qui habitaient alors Grâce-Berleur.
        Avant son service militaire, Dengis avait exercé divers métiers, puis celui de mineur.
        Ferdinande Humblet, pendant le séjour de l'accusé à l'hôpital, avait demeuré chez les parents Dengis. Un enfant était né de leurs relations. Ils se sont mariés en 1896.
        Alors, ils entreprend une série de pérégrinations si nombreuses qu'il a été impossible de les déterminer exactement. Ils séjournèrent à Jemeppe, à Grâce-Berleur, à Herstal, à Engis, à St-Nicolas, à Flémalle-Grande, aux Awirs, à Ougrée.
        Trois enfants naquirent après le mariage.
        A un moment donné, le ménage quitta le bassin de Liége pour le bassin de Charleroi. Il venait d'Engis ; le départ a été décidé par Dengis, parce qu'il soupçonnait sa femme de le tromper avec un nommé Alfred.
        Il avait défendu à sa femme d'aller ramasser des escarbilles sur le terris, où l'homme qu'il croyait être l'amant de sa femme était basculeur.
        Cet homme, qui a été interrogé par le juge d'instruction, nie ces relations. C'est, au contraire, Dengis qui lui a enlevé Ferdinande Humblet, dont il était alors l'ami.
        A son arrivée à Charleroi, en 1903, Dengis était seul avec l'aînée de ses enfants. Il aurait raconté à sa logeuse qu'il était veuf.
        Sa femme n'arriva que sept jours plus tard avec deux autres enfants et sur le point de s'accoucher du quatrième.
        Elle était dans un dénuement complet et aurait été très mal reçue par l'accusé, qui la violenta à plusieurs reprises.
        L'accusé nie ces mauvais traitements et ces propos.
        Dans le bassin de Charleroi recommencent les pérégrinations, continuelles.
        En décembre 1905, le ménage est à Marcinelle.
        Là, Dengis tient une maison de logement. En mars 1906, entra chez lui Florent Van Goethem qui était, dit l'instruction, un ivrogne et un débauché.
        « Il buvait bien », estime l'accusé.
        Diverses scènes eurent lieu. Van Goethem déclarait carrément qu'il était l'amant de la femme Dengis. A un moment donné, il quitta la maison. Ce fut Dengis qui alla le rechercher.
        « C'était pour lui faire ramasser toutes ses affaires, objecte l'accusé.
        – Cependant, il resta encore plus d'un mois chez vous, remarque le Président.
        Le 24 juillet 1906, une nouvelle scène eut lieu.
        Une querelle éclata entre Dengis et trois logeurs, dont Van Goethem. Deux de ceux-ci quittèrent la maison en emportant leurs paquets. Dengis et son frère Arthur les rejoignirent, armés de revolver, et leur donnèrent l'ordre de réintégrer la maison Dengis, ce qu'ils firent.
        D'autre part, Dengis frappa Van Goethem – coups qui entrainèrent incapacité de travail.
        L'accusé poursuivit Van Goethem dans une maison voisine et l'aurait menacé à l'aide de son revolver.
        Cette scène est déférée au tribunal de Charleroi.
        Félix Dengis nie avoir été porteur de revolver. Il dit avoir mis Van Goethem à la porte, parce qu'il l'avait vu embrasser sa femme. Il voulait conserver son honneur. C'est son frère Arthur qui l'a poursuivi chez un voisin.
        Le ménage Dengis demeura à Marcinelle jusqu'au 10 novembre.
        Van Goethem était resté dans les environs. L'épouse Dengis s'absentait souvent. L'accusé lui reprocha de continuer à voir Van Goethem. Il nie cependant l'avoir frappée ni menacée à l'aide de son revolver. Il nie également avoir menacé Van Goethem.
        Un jour, sa femme lui dit qu'elle écrivait à sa sœur.
        Or, cette lettre était adressée à un homme.
        – Subitement, vous décidez de quitter Marcinelle. Cependant, vous gagniez de grosses journées, 8 fr. 50, quand vous travaillez, car vous chômiez souvent ?
        – Non, je travaillais tous les jours.
        Je voulais m'éloigner, parce que je soupçonnais ma femme de continuer ses relations avec Goethem. Je voulais les éloigner l'un de l'autre. Je voulais aller m'établir en Hollande.
        – Votre femme a éprouvé une grande déception à la nouvelle de ce départ. Cependant, sur les conseils de ses deux sœurs, elle décida de vous suivre.
        Vous quittez Charleroi le vendredi 16 novembre et arrivez chez votre belle-sœur Pauline, à Chokier ?
        – Oui.
        – Et votre mobilier ?
        – Je l'ai expédié à Jemeppe.
        – Cependant, vous avez déclaré plusieurs fois que vous les expédiez en Hollande. Le 19, vous dites que vous allez en Hollande chercher une maison. Au lieu de cela, n'allez-vous pas chez votre père, à Grâce-Berleur, déposer votre fils ainé ?
        – Oui. J'y ai logé.
        – Vous aviez même affirmé à votre fils que vous alliez en Hollande. Nous arrivons au 20 novembre. Qu'avez-vous fait ?
        – J'ai pris le train à 12 heures 1/2 à Flémalle-Haute et me suis rendu à Chokier. Il demande où est sa femme. Sa fillette lui répond : « Elle est en haut. Elle fait une lettre ». Je suis monté et ai demandé : « Est-ce que tu fais une lettre ? » Ma femme répondit que non.
        J'ai regardé dans le lit et j'ai trouvé une lettre sous les couvertures. Elle était dans une enveloppe portant l'adresse de Van Goethem. Je suis descendu. Elle m'a suivi.
        Ma belle-sœur est rentrée à ce moment. Les deux sœurs ont causé ensemble. Je suis remonté dans ma chambre et suis allé lire la lettre. Ma femme y disait à Van Goethem qu'elle s'enfuirait et le rejoindrait dès que le ménage serait installé en Hollande.
        J'ai fait des reproches à ma femme sur sa conduite.
        Elle m'a dit alors qu'elle resterait avec les enfants et ne ferait pas comme elle l'écrivait dans la lettre.
        J'ai dit : « Vous commencerez par écrire une lettre à Van Goethem lui fixant rendez-vous à Flémalle. Et à ce rendez-vous nous irons tous deux. » Elle a répondu : « Je veux bien. »
        Après le dîner, une des enfants a été acheter du papier.
        Puis, en haut, dans notre chambre à coucher, ma femme a écrit la lettre de rendez-vous à Van Goethem pour le vendredi suivant, à la gare de Flémalle, à la descente du train de 1 heure. Je voulais le battre, pour lui enlever l'envie de continuer ses rapports avec ma femme.
        Il n'y a pas eu la moindre dispute entre ma femme et moi. Elle m'a simplement demandé de ne montrer cette lettre à personne.
        Je décidai alors de me rendre à Jemeppe avec ma femme pour acheter des robes pour les enfants.
        J'avais les deux lettres dans ma poche. J'ai perdu de vue de mettre à la poste celle donnant rendez-vous à Van Goethem pour le vendredi suivant.
        Nous sommes partis vers 2 heures et demie pour aller prendre le train pour Jemeppe. Mais nous sommes allés à pied.
        Nous avons été acheter deux robes d'enfants. Nous avons ensuite traversé le pont de Seraing, avons circulé dans les rues et avons pris la direction du Val-Saint-Lambert. Ma femme désirait regarder les étalages. Nous ne sommes entrés nulle part. Au pont du Val-Saint-Lambert, le tram venait de partir. Il était près de 8 heures. Ma femme a proposé de retourner à pied. Nous avons passé le pont et pris le chemin de halage, comme le chemin le plus court.
        Nous discutions. Je lui ai dit : « J'ai perdu confiance en toi !2 Enfin, à un moment, pris de colère, je l'ai poussée d'un coup.
        L'ACCUSE se cache la figure dans son mouchoir et pleure.
        LE PRESIDENT, après avoir attendu quelques instants, interpelle l'accusé :
        – Allons, enlevez votre mouchoir ! Il faut continuer. N'avez-vous pas dit à votre femme : « Tu m'as assez trompé ! Tu ne me tromperas plus ! »
        – Non.
        – Vous l'avez dit à l'instruction. N'a-t-elle pas poussé un cri ?
        – Non.
        – Le chemin de halage est très large. Vous avez dû poussé très fort ?
        – Je ne m'en souviens pas.
        – Vous avez dit à l'instruction qu'elle avait poussé un cri et qu'elle était revenue une fois à la surface du fleuve.
        Il était alors vers 8 heures et demie. Vous n'êtes rentré chez votre frère qu'à 1 heure du matin. Votre belle-sœur est venue vous ouvrir.
        N'avez-vous pas dit à ce moment : « Ta sœur vient de m'en faire une belle ! »
        – Non, j'ai dit seulement : « Elle s'est sauvée pendant que j'étais entré un instant dans un magasin. Elle est probablement sauvée avec Van Goethem ! »
        – Et vous montrez alors la lettre. Pourquoi ne l'aviez-vous pas montrée à midi, au lieu d'attendre ? Le lendemain, vous vous répandez en menaces contre Van Goethem, disant que vous lui casseriez les deux jambes.
        Vous avez dormi très tranquillement auprès de vos enfants orphelins. Le lendemain vous êtes allé à Grâce-Berleur et avez montré la lettre à votre frère ainé.
        Vous louez une maison près de celle de votre frère et y demeurez quinze jours.
        Qu'est devenue la lettre ?
        – Je l'avais placée dans un tiroir.
        – Cependant, personne ne l'a vue ?
        – Ma mère l'a vue.
        – Votre mère, interpellée, a déclaré ne pas l'avoir vue. Vous êtes allé à Charleroi le 24 novembre. Pourquoi ?
        – Pour toucher ma quinzaine.
        – N'était-ce pas pour répandre le bruit que votre femme s'était enfuie ?
        – Non…
        – Vous êtes encore retourné à Charleroi d'autres fois ?
        – Deux fois.
        – N'alliez-vous pas là pour chercher Van Goethem ?
        – Le 12 décembre, une de vos belles-sœurs faisait des recherches pour retrouver sa sœur. Elle s'était adressée à un spirite. Pour détourner les soupçons, vous y êtes allé vous-même et avez interrogé le spirite.
        Enfin, vous êtes reparti pour Charleroi avec vos enfants, au moment même où on repêchait le cadavre de votre femme. Vous avez logé. Vous avez rencontré le lendemain Van Goethem.
        Avec votre frère Arthur, vous avez circulé dans les cafés avec Van Goethem. Ne lui dites-vous pas que votre femme s'était enfuie et est entrée en service près d'Engis, à vingt minutes de la gare ?
        – C'est lui qui a demandé à revenir avec moi.
        – Vous êtes allé chez votre avocat, à Charleroi, pour qu'il reconnaisse qu'il était l'amant de votre femme. Vous avez fait prendre énormément de libations à Van Goethem et ne l'avez-vous pas engagé à venir avec vous à Engis pour qu'il vienne solliciter votre femme de rentrer au domicile conjugal ?
        – Non. C'est lui qui s'est proposé de le faire.
        – Et c'est vous qui avez payé son train.
        – Oui.
        – Vous êtes arrivé avec Van Goethem à Engis vers 6 heures du soir ?
        – Oui.
        – Que s'est-il passé ?
        – Je voulais l'avoir à la même place que celle où j'avais eu ma femme, et le précipiter dans la Meuse.
        – N'aviez-vous pas déjà eu cette intention au moment où vous faisiez écrire cette lettre de rendez-vous ?
        – Non. Je pensais à mes petits enfants.
        – Singulière façon d'y penser que de tuer leur mère.
        Van Goethem a pu s'échapper et a passé la nuit dans les transes, dans une cabane de chemin de fer.
        Vous apprenez alors que le cadavre de votre femme était retrouvé, qu'on cherchait à l'identifier. Vous pénétrez à la Morgue et brisez le cercueil. Pourquoi ?
        – Je voulais revoir ma femme.
        – Vous avez circulé encore toute la journée du 14 décembre. Et, le 15, vous êtes allé vous rendre à la gendarmerie de Tilleur. Vous vous êtes débarrassé de votre revolver. Comment ?
        – Je n'en sais rien.
        – On avait confisqué votre revolver le 25 juillet. Vous vous en êtes procuré un nouveau.
        – Le 17 novembre déjà, vous aviez écrit à un homme que vous considériez comme un ancien amant de votre femme, le menaçant de mort s'il continuait à la voir.
        La lettre que votre femme aurait écrite spontanément le 20 novembre, saisie par vous et annonçant à Van Goethem qu'elle le rejoindrait prochainement, a été retrouvée, est donc reproduite. Lettre pleine de protestations passionnées. Cette lettre commence par ces mots : « Je commence par vous dicter cette lettre... »
        Quant à l'autre lettre fixant rendez-vous pour Flémalle, vous ne pouvez la reproduire. Pourquoi avez-vous conservé l'une et pas l'autre ?
       – J'avais pris l'une en poche pour la montrer à mes parents, tandis que l'autre a été déposée dans un tiroir, c'est pourquoi elle s'est égarée.

    LES TEMOINS

        M. le juge BONJEAN fournit divers renseignements sur l'instruction qu'il a dirigée. Le cadavre de la femme Dengis présentait diverses blessures. Les vêtements étaient ramenés au-dessus de la tête. Mais ces circonstances s'expliquèrent par des manœuvres pratiquées dans les écluses.
        Le parquet ordonna l'autopsie. On y procédait à la morgue de Jemeppe quand Emile Dengis se présenta et raconta que sa belle-sœur était disparue depuis le 20 novembre. Il ne put reconnaître le cadavre tant il était défiguré, mais il reconnut de façon positive certains des vêtements. C'était Ferdinande Humblet.
        Emile Dengis disait que des dissentiments existaient dans le ménage de son frère Félix et que celui-ci était capable de tuer sa femme.
         Le cercueil contenant les restes de la victime fut scellé après l'autopsie. Le lendemain, 15 décembre, le fossoyeur, en pénétrant dans la morgue, trouva qu'on y était entré par effraction, que les scellés avaient été brisés.
        M. le juge Bonjean se rendit le jour même sur les lieux. Le cercueil avait été ouvert à l'aide d'un canif. Un débris du cercueil avait été brûlé. On retrouva sur le sol des morceaux d'allumettes.
        M. Bonjean apprit qu'on avait vu Dengis le matin.
        Il donna l'ordre de l'arrêter. Or, quelque temps après, la gendarmerie avertissait le juge que Dengis venait de se constituer prisonnier et avait avoué avoir noyé sa femme.
        M. le juge rapporte les résultats de son instruction très compliquée avec une clarté, une précision tout à fait remarquables.
        Au cours de son premier interrogatoire le jour même de son arrestation, Dengis déclara qu'il n'avait eu aucune discussion avec sa femme, que subitement l'idée lui était venue de se défaire de sa femme, et qu'il l'avait poussée à la Meuse. Ce n'est que plus tard qu'il ait qu'une discussion avait surgi, parce qu'on avait reparlé de la lettre.
        A la gendarmerie, il avait dit avoir décidé de tuer sa femme, dès la découverte de sa lettre à Van Goethem.
        Dengis nia avoir tenu ce propos.
        Le maréchal-de-logis interpellé, a maintenu que Dengis lui avait fait la déclaration telle qu'il l'avait actée.
        L'accusé n'a jamais dit avoir oublié de mettre à la poste la lettre de rendez-vous à Van Goethem.
        Dengis après son interrogatoire, a passé tout le reste de l'audience sans relever la tête, le coude sur le genou, la figure cachée dans la main.
        Le juge d'instruction continuera l'après-midi.

    AUDIENCE DE L'APRES-MIDI

        L'audience est reprise à 3 heures précises.
        M. LE JUGE D'INSTRUCTION BONJEAN continue sa déposition.
        Après avoir précipité sa femme à l'eau, il s'est éloigné de quelques pas. Il a vu sa femme reparaître à la surface du fleuve, puis disparaître à jamais. Il a erré toute la soirée, et est rentré chez son frère vers une heure du matin. Il demanda à sa belle-sœur si sa femme n'était pas rentrée. A la réponse négative, il ajouta : « Elle m'en a fait une belle, va. » Elle a disparu pendant que, lui, était entré chez un marchand de tabac à Seraing. Il disait qu'il avait couru partout à toutes les gares, même à Longdoz à Liége pour la chercher. Elle est probablement partie avec un amant, déclarait-il.
        Il retournait souvent au bord de la Meuse et à l'endroit où il avait jeté sa femme à l'eau. « A cet endroit, j'étais plus calme, déclare-t-il ».
        A partir de ce jour, il a abandonné tout projet d'aller en Hollande. Il n'en parle plus. Il vend même son mobilier. Il cherche de la besogne.
        Le 12 décembre est le second grand jour. La sœur va consulter Antoine à Jemeppe pour savoir où est sa sœur. Depuis qu'il a été condamné, il ne fait plus le rebouteur. Antoine s'intitule maintenant spirite. Il a construit à ses frais un temple qui lui a couté 65,000 fr. Il reçoit par jour 50 ou 60 personnes. A la belle-sœur de Dengis, Antoine dit : « Envoyez-moi le mari. » Et pour détourner les soupçons, Félix Dengis se rend chez Antoine. Le spirite lui répond : « Votre femme va vous écrire. Vous saurez bientôt où elle est. »
        Le même jour, on repêchait le cadavre de la victime. Dengis s'était ce même jour aussi rendu à Charleroi. Il y rencontra Van Goethem qui lui répondit : « C'est tout de même malheureux d'avoir une femme comme la tienne. C'était moi qui avais l'air d'être le mari, et toi le simple logeur. »
        Dengis sut persuader à Van Goethem de revenir avec lui. A Engis, eut lieu une scène dans un cabaret.
        L'accusé a déclaré au juge d'instruction : « Je voulais le précipiter à la Meuse, mais non à Engis. Je voulais l'amener à l'endroit même où j'avais noyé ma femme et y jeter Van Goethem à son tour. »
        Van Goethem eut peur, n'osa pas quitter le cabaret. Des ouvriers l'emmenèrent et le cachèrent dans une cabane dépendant d'un charbonnage.
        Cette même nuit, il pénétrait à la Morgue.
        Il voulait revoir sa femme. Il fit sauter les vis du cercueil. Mais la tête avait disparu. Les magistrats l'avaient emportée, en effet. Cependant, Dengis reconnut sa femme à ses mains, à un doigt de pied qui chevauchait.
        Il alluma des allumettes, travailla dans l'obscurité, essaya de brûler une planche de cercueil pour s'éclairer, mais n'y réussit pas. Alors il s'assit.
        Cette scène d'un tragique shakespearien dura, paraît-il, plus de trois heures. Il s'assit, puis il pria.
        J'ai tenu à être tout à fait certain que le cadavre était bien celui de la femme Dengis. J'ai fait demander à Dengis si cela ne lui ferait rien de voir la tête de sa femme. Il m'a répondu que non. Au contraire. J'ai fait préparer la tête. Les docteurs lui avaient rendu expression humaine. Je suis allé avec Dengis à la Morgue. On a découvert la tête arrangée dans son lit, comme si elle tenait au corps. Dengis est entré d'un pas très ferme. J'étais à côté de lui. Dengis s'est mis à genoux, s'est écrié : « C'est bien elle. Qu'elle me pardonne. Je lui pardonne. Qu'elle ait sa place au paradis. »
        Sa douleur a été très poignante. Je crois qu'il aurait été trop ému pour signer son procès-verbal.
        Quand il parlait de sa femme et surtout de ses enfants, il se mettait à pleurer. Il m'a demandé de m'occuper de ses enfants, de tâcher de les placer dans une institution charitable.
        Je me suis adressé deux fois à la Société des Enfants Martyrs.
        Il n'y a que le mari qui a reconnu formellement sa femme. Les autres parents n'osaient pas être tout à fait catégoriques, tant elle était méconnaissable. On lui avait fait des yeux bruns et elle les avait noirs. Les cheveux étaient si emmêlés qu'on avait dû les lui couvrir à l'aide d'un mouchoir.
        M. LE PRESIDENT. La Cour vous félicite de la laborieuse et très complète instruction que vous avez faite.

    La Meuse, 25 avril 1907, soir (source : Belgicapress)


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  • Felix Dengis (La Meuse, 25 avril 1907, matin)(Belgicapress)COUR D'ASSISES

    LE DRAME DE CHOKIER

    Un mari qui jette sa femme dans la Meuse

        Ce matin commencent devant la Cour d'assises les débats de l'affaire Dengis Félix, âgé de 35 ans, houilleur, accusé d'assassinat sur la personne de son épouse Ferdinande Humblet.
        Cette fois, ce n'est pas le revolver qui a été appelé à jouer son terrible rôle dans ce drame. Dengis a précipité sa femme dans les flots de la Meuse. La scène tragique s'est déroulée entre Jemeppe et Chokier, dans l'obscurité de la nuit.
        Les époux, bien qu'originaires de La Mallieue et des environs, habitèrent Marcinelle jusqu'au 17 novembre 1906. Ce jour-là, ils arrivèrent, accompagnés de leurs quatre enfants, à Chokier, chez Emile Dengis, frère de l'accusé. Leur séjour, disaient-ils, devait être de très courte durée. Ils allaient s'installer à Maestricht.
        Le 20 novembre, vers 2 h. 1/2 de l'après-midi, Félix Dengis et sa femme quittèrent la maison de leur frère pour se rendre à Jemeppe faire des provisions. Le mari rentra seul vers une heure du matin. Sa belle-sœur lui ayant demandé ou était sa femme, il répondit qu'elle était partie et alla se coucher.
        Le lendemain matin, il partit en disant qu'il retournait à Marcinelle. Il emmena deux de ses enfants, qu'il conduisit chez une autre parente.
        Le 13 décembre, un cadavre de femme était découvert dans la Meuse au quai des Carmes, à Jemeppe. Ce cadavre fut reconnu pour être celui de l'épouse de Félix Dengis.
        L'autopsie, ordonnée par le parquet, fut pratiquée le 14 décembre, à la morgue de Jemeppe, située dans le cimetière. La nuit suivante, on s'introduisit, à l'aide d'effraction, dans ce bâtiment, on ouvrit le cercueil et on découvrit le cadavre de l'épouse Dengis.
        Le lendemain, 15 décembre, dans la matinée, Félix Dengis se constituait prisonnier à la gendarmerie de Tilleur. Il avouait que c'était lui qui avait précipité sa femme dans la Meuse, la nuit du 20 au 21 novembre, en revenant de Jemeppe. C'était au cours d'une dispute que la colère l'avait emporté.
        Cette dispute avait pour cause la jalousie du mari, qui accusait sa femme de se méconduire. La mésintelligence avait surgi depuis assez longtemps déjà à ce propos dans le ménage. Il soutient que le 20 novembre il avait découvert une lettre que sa femme adressait à un amoureux, lettre dans laquelle elle annonçait son retour.
        Dengis ajouta qu'il avait fait écrire par sa femme une autre lettre pour donner rendez-vous à cet amoureux. A ce rendez-vous, ce serait lui, Dengis, qui voulait s'y rendre.
        L'accusé avoua également que c'était lui qui s'était introduit à la morgue de Jemeppe pour revoir le corps de sa victime.
        Dengis sera défendu par Mes Pety de Thozée et Follet.
        Au banc de l'accusation se trouvera M. Bodeur, substitut du procureur général, qui siégera pour la première fois à la Cour d'assises.
        Les débats dureront jusqu'à samedi soir. La question de la responsabilité de Dengis au point de vue mental sera longuement examinée. L'accusé aurait déjà antérieurement donné des preuves de faiblesse intellectuelle. Une septantaine de témoins sont cités.

    La Meuse, 25 avril 1907, matin (source : Belgicapress)


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  • SPA, bourg, commune et chef-lieu du canton de ce nom ; bornée au N. par Theux, E. par Sart, S. par La Gleize et Stoumont, O. par La Reid.

    A 1 1/4 l. de Sart, 1 1/8 de La Reid, 1 3/4 de Theux, 2 de La Gleize, 2 3/4 S. de Verviers, et 7 S.E. de Liège.

    Le territoire de cette commune offre une surface fortement inclinée au N., à l'E. et au S., et coupée par une multitude de collines arides ou boisées. Il y a 4 ruisseaux ; l'un nommé Weay, prend naissance près du hameau de ce nom, à 1 lieue E. du bourg de Spa qu'il traverse, et va se jeter dans la Hoëgne au pied des ruines du vieux château de Franchimont ; le 2e appelé Picherotte, a sa source au S. de Spa, dans la forêt communale, et son embouchure dans le Weay en arrivant par l'E. dans le bourg ; le 3e nommé dit Vieux-Spa, prend sa source au S.S.O. du bourg, et se jette dans le Weay à Spa même ; le 4e nommé l'Eau-Rouge, prend naissance au S.O. de Spa, et se rend dans le Weay, au hameau du Marteau, en traversant la limite de la commune, du côté de l'O. Il y a plusieurs fontaines d'eau douce et cinq sources principales d'eaux minérales, dont il sera parlé ci-après. Le terrain de transition de formation quartzo-schisteuse, forme le fond du sol. Les roches qui lui sont subordonnées sont le schiste ardoise, le schiste alumineux, le phyllade pailleté. On y remarque des rochers schisteux d'un noir bleuâtre, à filons quartzeux, des schistes et quartz irisés, du jaspe schisteux, du schiste noir graphique de l'alumine sulfatée, du poudingue rouge ou verdâtre, du fer oxidé brun fibreux. Une argile plus ou moins compacte recouvre le terrain ardoisier, et forme une couche végétale de 15 à 20 centim. de profondeur.

    Spa est un très-gros bourg, ou plutôt une jolie petite ville ouverte, entourée de montagnes ou plutôt d'une seule montagne, assez haute, qui s'étend en ellipse, sur trois points principaux, en montrant ça et là son front rocailleux et aride, et ne laissant qu'une ouverture à l'O. pour la petite rivière de Weay. On a pratiqué dans la pente plus ou moins raide, du côté de la montagne qui borne le bourg, des rampes douces et agréables, qui présentent les promenades les plus pittoresques qu'il soit possible d'imaginer ; ces promenades taillées en zigzags dans le roc, transportent insensiblement les promeneurs sur le plateau cultivé, d'où ils découvrent les nombreuses montagnes, les forêts épaisses, les bruyères stériles qui, alternativement, forment l'horizon. Indépendamment de ces promenades régulières, il y a encore celle que l'on désigne sous le nom de promenade de Sept Heures ; ce nom lui vient de ce qu'avant l'établissement de la salle de la Redoute, chaque jour, lorsque le temps le permettait, la société se réunissait à 4 et à 7 heures, dans deux prairies différentes où l'on donnait des fêtes et des bals. En 1757, la dernière de ces prairies fut convertie en esplanade qui devint une promenade très-agréable.

    La Commune comprend 608 maisons, dont 451 sont situées au bourg de Spa ; 70 à Creppe, à 1/2 l. ; 24 à Winamplanche, à 3/4 de l. ; 36 à Nivezé, à 1/2 l. ; 21 à Prefayhay, à 1/4 de l., et 6 au Marteau, à 1/2 l. Environ la moitié des habitations sont construites en pierres et en briques, et couvertes en ardoises, quelques-unes en tuiles ; les autres, dans lesquelles sont comprises presque toutes celles des hameaux, sont construites en bois et argile, et couvertes en paille. Outre plusieurs beaux hôtels, Spa possède un superbe Vaux-Hall, une redoute, une salle de spectacle, et un nouvel hôtel des bains, érigé en 1828. Ces édifices font un effet extraordinaire, surtout dans un endroit où les chaumières seraient plus analogues à son site pittoresque, à la stérilité du sol, et au défaut de moyens de ne se procurer qu'à grands frais les objets de consommations qui sont très-considérables, pour entretenir un luxe tel que l'on voit à Spa dans la belle saison. — L'intérieur du bourg est pavé. — 1 église primaire, dédiée à St.-Remacle ; elle a été érigée en paroisse en 1573 ; avant cette époque, il n'y avait qu'une petite chapelle où l'on venait dire la messe tous les jours de fêtes pour la commodité des habitans qui faisaient partie de la communauté et de la paroisse du Sart. Cette église a été rebâtie en 1719. Il y a 2 chapelles, celle de St.-Joseph et celle de St.-André.

    Les habitans s'occupent de la fabrication d'ouvrages en bois habilement travaillés et vernis. Il se fait un grand débit des eaux de Spa, qui se transportent dans les contrées les plus éloignées. Il y a 3 moulins à farine mus par eau. — Ses eaux minérales y attirent une foule d'étrangers de toutes les contrées de l'Europe, surtout de l'Angleterre ; mais ce n'est pas particulièrement pour faire usage de ses eaux qu'ils y viennent, car on s'y occupe beaucoup plus d'amusemens que de santé. — Il y a 1 bureau d'enregistrement ; 1 direction des postes aux lettres.

    Les productions agricoles consistent en froment, seigle, épeautre, avoine, orge. Fourrages suffisans pour la nourriture des bestiaux de la commune. Lègumes et fruits. Bois taillis, essence de chênes, bouleaux, hêtres, peu de futaie. — 160 chevaux, 120 bœufs, 600 vaches et génisses, 700 bêtes à laine. On y élève des abeilles. On pèche des truites, anguilles, etc. — Foires : les 5 mai, 26 juillet et 16 novembre. — Une grande route traverse Spa, communiquant avec les villes de Liège, Verviers et Stavelot.

    Population : 3617 habitans.

    Superficie : 3590 h. 76 a. 83 c.

    Ci-devant : pays de Liège ; marquisat de Franchimont.

    Histoire : Une question difficile à résoudre est, si la fontaine célèbre dont Pline fait mention, a été à Tongres, ou si on doit la placer à Spa. L'abbé du Bos et le P. Wastelain observent que dans les auteurs anciens, tel que Pline, le mot tintas désigne toujours une contrée, un pays, et jamais une ville ; et que ce n'est qu'au déclin de l'empire, et du temps qu'Ammien-Marcellin écrivait, qu'on l'a pris dans le dernier sens ; que par conséquent, il paraît qu'il a voulu dire, que dans le pays des Tongriens, il y avait une fontaine célèbre, avec la vertu et les propriétés qu'il décrit, et qu'on retrouve encore dans les eaux de Spa.

    Spa, dans ses commencemens, n'était qu'un petit hameau, où il n'y avait que quelques cabanes dressées par-ci, par-là, entre des rochers où l'on forgeait le fer. Ce lieu, aujourd'hui si renommé, serait sans doute demeuré enseveli dans l'obscurité sans la découverte qui a été faite de ses eaux minérales. Les dévastations dont le pays fut si souvent le théâtre, l'incendie général du marquisat de Franchimont qui fut ordonné en 1468, par le duc de Bourgogne, Charles-le-Téméraire, pour punir la révolte des Liégeois contre leur souverain, ont détruit et consumé les archives du pays. Parmi quelques documens échappés a la destruction, on distingue le Grand-Recort de l'année 1326, dans lequel on lit qu'à cette époque , Colin-Leloup, de Bréda, venait à Spa, prendre les eaux, regardées depuis long-temps comme salutaires dans un grand nombre de maladies ; le soulagement qu'il en éprouva le détermina à fixer sa résidence près de la source ; il y fit construire une demeure, et insensiblement il établit dans le voisinage des forges et des fourneaux à fondre le fer, pour lesquels il acheta d'Adolphe de la Marck , prince-évêque de Liège, douze bonniers de bois, dont deux furent défrichés et se couvrirent bientôt de bâtimens qui furent les premières maisons de ce que l'on appelle encore aujourd'hui le nouveau Spa. L'affluence des personnes de distinction qui vinrent prendre les eaux de Spa depuis l'an 1575, contribua successivement à l'embellissement de ce bourg. En 1643, les Pères capucins s'établirent à Spa ; Waltère de Liverlo, bourgmestre de Liège, fit construire le couvent. Pierre-le-Grand ordonna en 1717 qu'un monument serait élevé au-dessus de la source du Pouhon. La première salle de redoute que l'on eût instituée, fut terminée en 1764. Le Vaux-Hall, sur le chemin qui conduit du bourg à la Géronstère, fut commencé en 1771. La construction de la nouvelle salle du Pouhon, monument dédié à la mémoire du czar Pierre-le-Grand, fut commencé en 1820. La communication que les habitans de Spa entretinrent avec les étrangers qui y ont afflué dans tous les temps, leur a inspiré le goût des arts ; et la facilité de leur débiter leurs ouvrages, a stimulé leur activité. C'est à la fin du 17e siècle et au commencement du 18e que les arts y étaient cultivés avec le plus d'honneur, et ce bourg; a donné le jour à plusieurs artistes distingués. C'est la patrie de Dagly , qui imitait avec un goût exquis les fruits et les fleurs de la Chine et du Japon, soit en plat, soit en relief. Il est inventeur de ce beau vernis à l'épreuve de l'eau et du feu, qui a la propriété de s'employer sur des matières ployables, telles que les étoffes, la toile et le cuir. C'est ce qu'on appelle le vernis des Gobelins, qui fut employé dans cette fameuse manufacture depuis l'an 1713. Spa est aussi la patrie de Remacle Le Loup, qui s'est distingué dans les paysages et les perspectives, et a dessiné et gravé les vues des villes et des châteaux insérés dans les Délices du pays de Liège, 1743 ; de Lambert Xhrouet ou Chrouet, qui a éminemment brillé dans l'art de tourner ; de Joseph Xhrouet, qui s'est distingué dans la gravure, et dont on a le plan du grand marché de Liège et de l'hôtel-de-ville, inséré dans les Délices du pays de Liège ; du docteur Xhrouet, auteur d'un traité sur les eaux d'Aix-la-Chapelle et de Spa, imprimé en 1714, etc.


    Dictionnaire géographique et statistique de la province de Liège
    (Henri Joseph Barthélemi Del Vaux) - 1835


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  • Felix Dengis (La Meuse, 15 décembre 1906, soir)(Belgicapress)UNE MYSTERIEUSE AFFAIRE

    A CHOKIER

    C'EST UN CRIME. – UN CERCUEIL PROFANE. –
    LE MEURTRIER SE CONSTITUE PRISONNIER

        Nous avons, ce samedi matin, donné les détails de la dramatique affaire qui a causé à Chokier et à Jemeppe une émotion bien compréhensible. Mais aux mystérieuses circonstances que nous avons relatées devait venir s'ajouter un fait de plus haute gravité et dont l'horreur dépasse l'imagination.

    Cercueil profané

        On sait que, l'autopsie pratiquée, les restes de la victime, l'épouse Félix Dengis, avaient été placés dans un cercueil scellé par les magistrats instructeurs et laissé à la Morgue de Jemeppe.
        Or, vendredi après-midi, en pénétrant dans ce lieu funèbre, la police constatait qu'un inconnu s'était introduit en escaladant le mur du cimetière, puis en brisant un carreau de la fenêtre du local.
        On s'aperçut alors que les scellés du cercueil avaient été brisés, le couvercle soulevé à l'aide d'un outil et les restes du cadavre mis à découvert. Quel pouvait être l'auteur de cette profanation ? Cet acte odieux était-il l'œuvre de celui qu'on recherchait, de Félix Dengis ? Cet homme, disparu avec deux de ses enfants, les aînés, avait-il en réalité tué sa femme et, pris de remords, ou agissant sous l'empire d'un sentiment d'une psychologie déroutante, avait-il voulu revoir les restes de celle dont la mort s'était accomplie d'une façon aussi tragique ? C'est ce que l'on ne sait. Mais cet acte était certainement de nature à faire faire un grand pas à la justice et à diriger des rechercher dans un cercle plus restreint.
        Aussi, le parquet, après avoir fait une nouvelle descente à la Morgue, vendredi, à 9 heures et demie du soir, donnait-il l'ordre d'opérer ces recherches dans Jemeppe et les localités environnantes, y compris à Liége, où les agents de la Sûreté reçurent l'ordre de se mettre en campagne.

    Notre enquête

        Poursuivant notre enquête, nous nous sommes rendu ce samedi matin à Chockier, ou demeure, nous l'avons dit, les époux Emile Dengis, chez lesquels est hébergé depuis quelque temps un des quatre enfants de Félix Dengis, le petit Armand, âgé de 3 ans et demi.
        Dans ce ménage d'honnêtes travailleurs, dont le père, ouvrier mineur, est occupé au charbonnage du Nord de Flémalle, sont quatre autres enfants, dont l'aîné, Jean-Baptiste, âgé de 13 ans, travaille au même charbonnage pour grossir un tant soit peu l'avoir du ménage, ce qui ne l'empêche pas, du reste, en brave petit gars qu'il est, de suivre des cours d'école du soir.
        Quand nous arrivons chez Emile Dengis, nous trouvons celui-ci en train de fumer sa pipe, l'air préoccupé, tandis que sa femme, près de la fenêtre de l'unique place du rez-de-chaussée, est en train de lessiver un tas de linge. Dans cette place, qui sert de cuisine, sont deux fillettes, dont la plus grande vague aux soins du ménage.
        Nous expliquons à ces braves gens le but de notre visite et demandons quelques renseignements sur la façon d'être des époux Félix Dengis durant les trois jours, du 17 au 20 novembre, qu'ils passèrent ensemble dans leur maison. On nous répond que ceux-ci paraissaient bien s'entendre et qu'à aucun moment nulle discussion ne s'est élevée entre les époux.
        « Nous savions pourtant, nous dit l'épouse Dengis, que mon beau-frère était extrêmement jaloux de sa femme et que celle-ci, lors d'autres visites à Chokier, se plaignait d'être brutalisée par lui. Enfin, l'accord ne régnait plus depuis longtemps dans le ménage, mais rien ne pouvait faire supposer que, lasse de la jalousie tyrannique de son mari, Ferdinande Humblet pourrait mettre fin à ses jours. »
        Mais une singulière circonstance devait rester dans la mémoire des époux Emile Dengis. Le 20 novembre, en effet, jour du départ du mari et de la femme, qui devaient se rendre à Jemeppe pour faire quelques achats, Félix Dengis dit tout à coup à sa femme, alors que l'on venait d'achever le repas de midi :
        « Eh bin, bâçelle? Vinez-ve fer l'lette ? » Tous deux montèrent alors à l'étage, d'où ils redescendaient quelques instants après. Dès ce moment, Felix Dengis ne quitta plus sa femme d'une minute, semblant épier tous ses mouvements. Vers 2 heures et demie, les époux quittèrent la maison pour se rendre à Jemeppe.
        Quand Dengis rentra seul, à 1 heure du matin, sa belle-sœur lui demanda ce qu'était devenue sa femme. « Vosse soûre », répondit Dengis, « c'est ine belle... Louquiz cisse lette chal qui dj'a st-attrapée... » II exhibait en même temps une lettre que son épouse écrivait à un prétendu amant, habitant Marcinelle et dans laquelle elle lui annonçait un prochain retour, aussitôt qu'elle pourrait abandonner son mari.
        Mais répliqua la belle-sœur, « n'esse nin là l'lette qui v'lî avez fet scrire divant d'enn-aller ? »
        Nenni, dit Dengis, « cisse là c'esteut eune qui djî li féve sicrire à s'galant po li d'nner on rendez-vous... Mins c'est mî qui âreus stu… »
        La conversation prit fin et Dengis alla se coucher. On sait le reste.

    Surprise des époux Dengis

        On conçoit l'émoi causé au foyer des Dengis par cette affaire qui, ce matin encore, n'était pas encore éclairée. Mais celui-ci ne devait que grandir encore.
        Ce samedi matin, à 6 heures, ces braves gens voyaient entrer chez eux une voisine, la dame Ralet, qui tient un café à quelques mètres de là, sur la grand'route. Celle-ci tenait par la main une fillette que les époux Dengis reconnurent aussitôt. C'était la petite Joséphine, âgée de 5 ans, que l'on croyait à Grâce-Berleur, chez le père des Dengis et qui se trouvait à Chokier depuis la veille à 8 heures du soir.
        Mme Ralet apprit aux époux que ce jour-là, dans la soirée, en venant dans le corridor de sa demeure, elle avait aperçu l'enfant. La fillette, interrogée, dit que son père était allé la chercher chez marraine, la sœur des Dengis, à Grâce-Berleur, et l'avait amenée sur le train pour voir sa « tante Pauline », à Chokier.
        Il l'avait alors menée jusque devant la maison, avait secoué la clinche de la porte, mais comme on ne répondait pas, il était revenu sur ses pas, l'avait fait entrer dans le corridor, où la dame Ralet l'avait trouvée et hébergée jusque ce samedi.
        Cette affaire devrait enfin avoir son dénouement. On avait vu, paraît-il, vendredi soir, à Jemeppe, Felix Dengis qui semblait s'en aller au hasard par les rues. M. Jacquet, commissaire de police de la commune, ayant été averti, fit immédiatement suivre cette piste par ses agents. Mais Felix Dengis avait trouvé à se loger et les recherches entreprises hier demeurèrent vaines.
        Ce samedi à 10 heures du matin, M. Jacquet était informé que Dengis était aux mains de la gendarmerie de Tilleur. Le fait était exact. Se sentant probablement sur le point d'être arrêté, il avait préféré aller se constituer prisonnier.

    Les aveux du meurtrier

        Aussitôt interrogé par le commandant de la brigade, il entra dans la voie des aveux et déclara que, poussé par la jalousie, certain qu'il était d'être trompé par sa femme, il avait résolu de la supprimer. Tous deux s'étaient rendus à Jemeppe pour y faire quelques achats. En revenant, dans la campagne, entre Flémalle et Chokier, il avait adressé des reproches à sa femme et, soudain, dans un accès de colère, l'avait poussée à l'eau en lui disant : « Tu m'as trompé, mais tu ne me tromperas plus ! »
        La malheureuse avait disparu, tandis qu'il poursuivait son chemin.
        Ces déclarations actées, le parquet fut avisé. Ordre fut immédiatement donné de transférer le coupable à Liége, où quelques heures après il était écroué à la prison Saint-Léonard.
        Ajoutons que le meurtrier déclara aussi avoir ramené et placé à Marcinelle les deux enfants avec lesquels il était parti de Chokier.
        Le parquet de Liége s'est rendu cette après-midi dans cette localité, pour recueillir les derniers témoignages nécessaires à l'instruction.
        Voilà donc éclaircie cette tragique affaire qui appartient désormais au jury.

                                                                                                                                  Breteuil.

    La Meuse, 15 décembre 1906, soir (source : Belgicapress)


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  • Felix Dengis (La Meuse, 15 décembre 1906, matin)(Belgicapress)MYSTERIEUSE AFFAIRE

    A CHOCKIER

    UN CADAVRE DE FEMME REPECHE A JEMEPPE. –
    ETRANGES CIRCONSTANCES. – EST-CE UN CRIME ?

        A peine la pénible impression produite par le drame qui s'est déroulé jeudi rue Léopold est-elle passée qu'une affaire pleine de mystérieuses circonstances vient soulever la curiosité en permettant les commentaires les plus divers, n'étant pas encore, ce semble, sur le point d'être éclaircie.
        En quelques lignes, dans notre numéro de mercredi, nous signalions que le cadavre d'une femme paraissant âgée d'une trentaine d'années, presque complètement dévêtue, et ayant une jambe brisée, avait été retiré des eaux de la Meuse, à Jemeppe, et transporté à la Morgue pour les constatations d'usage. Cette lugubre découverte, telle que nous sommes appelés à en enregistrer assez fréquemment, malheureusement, devait, cette fois, émouvoir la justice et mettre le parquet en mouvement.

    Le cadavre

        Mercredi, à 1 heure, un marinier dont le chaland est amarré au port de chargement du charbonnage du Gosson, quai des Carmes, à Jemeppe, apercevait, descendant au fil de l'eau, près du rivage, une masse sombre qui n'était autre qu'un corps humain. A l'aide d'une gaffe, le batelier amena l'épave au rivage, où il parvint à la hisser avec l'aide de quelques personnes. On constata alors que ce cadavre était celui d'une femme.
        Autour du corps, aux chairs bleuies et tâché de boue à différents endroits, à la tête démesurément enflée et dont la face était méconnaissable, adhéraient quelques lambeaux de vêtements remontés vers le buste. Morceaux de jupon, de tablier et de chemise effilochés enroulés à la poitrine avec une blouse noire et une camisole rouge déchirées sous laquelle se voyait un corset en bon état. Les chaussures avaient disparu des pieds ; les jambes étaient moulées de bas noirs.
        On prévint M. Jacquet, commissaire de police de la localité, qui arriva immédiatement sur les lieux et fit transporter le cadavre à la Morgue. L'examen du corps démontra alors que la morte avait les jambes et les pieds brisés.

    Première enquête

        Devant la gravité de ces constatations, M. Jacquet crut devoir porter celles-ci à la connaissance du parquet de Liége.
        Les magistrats instructeurs. MM. Huyttens de Terbeck, procureur du Roi, et Bonjean, juge d'instruction, accompagnés de M. Corin, médecin légiste, se rendirent à Jemeppe pour procéder à une première en quête sur cette mystérieuse affaire.

    La victime

        Des recherches ayant été aussitôt commencées par le commissaire de police pour établir l'identité de la morte, firent connaître que la victime devait être une nommée Ferdinande Humblet, épouse de Felix Dengis, habitant dans le pays de Charleroi à Marcinelle.
        Cette femme, âgée de 31 ans, dont les parents habitent Saint-Georges, à La Mallieue, avait épousé, il y a environ dix ans, le nommé Félix Dengis, âgé de 35 ans, ouvrier houilleur, de Jemeppe, dont le père et la sœur demeurent à Grâce-Berleur. Au bout de quelque temps, le ménage allait s'installer à Marcinelle.
        Le 17 du mois dernier, les époux, qui ont quatre enfants, âgés de 12, 7, 5 et 2 ans, arrivaient subitement à Chockier pour passer quelques jours chez Emile Dengis, le frère de Félix, qui a épousé la sœur de la victime, en attendant que leurs meubles, expédiés de Charleroi pour Maestricht, fussent arrivés à destination, et pouvoir alors aller habiter dans cette ville.
        Disons que l'un des enfants vit chez les parents de Dengis, à Grâce-Berleur, et qu'un second est hébergé chez le frère, à Chockier.
        Les époux restèrent jusqu'au 20 chez Emile Dengis. Ce jour-là, ils quittèrent la maison en disant qu'ils allaient faire une promenade et acheter quelques effets d'habillement pour les enfants. La soirée se passa sans qu'on les vit revenir. A 1 heure du matin, Félix Dengis rentra seul. Sa belle-sœur lui demanda pourquoi il se trouvait sans sa femme. Dengis répondit : « Elle est évoie avou onk ! » et, sans plus d'explications, alla se coucher. Le lendemain, de très bonne heure, Félix Dengis se leva et déclara qu'il partait et retournait à Marcinelle. Il quitta, en effet, la maison en emmenant les deux enfants, les deux ainés avec lesquels lui et sa femme étaient venus.
        On appris peu après qu'il avait fait revenir ses meubles vers Chockier, où ils sont pour le moment consignés. Et, à partir du 21 novembre, on n'eut plus de nouvelles de Felix Dengis et de ses deux enfants.

    La reconnaissance du cadavre

        Mais les époux Emile Dengis devaient être douloureusement surpris. Mandés à Jemeppe par ordre du parquet, ils furent mis en présence du cadavre, qu'ils déclarèrent être celui de l'épouse Félix Dengis, mais qu'ils reconnurent seulement aux vêtements restés au corps, le visage étant absolument méconnaissable et ne permettant pas d'autres affirmation.
        Interrogée, l'épouse Emile Dengis dit que sa sœur n'avait jamais, à sa connaissance manifesté l'intention de mettre fin à ses jours et qu'elle ne pouvait croire qu'elle se fut jetée à l'eau.
        Restait l'idée d'un crime. C'est à celle-ci que la justice semble s'être arrêtée, car un mandat d'amener vient, paraît-il, d'être lancé contre Félix Dengis.
        Jeudi, les magistrats instructeurs se sont à nouveau transportés à Jemeppe, où l'autopsie du cadavre a été pratiquée par MM. Lenger et Corin, médecins légistes, qui ont emporté divers organes pour être analysés.
        On ne connait pas encore le rapport de ces messieurs, mais il se pourrait que celui-ci conclut à un crime.
        Ajoutons que la fracture des jambes et des pieds peut avoir été produite par le passage du corps entre les aiguilles du barrage situé entre Jemeppe et Chockier et levé en ce moment par suite de la crue des eaux.
        De même faut-il donner, croyons-nous une identique cause à l'arrachement des vêtements. Le rapport médical porterait donc sur d'autres causes.
        Vendredi, les époux Emile Dengis ont été appelés au parquet de Liége pour y être interrogés par M. Bonjean, chargé de l'instruction de cette ténébreuse affaire.
        Que sont devenus Felix Dengis et ses deux enfants ? Vers quel endroit ont-ils dirigés leurs pas ? C'est ce que la justice ne tardera sans doute pas de découvrir et ce qui permettra de faire la lumière sur cette mystérieuse affaire.                                                                                            BRETEUIL

    La Meuse, 15 décembre 1906, matin (source : Belgicapress)


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  • Felix Dengis (La Meuse, 13 décembre 1906, soir)(Belgicapress)JEMEPPE

        Une noyée. – Mercredi, vers 1 heure de l'après-midi, un batelier, dont le chaland est amarré au quai des Carmes, au lieu dit « Gosson », aperçut une forme humaine flottant à la surface de l'eau. Le batelier amena à lui la lugubre épave. C'était le cadavre d'une femme, dont les vêtements avaient presque complètement disparus.
        M. Jacquet, commissaire de police, se rendit sur les lieux, accompagné d'un docteur, qui constata la fracture d'une jambe.
        Le cadavre fut transporté à la Morgue.
        Le parquet de Liége a fait une descente mercredi, à la soirée, et ce jeudi après-midi, il s'y rendra de nouveau, avec les médecins légistes, qui feront l'autopsie du corps.
        La noyée paraît âgée de 30 ans. Elle portait une blouse avec corset en satin rose.
        Elle portait une alliance à la main gauche.
        Les personnes qui pourraient donner des renseignements sont priées de s'adresser au commissaire de police de Jemeppe.

    La Meuse, 13 décembre 1906, soir (source : Belgicapress)


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  • LA SOURCE DU PERE ANTOINE
    A
    SERAING.

    La source, dite du Père ANTOINE, est située à SERAING, à gauche de la route en direction de NEUPRE, peu avant d'arriver à NEUPRE.

    Les ANTOINISTES tiennent bien à préciser que cette source n'est nullement "miraculeuse". Il est même fortement déconseillé de boire de son eau.

    La seule raison de la vénération des ANTOINISTES est purement sentimentale: il s'agit de l'endroit où le Père s'est arrêté pour se reposer lors de son de son dernier voyage, quelques jours avant sa désincarnation.

    Il s'agissait d'une promenade en voiture qui le conduisit de JEMEPPE-sur-MEUSE à NANDRIN.

    http://antoinisme-documentation.skynetblogs.be/


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  • Source du Père - détail (2006)(antoinisme-documentation.skynetblogs.be).jpg

    source : antoinisme-documentation.skynetblogs.be


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  • Source du Père - vue d'ensemble (2006)(antoinisme-documentation.skynetblogs.be)

    source : antoinisme-documentation.skynetblogs.be


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  • Source du Père Antoine dans les années 90

    source : Seraing, Ougrée, Jemeppe au passé - No 6, 1995, 96


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