• Leclercq et Camus - Les Antoinistes (Gil Blas 28 juillet 1912).

    Nouvelles judiciaires

    Les Antoinistes

        M. Kastler a interrogé hier en présence de Mes Henry Bigeard et Pierre Turpaud, Jules Leclercq et sa maitresse, la veuve Sautet, accusés d'avoir laissé mourir, le 21 juillet, par privations de soins, leur fillette de quatre mois, la petite Antoinette.
        Jules Leclercq a exposé au juge le culte Antoiniste d'après les déclarations d'Antoine le Généreux et le bulletin l' « Unitif » que reçoivent tous les adeptes. D'après lui, ses préceptes religieux lui interdisaient d'appeler un médecin ou de prendre des remèdes. Il lui suffisait de croire au père Antoine et de prier Dieu. C'est ce traitement qu'il a voulu appliquer à sa fille nommé Antoinette, en souvenir de l'apôtre.
        Leclercq est devenu Antoiniste au mois de février dernier ; il a suivi, affirme-t-il, ces préceptes de la sœur Marie Camus, qui représente ce culte officiellement en France. Au moment de son arrestation, il avait écrit au procureur de la République pour porter plainte contre la sœur Marie Camus qu'il accusait d'avoir provoqué la mort de sa fille, en lui persuadant de ne pas consulter un médecin, mais hier, il a renoncé à cette plainte. « Ma fille est morte, a-t-il dit, c'est la volonté de Dieu ! et il a lu au juge une prière qu'il a composée pour la maladie de sa fille.
        M. Kastler a ensuite interrogé la veuve Sautet : « Je ne suis pas Antoiniste, a-t-elle déclaré, et si je n'ai appelé immédiatement un médecin, c'est afin de ne pas contrarier mon amant. Ma fillette a pris froid le 15 juillet, elle est tombée malade le 19. Je l'ai soignée de mon mieux, tout en la croyant peu gravement atteinte. Deux heures avant sa mort, des voisines ont parlé de prévenir un médecin, mon amant s'y est opposé, j'ai fait signe que j'irais le chercher aussitôt après son départ, mais ma fillette est morte quelques instants plus tard. »

    Gil Blas, 28 juillet 1912


    votre commentaire
  • Leclercq et sa compagne passeront en cour d'assises (Le Petit Parisien 21 juillet 1912).jpg

    LES « ANTOINISTES » DE LA RUE DE LA PARCHEMINERIE

    Leclercq et sa compagne passeront en cour d'assises

        Leclercq et sa compagne, la veuve Sautet, adeptes du culte antoiniste, qui, le 21 juillet, 4, rue de la Parcheminerie, laissèrent mourir, faute de soins, leur fillette Antoinette, âgée de quatre ans, ont été interrogés, hier, par M. Kastler, juge d'instruction, en présence de MM. H. Bigeard et P. Turpaud.
        Leclercq, qui parait déséquilibré, a tenu, tout d'abord, à exposer au magistrat la doctrine antoiniste, d'après la révélation d'Antoine Le Généreux, et le bulletin l'Unitif, distribué aux adeptes.
        Suivant cette doctrine, si on veut guérir, il ne faut jamais appeler un médecin, ni prendre aucun remède, mais simplement croire au père Antoine et prier Dieu.
        C'est à la suite de la publication d'un article, dans un journal, il y a quelques mois, que Leclercq est devenu antoiniste. Il est allé trouver la personne indiquée par l'article comme l'apôtre français du culte. C'est elle qui a défendu à l'inculpé d'appeler jamais un médecin.
        Aussi Leclercq, au moment de son arrestation, avait-il déposé une plainte contre cette femme, l'accusant de l'avoir induit en erreur et d'être cause de la mort de son enfant. Hier, il a déclaré qu'il se désistait de cette plainte, le décès de sa fillette ayant été voulu par Dieu.
        La compagne de Leclercq n'est pas antoiniste. Elle a déclaré que la petite Antoinette ayant pris froid, le 15 juillet, au Sacré-Cœur, elle l'avait soignée aussitôt.
        Malheureusement, elle ne se doutait pas que l'enfant avait une broncho-pneumonie : elle crut, tout d'abord, à un mal de dent. Cependant, comme la fillette toussait, elle lui mit des cataplasmes. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, voyant le mal empirer, elle voulut aller chercher un médecin. Leclercq s'y opposa. Mme Sautet ne voulut pas le contrarier et elle résolut d'attendre quatre heures du matin, heure à laquelle l'antoiniste se rendait aux Halles, à son travail. Elle comptait bien faire venir un médecin à ce moment. La mort n'attendit pas. Elle survint à deux heures, alors que Leclercq n'était pas encore parti.
        Mme Sautet a indiqué au juge que, le 19 juin dernier, elle avait déjà perdu un enfant. Comme celui-ci n'était pas de Leclercq et qu'il était baptisé l'antoiniste était allé cherché lui-même un médecin pour lui donner des soins. Il avait dit ensuite à sa compagne :
        – Tu vois, si nous nous étions conformés au culte d'Antoine le Généreux, ton enfant vivrait peut-être encore !
        Ajoutons qu'en présence de M. Kastler, Leclercq a demandé à Mme Sautet si elle voulait régulariser sa situation par le mariage : celle-ci a nettement refusé.
        Le magistrat les a inculpes fous deux, en vertu de l'article 312 du code pénal, qui punit des travaux forcés les parents qui, par privation volontaire de soins, ont causé la mort de leur enfant.

    Le Petit Parisien, 21 juillet 1912


    votre commentaire
  • Jean Delay - Homme sans nom (1948)

    Auteur : Jean Delay
    Titre : L'écarté de la grille
    in Hommes sans nom, nouvelles,
    Éditions : Gallimard, Paris, 1948

     

        Docteur en médecine, Jean Delay devint médecin des hôpitaux de Paris en 1938. Agrégé en 1939, il obtint le statut de professeur de clinique des maladies mentales et de l’encéphale en 1946. Son observation de la Salpêtrière, à la fois dans Hommes sans nom et Les Reposantes, rejoint celle d'André Baillon qui écrivit aussi sur l'univers de la Pépète dans Un homme si simple et Chalet 1.

        Cette nouvelle, dont le nom vient du jeu de cartes que les pensionnaires de la Salpêtrière jouaient prêt de la grille, évoque les Antoinistes de Paris aux pages 169-170 et 174. 

     

        Recension :
    Jean Delay, L'écarté de la Grille,
       Gallimard, 1988, 132 p.
        Publié en 1948 sous le pseudonyme de Jean Faure. L'écarté de la Grille faisait partie du livre intitulé Les hommes sans nom. Jean Delay médecin des hôpitaux psychiatriques retrace ici l'expérience qui sans doute fut la sienne au contact des « grands fous » de la Salpêtrière. Ce récit dédié à André Gide fait la part belle à l'imaginaire fantasque de l'abbé-a-la-jambe-de-bois dit l'abbé John. En cet après-midi du 14 juillet, derrière la Grille du quartier des hommes, les joueurs de cartes Loustan, Lalouette et Monsieur Jules assistent fascinés, abasourdis, rieurs comme ces enfants qu'enchantent le vol des papillons et les cris effarouchés des nourrices haletantes, aux paraboles métaphysiques, évangéliques et loufoques de l'abbé John, l'homme dont les recherches en bibliothèque et le physique trivial de bassesse les déconcertaient. Les impressionnaient aussi l'« expression bestiale du visage, le teint basané d'un mulâtre, le front démesuré dont les cheveux étaient mal plantés, des oreilles décollées et velues, des joues et des bajoues enluminées et chargées de graisse, des lèvres molles et épaisses, un menton fuyant, entourant un nez énorme largement épaté, de couleur aubergine ». Evidemment, ils avaient beaucoup de peine à l'imaginer disant la messe ou administrant les derniers sacrements. Et pourtant, leur curiosité est si grande, leur faim de savoir tellement tenace, leur appétit de vivre si farouche qu'ils interrompent leur partie d'écarté — où l'on écarte les cartes — pour l'écouter disserter sur les vastes étendues des terres africaines qui bourdonneront autour de ses oreilles de faune, ou se laisser aller à quelques confidences sur le désarroi qui le saisit, si justement, au moment où il s'apprêtait à se consacrer avec son grand-papa aux lépreux du monastère de Pernambuco. Le sacrifice fut fatal à l'abbé John : condamné au silence, « les épiscopes (lui) arrachaient sa raison de vivre. Adieu, flots mugissants qui emportaient les digues, adieu, fleurs capiteuses et rhéteuses de (ses) fécondes insomnies, adieu, ô (sa) soeur Hyperbole » !
        Né pour les soins de l'âme, l'abbé John dont la nature ardente ne trouvait plus d'exutoire dans l'éloquence évangélique succomba avec assiduité aux charmes de la Créature. « Aux charmes immanents de la Vénus carioque. » Il devint chamel de charité en charité.
        A sa virilité jaillissante, à l'incandescence de sa jeunesse, l'abbé-à-la-jambe-de-bois joint une exubérance volubile, un goût prononcé pour les citations érudites mais dépareillées. Il entraîne ses acolytes de la Grille « hors de la commune réalité » de leurs maux, « vers les plages fabuleuses où le vrai n'est peut-être pas le réel » ; où la parole libérée des contingences admises communément accède par-delà la misère à une fonction rare : celle de permettre à ceux qui l'écoutent de rêver à leur tour, non plus dans les limites obscures de leur nuit, mais au grand jour, là, au creux d'eux-mêmes où la fiction la plus audacieuse ressemble à s'y méprendre à la vérité. Phantasmes et fantaisie.
                                    Shoshana Rappaport
    Inaperçus, Lignes 1988/2 n°3, page 201, Éditions Hazan
    https://www.cairn.info/revue-lignes0-1988-2-page-195.htm


    votre commentaire
  • Antoinistes à Chantenay (L'Ouest-Éclair 3 mars 1930)

                      L'AFFAIRE EYNARD (1)

                     Les guérisseurs nantais

        Il y a, dans Nantes, 218 médecins et 232 guérisseurs. Chacun de ces derniers faisant, comme M. Eynard, des guérisons à jet continu, on se demande par quel miracle il peut encore rester des malades pour les pauvres médecins.
        Si les résultats obtenus par les guérisseurs sont identiques et s'ils guérissent tous la méningite, les hernies, l'appendicite, les paralysies, etc..., les procédés qu'ils emploient sont variés. Les uns magnétisent avec ou sans diplôme, les autres soufflent, d'autres font des croix sur la partie malade avec leur pouce mouillé de salive. Une guérisseuse, installée rue de Carcouët, obtient de grands succès en rouant ses malades de coups et une vieille pêcheresse, repentie depuis peu de temps, s'est mise à guérir par des prières.
        N'oublions pas la « Dame aux Fleurs » qui fait apparaitre des violettes et des roses à volonté et qui, jusqu'à ces derniers temps, a exercé rue de Rennes.
                     Mam'zelle Vallée, magnétiseuse
        Les premiers jours de mon installation dans l'hôtel que j'habite, je fus très intrigué par ce qui se passait en face, au no 112 de la rue des Hauts-Pavés.
        Matin et soir, c'était un défilé continuel de gens qui portaient tous à la main paniers, sacs ou cabas, desquels, souvent, un goulot de bouteille sortait.
        La plupart du temps, c'étaient des paysans et des bonnes femmes à pignon, qui entraient le plus naturellement du monde ; mais parfois aussi, c'était une dame élégante qui jetait, avant de pousser la porte, des regards inquiets à droite et gauche, comme si elle allait à un rendez-vous galant et craignait d'être surprise. Je m'informai. C'étaient des malades qui se rendaient chez Mm'zelle Vallée, magnétiseuse. Elle n'était pas diplômée, mais tenait son pouvoir de guérison de sa mère, qui avait exercé toute sa vie rue Saint-Similien où elle était en même temps matelassière.
        J'eus bientôt des échos de ce qui se passait chez elle. Comme M. Eynard, elle ajoutait au magnétisme d'autres moyens thérapeutiques inconnus de la Faculté. C'est ainsi qu'une femme lui amena un jour son fils, qui avait été mordu par un chien. Le fluide ne suffisant pas, Mam'zelle Vallée se mit à tourner autour du petit malade en secouant ses cotillons. Comme elle n'est pas aussi jolie ni élégante que l'était Loïe Füller, le résultat de cette originale médication fut de donner à l'enfant une nuit d'insomnie coupée de cauchemars. C'est pourquoi la mère jugea préférable de le confier à un médecin qui fit cicatriser rapidement la morsure avec une pommade au baume du Pérou.
        Craignant – elle avait bien tort, – que je ne gênasse sa fructueuse industrie, Mam'zelle Vallée se fit construire, avec l'argent qu'elle a gagné en magnétisant – car le métier rapporte, n'est pas M. Eynard ? — une maison, route de Rennes, qu'elle habite actuellement. Elle a fait apposer, dans l'embrasure de sa porte, une belle plaque de cuivre, comme en ont les médecins, où sont indiqués sus heures de consultation. Elle aurait bien tort de se gêner, puisque personne ne lui dit rien.
                     La mère Poisson
        Celle-là exerçait « en Chantenay » le quartier le plus pittoresque de Nantes, où l'on trouve des Antoinistes, des Hiéromoines, des églises de toutes les hétérodoxies et mon excellent et spirituel ami Chapiet.
        La mère guérissait en soufflant sur les parties malades. Le fluide ne lui sortait pas des doigts, mais de la bouche, c'est pourquoi, souvent, elle sentait l'ail. Sa clientèle était aussi nombreuse.
        Mais la mère Poisson vint à mourir, accident fâcheux qui arrive à tout le monde, même aux guérisseurs. Des malades de la campagne, qui ignoraient son décès, continuèrent à venir demander la mère Poisson. Un quiproquo se produisit parfois et plusieurs furent envoyés chez une marchande de poissons. Celle-ci protesta d'abord qu'elle n'était point guérisseuse ; mais voyant les clients si nombreux, elle s'avisa sagement qu'il y avait là une source de profits qu'elle serait bien sotte de laisser perdre et elle se mit à souffler à son tour. Elle souffle maintenant comme feu la mère Poisson elle-même et a une grande réputation pour la cure des... hémorrhoïdes.
        Je pourrais continuer cette revue des guérisseurs nantais et en emplir tout un numéro de ce journal, mais la place m'étant limitée, je n'accorderai plus qu'une brève mention au
                     Père Bouillon-Blanc
        C'était un vieux paysan, illettré et sale à souhait, qui venait de la campagne et descendait dans un petit cofé de la place du Bouffay, où il consultait dans l'arrière-boutique. Il soignait par les plantes qu'il avait ramassées le long de la route et avait naturellement une grosse clientèle, tant ses guérisons étaient nombreuses et extraordinaires.
        Mais un jour néfaste, deux clients se présentèrent en même temps, après avoir absorbé la chopine de muscadet obligatoire. Chez l'un il diagnostiqua aussitôt une maladie d'estomac, chez l'autre une maladie de foie. Il leur donna d'ailleurs les mêmes plantes. Le résultat fut extraordinaire : aussitôt les deux clients déclinèrent leur qualité d'inspecteurs de police et emmenèrent le père Bouillon-Blanc au commissariat. Il passa en correctionnelle et nul ne l'a plus revu.
        Je me demande pourquoi ce traitement de défaveur pour ce pauvre bonhomme, tandis que d'autres guérisseurs plus dangereux florissent dans tous les quartiers de notre bonne ville.
        Ce n'est pas seulement pour vous offrir une distraction dominicale que je vous ai compté tout cela, mais pour vous prouver que le fluide de M. Eynard n'est ni indispensable, ni même nécessaire pour obtenir les mêmes guérisons qu'il lui attribue. D'ailleurs ce fluide thérapeutique n'existe pas, ainsi que je vous l'ai déjà dit, et comme va vous le dire à son tour le plus célèbre magnétiseur des temps modernes :
                     Pickmann
        Qui ne l'a vu, celui-là ? Il était vraiment extraordinaire. Non seulement il donnait des représentations publiques, mais il se rendait à domicile et opérait des guérisons auprès desquelles celles de M. Eynard ne sont que du pros-plant. Il y gagna cinq millions. Sur la fin de sa vie il fit ses confidences à M. Paul Heuzé, le pourfendeur de fakirs – bien connu des lecteurs de l'Ouest-Eclair – qui les a publiées dans plusieurs numéros de Candide. Il les réunira prochainement en un volume où vous pourrez tous lire ceci :
        « Le fluide magnétique que l'on m'attribue n'existe pas, je n'en ai point, et les guérisons que j'ai faites ont été opérées par un mécanisme tout autre et bien connu de tous les médecins. »
        Car Pickmann, qui était fort intelligent, avait compris, par l'observation seule, ce à quoi étaient arrivés, de leur côté, les savants que je vous ai cités : Liébault, Bernheim, Grasset, Charcot et Babinski.
        Ce mécanisme de guérison, je pourrai vous l'expliquer quelque jour dans un autre article en faisant la critique scientifique et par conséquent impartiale, des guérisons de M. Eynard.

                                                       Dr Gilbert CHARETTE.

    (1) Voir les numéros de l'Ouest-Eclair des 12, 21 et 24 février 1930.

    L'Ouest-Éclair, 3 mars 1930


    votre commentaire
  • Le Progrès Civique N° 416 du 06-08-1927

    Auteur : Dr. Marcel Réja
    Titre : Le Progrès Civique N° 416 Du 06/08/1927
    Les guérisseurs mystique - Le Culte Antoiniste par Réja

        L'auteur est également à l'origine du livre Au Pays des Miracles.

    AU PAYS DES MIRACLES

    Les guérisseurs mystiques : LE CULTE ANTOINISTE

    par MARCEL REJA

    Atteint d'une « maladie d'estomac » pour laquelle il avait été « condamné par la science », le Père Antoine, simple ouvrier métallurgiste, se vit guérir, par la simple vertu de la foi qu'il avait en Dieu.
        Echauffé par cet événement, il se mit à écrire les Révélations que Dieu lui dicta, et s'étant aperçu que comme jadis le Christ, il pouvait par sa parole et ses prières guérir les malades, il se livra sans réserve à cet apostolat.
        Ainsi fonda-t-il une manière de religion qui se réfère à un mysticisme plus ou moins chrétien avec mépris total de l'intelligence cause de tous nos maux, et considérations plus ou moins lumineuses sur la métaphysique et la psychologie. Mais le don de guérir fait passer sur toutes les divagations ! Le Père, comme ils disent, a laissé une école vivante surtout en France et en Belgique.
        Les Antoinistes sont des gens modestes et doux, ennemis de toute pompe et de toute vanité. Ils pratiquent les vertus de la primitive Eglise et leurs diacres qu'ils dénomment des adeptes refusent toute rétribution des fidèles, directe ou indirecte.
        Comme feu saint Paul, ils se font un point d'honneur de gagner leur pain quotidien par l'exercice d'un métier séculier, l'apostolat devant rester un exercice tout gracieux.
        D'ailleurs, les manifestations cultuelles sont réduites à un strict minimum. En Antoinisme, tout prosélytisme est sévèrement interdit comme attentatoire à la liberté individuelle. Le chant d'un cantique, le débit d'une homélie ? autant de manifestations théâtrales indignes d'un véritable esprit mystique.
        La demi-heure qui est vouée quotidiennement à l'exercice du culte est exclusivement consacrée à lire les Saintes Ecritures... antoinistes. Celles-ci consistent en deux petits livres que Dieu lui-même a dictés au Père Antoine et dont la distillation constitue la nourriture spirituelle et exclusive des ouailles.
         « Un seul remède, déclare le manifeste du Père Antoine, peut guérir l'Humanité : la Foi. C'est de la foi que naît l'amour : l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend digne de le servir ; c'est le seul amour qui nous fait véritablement aimer, parce qu'il est pur et de vérité. »
        Voilà le tréfonds de la doctrine du Père Antoine.
        Le Christ, son confrère, son prédécesseur, n'avait apporté au monde qu'une morale relativement imparfaite. Aimez-vous les uns les autres !... C'est très joli, mais c'est un peu sec. Poussant à fond la surenchère mystique, notre prophète s'écrie : « Aimez vos ennemis plus que tout au monde !... » et il étaie ce précepte de toutes les démonstrations et de tous les commentaires qu'il peut imaginer.

    *
    *   *

        La chapelle qui, à Paris, abrite les dévotions des frères en Antoinisme ne brille pas par son charme temporel. Quatre murs nus, une chaire à deux étages, des bancs pour les assistants : c'est tout. J'oubliais la pendule au mur et le portrait d'un derviche barbu qui représente le maître de céans. On peut bien dire que le plus dénudé des temples protestants, est un palais en comparaison de cette chapelle. Mais elle est le centre d'une vie mystique intense et le but de pèlerinage de nombreux malades qui, désespérant de la science humaine, viennent en appeler à l'Amour Suprême, à la Suprême Autorité.
        Mon premier contact avec l'Antoinisme fut assez pénible.
        Ayant un soir, à l'heure annoncée pour le service quotidien, gagné la petite chapelle qui s'adorne de l'écriteau « Culte antoiniste », je vis quelques ombres furtives se glisser par la porte entr'ouverte.
        Un vestibule minuscule, un écriteau recommandant au fidèle la plus rigoureuse simplicité pour ses obsèques (les Antoinistes ne meurent pas, mais ils se désincarnent), puis c'est la chapelle elle-même. Une atmosphère de pôle, une chape de glace qui vous étreint brusquement. Clairsemés sur les bancs, les fidèles attendent dans une gravité recueillie.
        Dans ce public où les femmes dominent, il y a des négociants qui n'ont pas l'air trop bien dans leurs affaires... des visages jaunis, des figures où flotte un relent d'anxiété. Quelques béquilles sonnent sur la dalle, quelques « uhms ! » trahissent des bronches inquiètes...
        Mais l'aiguille ayant atteint la demie, le cortège sacré fait son entrée... oh ! très simple : une femme tout de noir vêtue et qui semble une diaconesse, un adepte dont le costume rappelle celui d'un pasteur. Tous deux tête nue, la marche lente, l'allure compassée... Et les voilà qui s'installent face au public dans la chaire à deux étages lui surplombant, elle surplombée... Se sont-ils aperçus que nous sommes là ? Les voici qui se plongent au plus profond de la méditation (ou de la prière).
        Le silence rituel plane soudain. Il n'y a plus ni toux ni béquille, ni seulement respiration. La diaconesse figée tout à coup dresse vers le plafond son visage de matrone inspirée, tandis qu'à l'étage au-dessus, son compère, surpris au moment où il tournait la tête et sa barbiche tout de guinguois, offre l'image d'un fâcheux et définitif torticolis.
        Dans la salle, même effet de momification sur les assistants. Et les mains pieusement emboîtées l'une dans l'autre, avec des airs penchés, complètent pour chacun la silhouette du recueillement le plus édifiant.
        C'est le Musée Grévin qui vient d'envahir la chapelle tout à coup. C'est la minute de silence chère à tous les cercles mystiques. D'autres disent « Je demande un silence ! » ou bien : « Unissons-nous dans le silence ! » Les Antoinistes, soucieux de simplification, se contentent de s'immobiliser sans crier gare.
        Quoi qu'il en soit, cette momification est purement provisoire. Bientôt, la chaire s'anime à nouveau, si l'on peut dire. La diaconesse ouvre un livre relié de noir et commence à lire. Lentement, gravement, d'une voix neutre, monotone d'écolière qui ne comprend pas un mot de ce qu'elle récite, d'une voix entièrement désabusée de toutes les vanités terrestres, d'une voix nostalgique, mécanique, elle poursuit sa lecture.

    *
    *   *

        Cependant une sueur d'angoisse envahit mon front ; J'écarquille des yeux effarés... et je me demande si, par l'effet de quelque terrible indisposition, je ne suis pas devenu tout à coup stupide... J'entends distinctement chacun des mots distillés par la lectrice : ce n'est ni du latin, ni de l'hébreu, ni de l'anglais, ni du moldovalaque... c'est du français ! du français moderne !... et je n'arrive pas à comprendre un traitre mot !... Et ce qui m'inquiète le plus, c'est de voir qu'autour de moi mes frères inconnus conservent une parfaite sérénité. Il ne semble pas que cette prose les bouleverse. Ils écoutent ça comme ils écouteraient autre chose, avec un petit air convaincu.
        La lecture toutefois continue avec moins de régularité, la lectrice s'arrête un instant, jette sur la pendule un regard dénué de toute discrétion, lit encore quelques phrases, et tout à coup s'arrête, ferme le livre, se lève.
        Tout est consommé !
        Alors le surplombant se lève aussi, et sur son geste ordonnateur, le silence à nouveau plane. Le Musée Grévin sévit encore quelques minutes. Puis la voix de l'adepte s'élève :
        – Mes frères, au nom du Père, merci.
        C'est bien fini. Suivons le flot. Je sors complètement abasourdi. Pourtant, une des diaconesses qui veillent à la porte m'a chuchoté au passage d'un air mystérieux :
        – Demain, dix heures... La Grande Opération !
        Et je m'en vais, regrettant qu'une obligation de famille me prive précisément de ma liberté à cette heure-là.
        Cependant le regret de manquer une occasion pareille ne cesse de me lanciner. Et, le lendemain, au moment de prendre le train, je me décide tout à coup. Tant pis pour la famille ! Un taxi. J'arrive à temps à la petite chapelle... pardon, au petit temple. Et le cérémonial simpliste se déroule à nouveau. Mais, cette fois, la lectrice nous lit le texte des « dix principes de Dieu » tels qu'ils furent révélés par le Père :

                           PREMIER PRINCIPE
                   Si vous m'aimez
    Vous ne l'enseignerez à personne,
    Puisque vous savez que je na réside
                   Qu’au sein de l'homme.
    Vous ne pouvez témoigner qu'il existe
                   Une suprême bonté
    Alors que du prochain vous m'isolez.
                           DEUXIEME DRINCIPE
    Ne croyez pas en celui qui vous parle de moi
    Dont l'intention serait de vous convertir.
               Si vous respectes toute croyance
                            Et celui qui n'en a pas,
    Vous savez, malgré votre ignorance,
    Plus qu'il ne pourrait vous dire
    , etc., etc.

        Il y en a dix comme ça. Et c'est là le grand secret ! Et pour récupérer la bonne santé, ces dix principes sont un moyen incomparable, et c'est parce que le Père récitait ces dix principes qu'il obtenait des cures sans nombre, et c'est parce que ses successeurs ont conservé cette tradition que les malades accourent encore vers eux, de toute l'ardeur de leur foi...
        – Mes frères, au nom du Père, merci !
        De nouveau c'est la sortie. Mais, mieux renseigné cette fois, j'observe que beaucoup de fidèles restent à leur place. Ce sont les consultants... Ils ont fait appel à l'intercession curative du Père : leurs noms enregistrés sur un grand livre ont été ou seront communiqués à Jemeppe-sur-Meuse afin que la « maison mère » puisse d'urgence faire des prières à leur intention. Et maintenant, l'un après l'autre on les appelle dans un petit cabinet où l'officiant leur délivre une consultation... purement spirituelle. De bonnes paroles, quelques conseils d'hygiène, et surtout des prières... des prières et encore des prières.
        Car, ainsi que le Père l'a révélé, les plaies du corps ne sont que la conséquence des plaies de l'âme. C'est donc celles-ci qu'il convient de soigner si vous voulez guérir celles-là ! Et tout cela est rigoureusement conforme à la conception générale des mystiques pour qui la maladie n'est que la rançon d'une faute commise par le patient ou par quelqu'un de ses proches... Non que le Père ait jamais nié que la médecine pût guérir ! Il a dit textuellement, un jour ou par hasard il avait oublié d'être obscur :
        – Dans le cas où un malade s'adresse au médecin, c'est sa foi en celui-ci qui le guérit... Le médicament n'est rien en lui-même, notre pensée seule nous le rend efficace...
        Et voilà pourquoi, au moment même où je vous parle, les malades continuent de se rendre au culte antoiniste et d'y recueillir des guérisons véritablement étourdissantes (comme on en voit à Lourdes ou à Lisieux, comme on en voyait au temple d'Epidaure), car la foi appelle le miracle et le miracle appelle la foi... et il n'y a vraiment aucune raison pour que ça finisse !

                                    MARCEL REJA


    votre commentaire
  • Orange (Journal officiel de la République française. Lois et décrets 22 oct 1943)

    1er octobre 1913. Déclaration à la préfecture d'Avignon. ASSOCIATION CULTUELLE ANTOINISTE D'ORANGE. Modifications aux articles 1er, 16 et 17 destinées à préciser les liens de subordination de la Cultuelle vis-à-vis de l'Union. Siège social : 3, rue de la Paix, Orange.

    Journal officiel de la République française. Lois et décrets 22 octobre 1943


    votre commentaire
  • Orange - consécration du Temple (L'Intransigeant 19 sept 1926)

    * Vers six heures, hier soir, à la gare du Nord, arrivèrent en avant-garde quelques centaines d'hommes et de femmes vêtus de noir. Les hommes, en longue redingote et coiffés de chapeaux à bords plats. Les femmes étaient également de noir vêtues, mais sans crêpes ni voiles.
        C'étaient des « antoinistes » qui arrivaient de Liége pour se rendre à Orange où, dimanche matin, aura lieu la consécration d'un temple élevé par les disciples du culte d'Antoine de Jemeppe...
       Et parmi eux se trouvait la veuve vénérée du père Antoine, « Notre Mère Antoine », comme disent les disciples.

    L'Intransigeant, 19 septembre 1926


    votre commentaire
  •                                L'OPÉRATION.

        C'est un dimanche matin que je me rends devant le temple. Il y a déjà un grand nombre d'hommes en lévites et en chapeaux haut-de-forme, de femmes en costumes noirs ayant sur le chef une sorte de coiffe qui leur donne une certaine ressemblance avec les nonnes. Ils ont tous l'air très doux et modeste, et ils causent à voix basse. Vers dix heures les gens commencent à entrer dans le temple.
        Bientôt tous les bancs sont occupés, et une grande partie des personnes est obligée de rester debout. La salle est comble. Le desservant monte sur la chaire et adresse quelques paroles à l’assemblée. Le lecteur lit un passage de l'enseignement du Père d'une voix d’écolier. Puis un homme du premier banc se lève et prononce d'une voix rauque et absente : « Le père fait l’opération. » Trois coups de sonnette résonnent dans le temple et tout le monde se lève.
        C'est le moment où l'on se recueille.
        Les croyants sont debout, la tête baissée ; ils invoquent chacun le nom du Père auquel ils demandent la foi.
        Cette scène ne ressemble-t-elle pas à celle qui se passe pendant la messe catholique ?
        Après quelque temps, une autre voix s’élève : – Celui qui a foi en le Père trouvera satisfaction !
        Je n'ai pas cette foi de ceux qui entourent mais réprouve un sentiment très étrange. Ne m'hypnotise-t-on pas ? Je me défends mais c'est inutile quelque chose m’étrangle. Voici que les gens commencent à sortir. Je devrais aussi partir, mais je ne bouge point. Ils passent devant moi un défilé de fantômes, des hommes, des femmes qui marchaient, il y a quelques instants à l’aide de béquilles, s’avancent, tout raides, sans secours, et ceux-ci dont le teint était jaune et maladif sortent avec une mine qui ne peut trahir qu’une sante resplendissante : ils portent la tête haute et dans leurs yeux brillent la bonté, le bonheur et la foi ; une foi fanatique. Des miracles ! Des miracles à Liége !
        Mon voisin me bouscule, il veut passer mais je n'avais pas pris attention. Je sursaute, pour le laisser passer, et … mais qu'est-ce que c'est … les malades ont encore leur teint jaunâtre, les invalides s’appuient toujours sur leurs béquilles. Ai-je dormi, rêvé ? Ahuri, doutant de ma raison, je m’affaisse sur le banc et mon voisin se penche sur moi et chuchote me croyant malades : « Ecoutez, les malades sont reçus après l’opération ! »
        Les gens qui sont autour de moi me regardent avec envie, parce que je semble avoir la foi et la satisfaction.
        Mais, moi, je sais parfaitement bien les raisons de mon rêve, de mon sommeil : les suites de la bombe que j’ai faite hier avec mes amis liégeois.
        En sortant, je me jure d’être plus sage … évidemment, il le faudra bien tant que je ferai mon enquête sur Liége, la miraculeuse.

    Charles Pétrasch

    A-Z Hebdomadaire illustré, n°11 (3 Juin 1934)


    votre commentaire
  • Liège En Hors-Château (openstreetmap.org)

    temple antoiniste indiqué dans le cadastre wallon openstreetmap.org


    votre commentaire
  • Liège Angleur (openstreetmap.org)

    église antoiniste indiquée dans le cadastre wallon openstreetmap.org


    votre commentaire
  • Temple of Tolerance (Forest) (Visser-Joris)(FaceBook)


    votre commentaire
  • Antoine le Guérisseur (L'Univers 1 avril 1912)

    Antoine le Guérisseur

        Puisque la presse parisienne commence à parler d'un soi-disant nouveau Messie, Louis Antoine, dit le Guérisseur, il faut bien se résoudre à parler de l'individu qui se donne pour tel. Ce ne sera point d'ailleurs le faire bénéficier d'une réclame, tant est déjà considérable la propagande de sa doctrine, surtout dans nos campagnes ; mais on pourra peut-être, ainsi prémunir des gens trop crédules contre le travestissement religieux dont s'affuble le personnage.
       Nous avons sous les yeux la minuscule brochure qui contient, outre sa bibliographie, la préface de sa prétendue religion, dite « l'Auréole de la conscience ». M. F. Deregnaucourt, éditeur de son enseignement, et Mme Desart, qui l'a sténographié, certifient en avoir reçu de lui-même la révélation dans son temple de Jemeppe-sur-Meuse, de 1906 à 1909.
        Selon ces deux adeptes autorisés, des milliers de cures, tant physiques que morales, ont été obtenues et s'obtiennent encore journellement au contact du guérisseur qu'ils appellent le « Régénérateur de l'humanité ». Ce contact aurait quelque chose de magnétique. En effet, si Antoine « nous révèle le but de la vie, la loi morale, les moyens d'arriver au bonheur suprême », il démontre, en particulier, « l'intelligence et les fluides qui nous donnent la pensée ». Dès la première page se trahit une sorte de spiritisme qui s'affirmera plus loin, au milieu de vagues notions du christianisme ; car il prétend aussi nous instruire « sur l'histoire d'Adam et sa défaillance, sur la façon dont on peut apprécier le rôle de Dieu, sa bonté, son amour ».

    *
    *    *

        Louis Antoine naquit en 1846, dans la province de Liége. Ouvrier mineur, puis métallurgiste, il quitta la Belgique à vingt-quatre ans, travailla en Allemagne et en Pologne russe et, après avoir acquis une petite fortune, revint, au bout de dix ans, s'installer près de Liége, à Jemeppe-sur-Meuse. Dans l'intervalle de son séjour en Allemagne, il était retourné au pays pour se marier. Les deux époux ayant perdu leur fils âgé de vingt ans, purent supporter ce malheur « grâce à leur grande foi », et se dévouèrent désormais au soulagement des malheureux.
        Le mari est végétarien, au point de ne rien prendre qui provienne de l'animal. Son travail du jour et de la nuit pour ceux qui font appel à son concours, exige un recueillement constant ; c'est pourquoi il vit absolument seul. » La femme habite avec deux enfants qu'ils ont élevés ; « elle partage en tout sa mission ; elle remplace son époux et opère en son nom quand il doit s'abstenir ».
        Antoine « professa la religion catholique jusqu'à l'âge de 42 ans, puis il s'appliqua à la pratique du spiritisme, sans s'attarder toutefois dans le domaine expérimental ; ...il lui préféra la morale et s'y adonna de tout cœur » ; enfin, en 1906, il créa « le nouveau spiritualisme ; c'est là que commence sa mission de révélateur ».
        D'abord, catholique quelconque, il fit une chute dans le spiritisme ; mais, comme il ne peut s'y distinguer, il essaie de se relever en accommodant à sa façon ce qui lui reste de la morale chrétienne, et il s'imagine créer ainsi un nouveau spiritualisme ; en somme, il est devenu une sorte d'illuminé.

    *
    *    *

        Depuis vingt et un ans qu'il est « en contact incessant » avec une « quantité innombrable de malades, son être moral n'a fait que grandir et développer en lui une puissance ignorée jusqu'à ce jour »; en se sacrifiant à l'humanité souffrante, « il s'est acquis des vertus, la foi, l'amour, le désintéressement », qui lui ont permis de fonder le nouveau spiritualisme sur la base inébranlable de la foi pure ». C'est de cette foi que naît l'amour pur qui se puise au sein de Dieu ; car il existe « un Dieu bon et miséricordieux ». La vraie religion n'est autre que cela. Mais voici que, pour M. Deregnaucourt et Mme Desart, il n'y a pas grande différence entre Dieu et leur guérisseur, comme si celui-ci était une incarnation de celui-là. Ils l'appellent « notre bon Père » et ils disent de lui : « Il possède le baume par excellence, l'amour vrai, qui guérit toute plaie et il le prodigue à toute l'humanité, car il est le médecin de l'âme plutôt que du corps... Nous faisons de lui notre sauveur ; disons qu'il est notre Dieu, parce qu'il est notre serviteur. »
        Mais c'est un dieu fort accommodant, assez semblable au dieu des bonnes gens de Béranger : « Ne croyez pas qu'Antoine le Guérisseur demande l'établissement d'une religion qui restreigne ses adeptes dans un cercle, les obligeant à pratiquer sa doctrine, à observer certain rite, à suivre une opinion quelconque, à quitter leur religion pour venir à lui. Non, il n'en est pas ainsi. » Quand nous serons pénétrés de son enseignement, « nous aurons les mêmes égards pour toutes les religions et même pour l'incroyance. »
        Cette dernière citation permet de juger de ce que vaut la doctrine.
        Néanmoins, nombre de nos campagnards se laissent séduire par les grands mots d'amour pur, de foi pure, de spiritualisme, mais plus encore, c'est probable, par le caractère mystérieux du spiritisme, et ils vont consulter les représentants du soi-disant guérisseur. Ne croyant plus guère en Dieu, ils croient toujours aux sorciers.

    J. MESSIRE.


    votre commentaire
  • Dom Besse - Les religions laïques, un romantisme religieux (1913)

    Auteur : Dom Besse (Jean-Martial Besse)
    Titre : Les religions laïques : un romantisme religieux
    Éditeur : Nouvelle librairie nationale, Paris, 1913, 317 pages, in-16

     

        Évoque l'antoinisme dans le chapitre I consacré aux religions laïques (p.21) :

        C'est le spiritisme qui, avec l'occultisme, profite le plus des diminutions religieuses de la France. Leurs théories échevelées et leurs pratiques énervantes attirent ceux qu'a détraqués une longue anarchie intellectuelle et morale. L'instinct religieux a chez ces individus des manifestations et des exigences maladives. Ils réclament de l'extraordinaire et du malsain. Cela les apaise un instant pour les surexciter à nouveau.

        L'occultisme ne sera jamais au terme de sa fécondité ; sa souplesse lui permet de tourner les obstacles. Il se met à la portée de chacun. Ce sera tantôt une sorcellerie grotesque ou un sensualisme, qui mêle à des actes immondes des formules et des prétentions saintes, tantôt un spiritualisme élevé et une philosophie mystique. Il revêt parfois des formes nouvelles ; plus fréquemment, il se borne à rajeunir mal des erreurs oubliées, la magie, la gnose, le manichéisme par exempte.  

        Les occultistes se partagent en sectes et en écoles très diverses. Elles ont pour organes des revues, que se passent les initiés. Voici quelques titres : l'Initiation, l'Humanité intégrale, la Religion universelle, la LUmière, la Paix universelle, le Voile d'Isis, la Curiosité, etc.

        Des praticiens habiles font des affaires en exploitant ces faiblesses religieuses de l'humanité. L'occultisme et le spiritisme se prêtent fort bien a leurs calculs. On s'en aperçut en Belgique avec Antoine le guérisseur, mort à Jemmapes, près de Liège, dans le courant de l'été de 1912. Sa clientèle de dévots s'étendait assez loin en France, après avoir débuté modestement parmi les spirites de son voisinage.


    votre commentaire
  •     En France, bien avant la construction du temple de Paris, le culte du Guérisseur était célébré.
        Dans les montagnes de Savoie, à Biollay, près de Chambéry, un frotteur de la Villa des Fleurs d'Aix-les-Bains, Ernest Blanc-Talon, dont la mère souffrait d'un cancer de la face, avait écrit à Jemeppe, conseillé par une voisine. Sitôt sa lettre mise à la poste, le frotteur avait cru constater une amélioration ; dès lors il fut antoiniste convaincu, s'imposa des privations pour faire avec tous les siens le voyage de Jemeppe, et un beau jour s'investit lui-même des fonctions de légat du Père en Savoie. Convertissant la plus grande pièce de sa maison en temple, il y plaça l'Arbre de la Science de la Vue du Mal, et le tableau sur lequel on lit le précepte fondamental de l'antoinisme :
        « Un seul remède peut guérir l'humanité : la Foi ; c'est de la Foi que nait l'Amour : l'Amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ces ennemis c'est ne pas aimer Dieu, car c'est l'Amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de le servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité. »
        Et revêtu de la lévite noire de l'antoiniste, Ernest Blanc-Talon, se croyant nanti d'une procuration de la Mère, se mit à opérer.
        A Grenoble et au Touvet (Isère), il existe également un centre antoiniste. A Monte-Carlo, un temple merveilleusement situé au bord de la Méditerranée fut solennellement inauguré par la Mère qu'accompagnaient un millier d'antoinistes venus de Belgique et d'ailleurs.

    Henry COSSIRA.

    Sciences et Voyages N°9, 30 octobre 1919


    votre commentaire
  • Magic Wakame (FaceBook)

    page FaceBook de Magic Wakame


    votre commentaire
  • Culte antonin (Le Progrès. Journal de l'arrondissement d'Orléansville 16 fév 1911)

    Une nouvelle religion, le culte antonin.

        Nous voici avec une nouvelle religion. Elle nous vient de Belgique, agréable pays des Gascons du Nord.
        En ces lieux vit Antoine le Généreux, vagabond de sa nature, guérisseur de son état, saint de par la reconnaissance de ses clients. Ceux-ci ont demandé au Gouvernement belge de reconnaître le « culte antonin », qui recrute des adeptes dans toutes les classes.
        Depuis Jérémie, en passant par Mlle Couesdon, le métier de prophète et de sauveur, fait donner gloire, pain et beurre par dessus le marché ?

    Le Progrès. Journal de l'arrondissement d'Orléansville, 16 février 1911


    votre commentaire
  • Brochure Antoine le Guérisseur (Comoedia 26 sept 1909)

    ANTOINE LE GUÉRISSEUR. - L'AURÉOLE DE
        LA CONSCIENCE, une brochure, éditée à Jemep-
        pe-lez-Liège.

        Tous ceux qui s'intéressent à Adam et Eve – et il en est encore ! – trouveront dans cette brochure de curieux détails sur eux.
        L'auteur nous apprend, en effet, qu'Adam et Eve avaient apprivoisé un serpent, qui faisait leur bonheur ; qu'ils aimaient cet animal comme une mère aime son enfant, et là est le point de départ de l'incarnation.
        D'intéressants détails sont également donnés sur l'arbre de la science, sur l'apparence du bien, sur l'intelligence, et nous apprenons, enfin, que le vrai bonheur ne résulte que du malheur. Voilà qui est fait pour consoler bien des gens !

    G. DE PAWLOWSKI.

    Comoedia, 26 septembre 1909


    votre commentaire
  • Maurice Magre - Lucifer (1929)

    Auteur : Maurice Magre
    Titre : Lucifer, roman moderne
    A. Michel, 1929

     

        Maurice Magre (1877 à Toulouse - 1941 à Nice) est un écrivain, poète et dramaturge français, défenseur ardent de l'Occitanie.
        Dans la seconde partie de sa vie, il s'intéresse à l'ésotérisme et mène une quête spirituelle, il devient martiniste mais ne cesse pas pour autant de publier de nombreux ouvrages, comme en témoigne la liste de ses œuvres. 
       En 1919, il découvrit La Doctrine Secrète, l'œuvre majeure de Mme Blavatsky, la cofondatrice de la Société théosophique.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Magre

     

    Recensions :

        Titre et auteur sont parfaitement adaptés l'un à l'autre. Le goût du mystérieux, de l'inconnu, a toujours été profond chez les hommes, M. Maurice Magre possède le sens du merveilleux, qui lui vient en droite ligne de la poésie. Il sait graduer avec science les ressources de l'imprévu. Son intrigue rebondit alors qu'elle paraît prête à se dénouer, se déroulant dans une atmosphère lourde de choses pressenties et indistinctes, de menaces extra-terrestres, d'influences imprécises et vagues. Mais en dehors et au-dessus de toute cette somme inquiétante qui étonne, attache et retient, l'auteur esquisse toute une philosophie du bien et du mal, nullement exempte de grandeur, et élève le débat à des idées générales qui dépassent de beaucoup le cadre d'un pacte passé avec le diable par son héros. 
       C'est tout le problème de l'au-delà, du conflit des tendances bonnes ou mauvaises chez les individus qui est évoqué avec une maîtrise et une sobriété remarquables sous les aspects d'un roman moderne. 
       Lucifer (Albin Mi-chel, édit.) unit harmonieusement la science et l'art. C'est un des plus beaux livres que nous ait donnés M. Maurice Magre. 

    Homme libre : journal quotidien du matin, 21 octobre 1929

     

     

        « Mon goût du mystère, avoue d'abord le héros de M. Maurice Magre, était si grand que je peuplais le monde d'énigmes, non pas pour les résoudre, mais pour m'y complaire et m'émerveiller. » Les énigmes du monde et singulièrement celles qui ont trait à la conduite de notre vie de chaque jour, on sait avec quelle foi et quelle ardeur M. Maurice Magre s'efforce de les pénétrer. Comment peut-on évoquer Lucifer sans évoquer en même temps le problème du bien et du mal. Nos actes nous suivent et aussi nos désirs et selon qu'ils ont été orientés vers le bien ou vers le mal, nous sommes de plus en plus, avec le temps, liés envers l'un où l'autre par une sorte de pacte. 
       Le héros de M. Magre est « un homme comme les autres, ni meilleur ni pire, courbé par la crainte, soulevé par le désir et qui n'avait jamais su aimer sincèrement que lui-même ». Dans un milieu où le romanesque vient de l'esprit assez hypocritement mêlé à la chair et de la recherche obstinée, inquiète des plus troubles traditions et des enseignements les plus ambigus des antiques sagesses, ce personnage s'achemine vers une tardive libération. Il est soumis essentiellement à l'envoûtement de deux êtres, nés du même père mais non de la même mère, « deux jeunes filles, deux lampes ! Mon double amour ! Le bien et le mal ». L'une, Eveline, est « inaccessible à tout désir, une mystique ». L'autre, Laurence, « était possédée, elle aimait les pauvres, non par charité, mais parce que la société les avait rejetés et qu'ils présentaient l'image de la damnation terrestre ». Laurence, créature de chair, avoue ceci : « Un grand bonheur me venait du désordre et de l'incertitude de la vie. » 
       Au terme de ses épreuves, dans l'apaisement d'une haute, humble et sereine conciliation. le héros de M. Maurice Magre s'écrie : « On ne peut avoir peur de ceux qu'on aime. Là est le secret. Aimer autant les mauvais que les bons. Davantage, même, car ils ont besoin davantage. La coalition de mille confréries de damnés ne saurait effleurer de la plu, petite ombre la rêverie d'une âme pleine d'amour. » 
       Dans ce livre, l'un des plus curieux et des plus émouvants qu'il nous ait été donne de lire depuis quelque temps, avec un très vif intérêt romanesque dû à l'art avec lequel il est mené et à l'etrantreté des milieux où il se déroule, se manifeste, sous-jacente, l'obsession fascinante, inquiétante du surnaturel et des puissances mal connues, avec le désir et l'amour des créatures de chair, ce désir « d'autant plus grand quelquefois qu'on va plus loin dans la poursuite de la spiritualité ». Il ne peut manquer de toucher jusqu'à les tourmenter, peut-être, ceux qui ont souci de leur vie intérieure, de leur destin et des redoutables mystères que sont les notions de bien et de mal. (Albin Michel.) 

    Paul CHAUVEAU. 

    Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 1 février 1930


    votre commentaire
  • Jacques Marcireau - Une histoire de l'occultisme (1949)

    Auteur : Jacques Marcireau
    Titre : Une histoire de l'occultisme
    Éditions : Jacques Marcireau Éditeur - Société E.L.J.M. Poitiers, 256 p.

        Évoque l'antoinisme à la page 246.


    votre commentaire
  • Chronique - Au Balcon - Le besoin religieux (La Revue du mois 1911)

    CHRONIQUE

    ----------------

    AU BALCON

                                                                                                                   Le besoin religieux

        Le Matin du 6 décembre dernier annonce que la Belgique possède une nouvelle religion, dont un certain Antoine le Généreux, ou le Guérisseur, est le chef, le souverain pontife, – qui sait ? – peut-être le dieu incarné. L’antoninisme existait déjà depuis de longues années en 1907, s’il faut en croire le n° 1 de l’Auréole de la conscience (revue mensuelle de l’enseignement du Nouveau Spiritualisme fondé par Antoine le Guérisseur – chez Antoine le Guérisseur à Jemeppe-sur-Meuse, Belgique), petite brochure que le hasard m’a fait retrouver parmi de vieux papiers. Ce qui donne de l’actualité à cette église récente, c’est qu’elle vient de déposer sur le bureau de la Chambre des Représentants à Bruxelles une pétition revêtue, paraît-il, de 160.000 signatures : elle réclame la reconnaissance officielle de son culte afin que ses immeubles soient exemptés des droits de mutation.
        Il n’y a rien de nouveau sous le soleil : on annonçait, en ce même mois de décembre 1910, la mort de Mme Eddy qui avait fondé aux États-Unis l’Église de la science chrétienne et avait réuni près d’un million d’adeptes. Mme Eddy niait la maladie, Antoine le Généreux nie le mal. Y a-t-il entre leurs deux doctrines un lien de filiation ou une simple coïncidence ? peu nous importe ici. L’intéressant est de constater le besoin religieux sous une de ses formes particulières.
        Mais pourquoi, dira-t-on, ne pas se contenter d’observer la persistance des vieilles religions constituées ? Elles aussi témoignent de la réalité du besoin religieux elles sont là pour le satisfaire. Sans doute. Le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme, le mahométisme, le bouddhisme, servent à des âmes nombreuses leur ration d’au-delà. Mais s’ils rassasient quelques grands affamés, ils ont aussi affaire à de très médiocres appétits qui se manifestent surtout sous l’impulsion d’habitudes acquises par tradition. Tandis que le fait d’embrasser une foi nouvelle suppose toujours une forte tension de l’esprit vers le divin.
         Les libres penseurs ont quelquefois le tort de s’exagérer leurs succès et de croire que la religion ne relève plus que de l’archéologie elle est au contraire un phénomène sociologique encore très moderne et beaucoup plus général que son contraire, même dans notre monde civilisé actuel. Ils ne devraient pas perdre de vue que les fondations de sectes ou de doctrines mystiques ne cessent de se produire de temps en temps ; et je ne parle pas de celles qui, telle l’Église gnostique restaurée, séduisent quelques dizaines de personnes, mais de celles dont les adhérents se comptent par milliers.
        Nous en rappellerons quelques-unes, qui toutes datent de moins de cent ans.
        Et d’abord le Mormonisme fondé vers 1830 par Joseph Smith. On sait que ce prophète retrouva une Bible, la Bible des tribus disparues du peuple israélite. Il acheta chez un brocanteur un vieux papyrus égyptien, papyrus d’ailleurs connu de nos égyptologues qui l’ont déchiffré ; mais lui, qui ignorait tout des caractères hiéroglyphiques, y compris leur origine, trouva un moyen bien simple pour les lire couramment. Un ange lui apparut et lui donna deux pierres merveilleuses, l’urim et le thurim, avec la manière de s’en servir. Il n’eut qu’à regarder à travers elles son grimoire, comme les myopes lisent à travers les deux verres de leur lorgnon, pour le voir transcrit en caractères latins et en bon anglais d’Amérique. Il n’eut plus qu’à copier ; cela fit le Livre saint des Mormons. Joseph Smith eut de nombreux disciples, et il mourut lui-même pour sa foi, qu’arrosa encore le sang d’autres martyrs. Pour avoir la liberté de leur culte, les Mormons s’imposèrent de rudes épreuves ils traversèrent un long désert, et fondèrent une nouvelle Jérusalem, sur les bords du grand lac Salé. Leur Société religieuse, évoluée en une sorte de grande coopérative, prospère encore aujourd’hui. Intéressante démonstration que leur histoire : elle prouve qu’une crédulité invraisemblable peut s’allier à un esprit très positif de commerçant, et que le miracle le plus antipathique à la raison trouve des croyants tout prêts à l’authentiquer par le sacrifice de leur repos et même de leur
    vie.
        Après les exemples récents du babisme en Perse et du mormonisme aux États-Unis, il semble que les historiens des religions se donnent parfois un mal superflu pour « expliquer » le surnaturel, le surnaturel étant, dans les origines d’une foi, aussi naturel que possible. C’est en Amérique aussi qu’a pris naissance le spiritisme, peu de temps après la prédication de Joseph Smith.
        Nous n’insisterons pas sur lui on le connaît assez. Il répond, lui aussi, à un besoin religieux qui est de croire à la survie on y croit d’abord et l’on s’inquiète ensuite du pourquoi. En l’espèce, on cherche une base à sa foi dans la science expérimentale. C’est du vieux neuf ; ce n’est autre chose qu’une résurrection et une continuation de l’occultisme. Celui-ci, à son tour, n’est, dans sa théorie, qu’une systématisation de la mentalité primitive. M. Lévy Bruni, dont nous avons déjà eu l’occasion de mentionner l’ouvrage1, nous montre qu’un des traits de cette mentalité consiste à créer, entre les choses, des relations mystiques qui font que, pour le sauvage, telle plante sera telle pierre, tel animal et les membres de tel clan : c’est ce que M. Lévy Brühl appelle des « participations » ; en vertu de ces participations, on agira sur tel animal et sur les membres de tel clan en agissant sur tel caillou. Si elle veut adopter ces participations, la mentalité logique – assez étrangère aux primitifs dans leurs
    croyances, mais qui s’est développée chez les civilisés – la mentalité logique dispose d’un procédé bien simple : elle admet l’existence d’une substance invisible, capable de se transformer en matière pondérable ou d’agir sur elle et de servir de support à un esprit ou à tous les actes de cet esprit. II est facile de voir que c’est une substance à tout faire. C’est la lumière astrale, le constituant des larves,
    coques, élémentals, de l’occultisme ; du périsprit ou corps astral des spirites. Les périsprits, qui supportent les âmes des décédés, sont capables de pomper, en quelque sorte, la substance charnelle des médiums et de s’en servir pour agiter les guéridons, soulever des tables, jouer du violon, apporter des fleurs, et même se matérialiser : ainsi l’au-delà pénètre-t-il dans le domaine expérimental. On n’a pas oublié que l’illustre savant anglais Crookes s’est fait photographier en compagnie de Katie King, une morte qui s’était fait un corps vivant emprunté au protoplasma du médium, Miss Cook. Ceci se passait à la fin du XIXe siècle.
        Autre manifestation, celle-ci plus récente encore, du besoin religieux : l’Armée du Salut. Les salutistes paraissent une exception à la règle suivant laquelle toute nouveauté religieuse prétend se rattacher à une origine antique. Eux, ils accomplissent leurs rites avec une modernité qui n’a rien à envier aux music-halls : grosse caisse, trombones, airs populaires à la mode, langage familier. Mais ils ont un costume, une discipline, une hiérarchie ; ils sont constitués, comme leur nom l’indique, en milice. On reconnaît là la persistance de l’attrait qu’exerce sur plusieurs âmes l’organisation collective en vue de fins religieuses, attrait qui a recruté les ordres monastiques.
        Revenons à Antoine le Généreux et aux successeurs de Mme Eddy. Qu’est-ce qui a fait ou fait encore leur succès ? Ils guérissent. S’ils nient la maladie, gardez-vous de conclure, comme la logique semblerait y inviter, qu’ils nous engagent à ne pas nous en occuper du tout. Pensons-y, au contraire, conseillent-ils, appliquons-lui des remèdes, mais les leurs : prenez mon ours. Ils ont une cure infaillible, seulement elle est psychique. C’est le’ traitement par la foi, pour les Eddystes comme pour les Antonistes. Quelles en sont cependant les modalités ? Je n’en sais trop rien. Ce qu’il y a de certain, c’est que la personnalité du fondateur de la clinique y entre pour quelque chose. Antoine le Guérisseur tient un cabinet de consultations et ceux des malades qui en sortent avec une santé améliorée lui attribuent leur soulagement, lui vouent leur reconnaissance : à lui, expressément. Il ne se distingue donc en rien d’un médecin qui appliquerait exclusivement les procédés psychiques. La gratuité ? Mais, outre qu’on paye Antoine indirectement par des dons à son Église, les médecins seraient encore appelés médecins, même s’ils ne recevaient jamais d’honoraires. L’intervention de Dieu ? Mais le croyant doit la faire participer à toutes les thérapeutiques. Et cependant, Antoine n’est pas un médecin, c’est un thaumaturge. Toute la différence vient de la cause à laquelle le médecin ou le thaumaturge attribuent les guérisons qu’ils opèrent. Pour le premier, même s’il ne fait appel qu’à la suggestion, son succès dépend d’agents, trop nombreux sans doute et trop complexes pour être parfaitement connus, mais aveugles et entièrement déterminés dans leur activité. Pour le second, ces agents sont plus ou moins semblables à des hommes. Antoine, en particulier, met en œuvre l’amour divin. L’amour suppose de la préférence, de la partialité, un certain arbitraire. Et c’est ce qui en fait le charme. L’âme a peur de la solitude. Or en quoi consiste la solitude morale ? A être traité, par tout et par tous, de la même manière que n’importe qui. C’est de ce désert que l’amour nous tire. De là la vogue que peut acquérir un thaumaturge.
        Antoine le Guérisseur satisfait le besoin religieux en un de ses éléments les plus tenaces, élément peut-être impérissable.
                                                                                                        JULES SAGERET.

    La Revue du mois, 6e année, Tome XI, janvier-juin 1911 (T11,N61)-(T11,N66).


    votre commentaire